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La société locale

Autrefois les chasseurs des campagnes ne chassaient guère que dans le rayon où leurs jambes leur permettaient d'aller. Ils ne battaient donc que des territoires restreints mais parfaitement connus, qui s'étendaient sur leur commune et les communes limitrophes.

Ensuite le gibier paya, ce qui était inévitable, un lourd tribut au progrès mécanique. Le nombre des chasseurs augmentant avec les possibilités de déplacement, les cantons les plus accessibles se trouvant dépeuplés, on assista à la concentration des Chasseurs dans les zones les plus favorisées, ce qui, par contrecoup, provoqua la constitution d'associations communales.

Il serait maintenant nécessaire de repeupler les terrains vides. On peut discuter à perte de vue sur les causes du dépeuplement ; tout le monde les connaît. Mais il faut prendre les choses comme elles sont. Ce n'est que par des mesures efficaces qu'on pourra remédier à un néfaste état de fait.

Certes une société de chasse, si petite soit-elle, ne peut se passer d'un budget. Point d'argent, point de lapins ni de perdreaux. Aussi doit-on admirer le dévouement de certains chasseurs qui paient de leur personne sans compter, pour améliorer la chasse dans leur petite commune.

Ils gèrent avec des moyens insuffisants, sont en butte à toutes les vilenies et petitesses qui blessent ceux qui s'occupent gratuitement, quand ce n'est pas à leurs frais, d'une société. Mais, s'ils obtiennent des résultats, ils sont payés au delà de leurs peines. Ceux-là aiment la chasse pour elle-même, sans esprit de lucre ni orgueil du gros tableau.

C'est pourquoi leurs efforts modestes doivent être aidés.

J'ai sous les yeux le budget de l'amicale d'une petite commune. Les concentrations industrielles voisines et la proximité d'une petite ville ont attiré beaucoup de chasseurs sur son territoire fait de collines plantées d'oliviers et de vignes, de ruisseaux profonds que borde, au nord, un grand bois de chênes verts en pente au midi. Le lièvre s'y plaît, et la saison dernière a fourni quinze civets. Mais le gibier de base, comme partout dans le Midi, est fait de lapins et de perdreaux. Le bois attire quelques bécasses. Les ruisseaux sont assez régulièrement garnis de grives communes.

Les chasseurs locaux ont fait de gros efforts pour sauver leur chasse de la ruine totale : constitution d'une réserve renforçant la réserve naturelle qu'est le bois, garderie, destruction des nuisibles, repeuplement.

Il est bien évident que la cotisation demandée aux membres ne peut être alignée que sur ceux qui disposent des plus petits moyens. Des retraités des Houillères, des petits propriétaires, des ouvriers ne peuvent consacrer de grosses sommes à la chasse. Il faut payer le permis, les munitions, nourrir un chien. Croyez-moi, dans les temps actuels, on est vite au bout du rouleau.

Aussi le budget de cette amicale, dont j'ai l'honneur d'être membre pour une petite propriété que je possède dans la commune, aligne les chiffres suivants :

Recettes Dépenses
En caisse7.507 Divers7.847
Vente peaux de blaireaux1.800 Cot. Fédérât, dép.415
53 cot. à 300 francs15.900 Chloropicrine et strychnine8.935
5 cot. à 500 francs2.500 Location réserve200
Don de la mairie2.000 Gibier pour loto4.100
Recette loto13.200 Achat lapins Aiguemortes2.300
Déficit2.050 30 lapins du commerce12.230
3 transports Saint-Gilles et Aiguemortes6.000
Paiement chien de berger empoisonné3.000
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45.027 45.027

L'essentiel des recettes est fourni par les cotisations et le produit d'un jeu de loto. La mairie a rétrocédé 2.000 francs sur les 13.000 francs qui lui sont revenus des permis qu'elle a délivrés. Si l'Amicale a dépensé 9.000 francs pour la destruction des nuisibles, elle n'a récupéré que 1.800 francs de peaux. Le garde s'est contenté pour toute indemnité du paiement de son permis. Vingt mille francs ont été consacrés au repeuplement en lapins, les uns provenant d'achats dans le commerce, les autres repris directement dans des chasses réservées par des membres de l'Amicale. Trois déplacements de 170 kilomètres aller et retour ont été organisés et, munis d'une autorisation de transport en règle, on a emprunté bourse et furets, car l'emploi du furet est interdit dans la commune. On a pu ainsi lâcher au total 80 lapins, dont le prix de revient s'est élevé à 250 francs l'un. Fait caractéristique, le loto n'a pu être organisé qu'en achetant 4.100 francs de gibier venu probablement de loin.

L'empoisonnement des renards a coûté la vie à un chien de berger. Le propriétaire a été dédommagé.

Mais ce qui n'est pas comptabilisé, c'est le dévouement de tous. Songez aux efforts de persuasion qu'il a fallu faire pour décider toute la commune à tenir les chiens attachés durant la période de nidification, les susceptibilités qu'il a fallu vaincre, et toutes ne l'ont pas été, pour que la société tienne debout, la lutte inégale contre les braconniers invétérés. Le garde n'agit qu'en dehors de ses heures de travail, et le braconnage jouit de protections incompréhensibles.

Malgré tous ces obstacles, malgré ceux que nous appelons des « rénaïres », les grognons qui ne sont jamais contents, le résultat à atteindre, un résultat modeste certes, est en partie conquis, et les groupes de chasseurs qui se forment par affinités peuvent entendre les voix claironnantes de leurs petites meutes. Le gibier tué n'ira pas sur les marchés ni dans les restaurants, mais paraîtra sur la table familiale ou fera l'objet d'un cadeau, ce qui est une façon de prolonger le plaisir de la chasse. Les spécialistes confirmeront leur réputation de tireurs en décrochant les perdreaux rouges vrombissant dans les oliviers ou plongeant dans les ravins à une vitesse folle.

Ainsi se forment de bons chasseurs, tuant peu de gibier certes, mais le tuant dans des conditions difficiles et particulièrement honorables. La conquête de chaque pièce exige des connaissances cynégétiques développées.

Mais le grand mérite d'une amicale faisant preuve d'activité réside surtout dans le développement de l'esprit d'honnêteté des chasseurs. Elle met un frein au raisonnement qui prime trop souvent dans les campagnes : «Si ce n'est pas moi, c'est un autre qui le fera. » Ainsi peut s'estomper le braconnage occasionnel. De plus, l'organisation de la chasse ayant entraîné des frais, le braconnier passera de plus en plus pour un voleur.

Ce sont ces amicales qui doivent bénéficier en premier lieu de l'organisation cynégétique. Les organismes déjà existant ne peuvent s'occuper de tous leurs détails. La loi ne favorise guère leur constitution dans l'extrême division de la propriété. L'argent est difficile à trouver. La part des permis qui revient aux communes n'est pas essentielle pour celles-ci et serait bien plus profitable dans les caisses des amicales.

Si l'on arrivait à repeupler tant de territoires aujourd'hui vides et à organiser la protection du gibier, on aurait fait le plus grand bien au relèvement général du niveau de la chasse en France.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 459