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Un bon gros

Le bruant

Un soir de juin, au-dessus du toit pointu de notre petite maison, un oiseau montait dans le ciel avec d'impatients coups d'aile. Plus haut, toujours plus haut, il s'élevait, décrivant de grands cercles coupés d'impressionnantes spirales. Et, en même temps, sans interruption, avec fougue, avec frénésie, il bréait ... Est-ce que je viens d'inventer un verbe ? Je ne sais trop, mais je ne trouve pas d'autre terme pour exprimer cette continuelle émission de brrr, brrr, brrr, dont, en tout temps, est prodigue le verdier et qu'il multipliait d'un ton de fièvre triomphante, en ce vol nuptial, prélude à la seconde nichée de la saison, dont j'ai eu ce soir-là le plaisir d'être témoin.

On ne peut cependant pas dire qu'il brait comme un âne. Rien ne serait moins exact. Non, il brée. Le langage populaire ne s'y est pas trompé. C'est bien lui, l'oiseau vert qu'il appelle bréant ou bruant. Les autres bruants des ornithologues, le bruant jaune, l'ortolan, le zizi, ne bréent pas. Leur chant se compose d'une suite plus ou moins longue de notes uniformes, terminée dans le cas des deux premiers d'une brusque tombée de la voix sur un registre plus bas.

Je sais que cette querelle a été ouverte jadis par un professionnel de l'ornithologie, Toussenel de Brévans ou quelque autre, je ne me souviens plus lequel. Je m'excuse donc de la reprendre ici, mais j'entends encore mon père, un jour de mon enfance, me dire d'un air tout content : « J'ai vu ce matin dans les mûriers un bruant, un verdier. Il était bien joli. »

C'est un bel oiseau, en effet, et d'une apparence confortable et cossue. Sa couleur générale est un vert un peu terne en hiver, plus brillante au printemps. A cette époque, en plus des lisérés jaune d'or qui bordent ses ailes et sa queue cendrées, s'allument dans son plumage d'autres notes de cette couleur qui lui donnent vraiment de l'éclat. Trapu, râblé, plus gros que la plupart des petits passereaux, il a tout à fait l'allure d'un bon bourgeois prospère.

Singulièrement social, il aime à vivre en famille ou en bandes plus ou moins nombreuses et, comme tous ceux qui possèdent ce goût de sociabilité, il est extrêmement bavard. Dès qu'un couple a élu domicile dans un jardin, on entend du matin au soir leurs longues conversations, leurs explications et aussi, car on les dit querelleurs, leurs chamailleries et leurs réconciliations. Mais, pour traduire tous ces sentiments divers, leur langage est peu varié. C'est perpétuellement : brrr, brrr, brrr et brrr, brrr. Ils sont tellement habitués à cette monotonie qu'ils ne s'en fatiguent jamais. Je l'entends encore, comme un accompagnement en sourdine, quand j'évoque les lointains souvenirs d'un hiver passé à Vence, où ils étaient particulièrement nombreux.

Comme les malades, ils devaient apprécier le tiède climat hivernal de cette localité. Peu voyageurs, ils n'émigrent pas, sans doute, beaucoup plus au sud. Il en reste un grand nombre parmi nous, même par les plus froides saisons. C'est alors qu'ils apparaissent en bandes sur ma fenêtre et, par le seul aspect de leur bec redoutable, ils en chassent tous les autres oiseaux. Pourtant, ils ne touchent qu'à une seule des nourritures que je leur présente : les graines de soleil. Seulement, étant donnés leur nombre et la lenteur avec laquelle ils les tournent et les retournent dans leur bec pour les débarrasser de leur enveloppe coriace, ils occupent la place pendant des heures entières, bien différents en cela des vives mésanges qui sautent sur l'objet de leur convoitise et l'emportent lestement pour le manger ailleurs, donnant ainsi, par leurs absences répétées, une chance aux autres oiseaux plus timides qui attendent, perchés sur le grand tilleul, que la fenêtre soit libre pour apaiser la faim qui les tenaille par les grands froids. Ce n'est pas, il s'en faut, que les mésanges aient le caractère plus commode ou plus pitoyable. Leur férocité est connue, mais leur sveltesse les rend plus remuantes. Nos bons gros verdiers aiment leurs aises et veulent manger confortablement et sans la précipitation qui nuirait à leur digestion.

La culture du tournesol n'est pas assez commune dans notre région pour qu'on lui attribue l'allure pansue de nos amis verts. Que mangent-ils donc encore ? D'abord, tant qu'ils sont au nid, des insectes comme tous les petits des granivores, qui ont besoin d'une nourriture carnée pour former leur squelette et se développer normalement. Une fois adultes, ils se nourrissent de graines et de baies. Parmi les premières, ils recherchent surtout les graines oléagineuses : soleil, chanvre, colza et autres crucifères, qu'ils mangent à même les plantes ou, plus fréquemment, sur le sol. A leur défaut, des graines farineuses, telles qu'avoine, millet, plantain. Entre toutes les baies, plus ou moins juteuses, que leur offrent les champs et les bois, ils préfèrent, je crois, la mûre des buissons, mais ils apprécient aussi les fruits du sureau, du sorbier, du genévrier, les akènes secs de l'orme et du charme et, quelquefois, les faînes. Ils recherchent encore, dans nos potagers, les pois et les salades, et même, comme les bouvreuils, les jeunes pousses et les bourgeons. Il n'est pas étonnant qu'avec un régime aussi étendu et aussi varié le résultat soit édifiant.

Cette recherche d'une nourriture végétale et leur caractère social les portent, en hiver, à se joindre aux grandes bandes d'autres granivores : pinsons, chardonnerets, bruants et linottes, qui parcourent la campagne en quête de leurs moyens d'existence.

Le nid du verdier est loin d'être aussi élégant et aussi douillet que celui du chardonneret et du pinson. Il est également plus gros. Il le place fréquemment dans les grandes haies, les houx, les ifs, les buis, les lierres, les buissons de genêts, sur les arbres aussi, où il ne prend pas toujours soin de bien le cacher, et le place généralement, dans ce cas, à la jonction d'une grosse branche et du tronc. Ses œufs sont blanc grisâtre ou blanc bleuâtre, tachés de rouge pourpre. Il est assez difficile de les distinguer de ceux du chardonneret et de la linotte, sinon par leur taille un peu plus forte.

Je crains d'avoir insisté outre mesure sur la monotonie du langage verdier. Mais, comme une revanche à la monotonie de son ramage habituel, son cri d'alarme, un peu différent des cui, cui de beaucoup d'autres oiseaux, exprime, par une accentuation plus prolongée et redoublée, un sentiment d'angoisse plus intensément ressenti : cûi-ûi, cûu-ûi. Déjà, petite fille, j'avais remarqué ce cri qui en disait plus long que les autres, sans d'ailleurs connaître du tout l'oiseau qui le poussait. Quand les petits sortent du nid, ils piaillent comme des poussins qu'on croirait montés dans les arbres.

En somme, dépourvu de tout instinct artistique, incapable de rivaliser avec les grands rôles du rossignol, de la grive, du merle, de la fauvette à tête noire et du rouge-gorge, enlisé, comme tant d'humains, dans les préoccupations pratiques et les bavardages grégaires, faut-il s'étonner que seuls l'amour et la peur aient le pouvoir d'obtenir de cette organisation matérielle un frémissement d'enthousiasme et une intonation d'émoi ?

Pierrette MAGNE.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 456