Dans le numéro de mai 1951, nous avons exposé ce que
pourraient être les livres d'élevage, tenus par les clubs spéciaux. Permettant
un contrôle plus efficace de la sincérité des inscriptions, nous les avons
considérés comme devant représenter les livres officiels dont la
retranscription sur un livre unique centralisateur, tenu par l'organisme
fédéral au stade national, ne présenterait plus qu'une commodité pratique. Nous
avons, d'autre part, suggéré que les chiens n'y soient inscrits qu'à l'âge
adulte, quand on a reconnu leurs qualités morales et physiques. C'est un moyen
de pallier les errements actuels de la cynophilie officielle.
Il en est une autre version qui laisserait au Livre unique
national son caractère officiel reconnu, mais en lui conférant une valeur
réelle, et laisserait aux clubs le rôle de filtrage et de sélectionneurs. A cet
effet, les livres d'élevage, tenus au sein des clubs, ne recevraient les
inscriptions qu'à titre provisoire. Le club ferait la sélection, et seuls les
chiens dont le pedigree serait apostillé de ce visa de sélection seraient
inscrits au Livre unique, en l'espèce actuellement le L. O. F.
Le processus pourrait se dérouler ainsi :
Le club inscrit au Livre d'élevage tous les chiots à leur
naissance, en s'assurant de garanties. Celles-ci seraient de deux sortes,
portant à la fois sur le naisseur et sur le chien.
Pour le naisseur, il devrait être honorablement connu pour
son esprit sportif, sa probité ; une enquête discrète du délégué régional
ferait partie des attributions normales de ce dernier.
Pour les chiots, ils pourraient être tatoués aux signes du
naisseur (certains le font déjà) ; ces tatouages seraient indiqués en face
de l'inscription. A défaut, ou mieux cumulativement, les signes distinctifs de
la robe, constatés par une personne assermentée auprès du club ou de
l'organisme fédéral, ou un vétérinaire, y seraient indiqués. Le procédé le plus
sérieux serait d'accompagner les inscriptions des empreintes nasales, qui ne
varient pas avec l'âge et au sujet desquelles Le Chasseur .Français a
donné toutes explications et indiqué le moyen de les prendre (1).
Cette inscription « d'emblée » assurerait déjà une
première sélection en limitant les fausses déclarations ; elle éviterait
ensuite, dans la plus grande mesure concevable, les substitutions de pedigrees.
Ceux-ci pourraient, et ce serait bien mieux, être conservés
par le club jusqu'à la sélection du deuxième degré. Mais ce serait évidemment
compromettre la cession des chiots dans l'état actuel de l'esprit commercial
qui régit presque tout l'élevage, et il faut compter avec lui. Les pedigrees
seraient donc remis au naisseur revêtus seulement du numéro d'inscription au
Livre d'élevage.
La deuxième sélection serait effectuée à un âge variable
selon les races et les sujets. L'âge requis pour les expositions pourrait
servir de base.
L'examen porterait sur le physique pour tous les chiens, sur
le moral pour ceux d'utilité, ainsi que sur les qualités pratiques.
Un qualificatif « Bon », délivré en exposition, ou
sur examen individuel, par un juge ou un expert assermenté auprès du club, ou
reconnu par lui, serait un minimum. Trois qualificatifs, dont deux par juges
différents, seraient meilleure garantie.
Les qualités morales et pratiques seraient examinées au
cours d'épreuves régionales organisées par les clubs, non pas dans la formule
des concours connus sous le- nom de field-trials, mais dans celle d'un examen,
ayant pour seul objet de déceler les qualités et les défauts des sujets présentés,
hors de toute notion de dressage. Sans doute, ce dernier pourrait ou devrait
même avoir été administré à un degré quelconque ; mais seules seraient
retenues les manifestations des qualités ou défauts naturels. Ces examens sans
classement donneraient lieu à l'établissement de fiches par sujet, indiquant en
détail les qualités et les défauts ; ils seraient aussi l'occasion de
commentaires instructifs pour le grand bien des assistants. Encore là, les
délégués régionaux, dûment choisis et à la hauteur de leur tâche, auraient à
s'employer avec utilité. Seraient éliminés les sujets présentant des tares
cataloguées par le club comme irrecevables ; toutefois, une telle élimination
ne devrait être effectuée qu'avec prudence et sur avis du comité du club ;
en aucun cas elle ne serait motivée par une seule insuffisance de moyens.
En effet, nous avons rappelé dans un article précédent qu'on
ne saurait baser la sélection sur les caractères apparents, physiques ou
moraux. Sans doute, il est certaines tares (peur du coup de fusil) dont les
tenants doivent être suspects ; mais des chiens de petits moyens ont
parfois engendré des lignées de champions, parce que les germes de leurs
qualités n'ont pu s'épanouir que dans l'accouplement.
C'est dire que la sélection, pour être complète,
rationnelle, efficace, n'est rien sans son prolongement, au delà de ces deux
examens physiques et moraux ; il est indispensable qu'elle porte sur la
valeur reproductive des sujets.
Cette troisième sélection ne peut évidemment se faire qu'à
un âge avancé du sujet. Logiquement, elle devrait, par conséquent, conduire à
n'accorder le visa d'inscription définitive au L. O. F. que lorsque l'impétrant
a lui-même produit des descendants ayant subi avec succès les examens physiques
et moraux. Nihil obstat, dirons-nous à cela, si le but recherché est de
faire œuvre utile. Mais il faut tout concilier et tenir compte des
considérations commerciales. On peut donc bien envisager un visa pro forma
au vu duquel le chien sera inscrit au L. 0. F. ; mais un visa complémentaire,
dit de reproducteur, serait au surplus mentionné, tant sur le pedigree que sur
le livre d'inscription, au bénéfice des sujets qui seraient reconnus raceurs.
On conçoit l'immense progrès qu'un tel système apporterait à
l'élevage. Depuis longtemps d'autres l'ont pressenti ; mais leurs efforts
pour le faire mettre en pratique se sont heurtés, d'une part, à l'esprit
commercial mal compris et, d'autre part, à l'inertie de ceux qui pouvaient
l'imposer. Quand un projet de réforme est utile, on ne doit jamais se lasser de
faire effort pour arriver à l'imposer. Or, tôt ou tard, quand un climat plus
favorable en aidera la réalisation, cette réforme se fera. Ses détracteurs
n'ont d'arguments que contre sa complexité ; or celle-ci n'est
qu'apparente, elle dépend de la capacité des clubs à la mettre en pratique. En
l'état actuel, beaucoup ne sont pas aptes à prendre ces responsabilités. Il
serait dans le rôle de l'organisme dirigeant de les inciter à acquérir cette
aptitude. Mais certains clubs pourraient déjà mettre en pratique le système ;
à tel point que l'un d'eux avait mis à son ordre du jour de 1950 un projet
analogue. Il en avait la possibilité, étant le seul à posséder son livre
d'origines officiel ; mais, celui-ci venant de lui être retiré (2), il n'a
pu donner suite au projet. Disons aussi qu'une association d'éleveurs amateurs
d'une vieille race française applique strictement, et dans tous leurs détails,
les principes susdits ; mais, s'étant interdit de faire acte de commerce,
elle peut se passer des inscriptions au Livre d'origines officiel, tenant le
sien depuis avant la création de ce dernier.
Le système est donc applicable. Sur le plan commercial, ce
serait une erreur de voir en lui une entrave aux cessions ou une augmentation
de prix prohibitive. Quand, aujourd'hui, on achète un chiot, à moins d'être
initié dans les arcanes de la race, on ne reçoit avec qu'un parchemin (disons
mieux : un papier souvent même illisible) qui n'offre aucune garantie.
Mais le profane accorde toujours une grande valeur au pedigree, quel qu'il soit ;
c'est lui qui fait la gloire de son chien, dont il est incapable de dire ce
qu'ont été ses ascendants et ce qu'ils ont produit. Or le profane est
aujourd'hui légion, et, les trois quarts de l'élevage étant entre ses mains, l'avenir
de nos races est livré au hasard, à l'ignorance, donc à la décadence. Le
système préconisé conférerait au pedigree non plus une valeur conventionnelle
et illusoire, mais une valeur réelle qui justifierait son juste prix.
D'ailleurs, les frais certains nécessités par les contrôles
et divers examens pourraient être en partie supportés par les clubs ; ceux-ci,
en les subventionnant, feraient de leurs deniers un plus utile usage qu'en les
distribuant en prix dans les concours et les expositions. Selon les errements
présents, les sommes dispensées vont aux chiens les plus haut classés ; or
les propriétaires de ces derniers retirent déjà un appréciable et suffisant
avantage de la plus-value commerciale attachée à ce classement. Il serait mieux
d'indemniser dans la mesure du possible, au prorata de leur éloignement, ceux
qui font un effort pour faire juger leurs sujets dans l'intérêt général de la
race. Un tel financement justifierait aussi des cotisations en rapport avec les
prix des chiens pratiqués aujourd'hui.
Il n'y a donc pas d'objection bien sérieuse à la réalisation
et à la mise au point de ces principes, s'il est bien entendu que
l'organisation de la cynophilie a pour objet la sélection intelligente et le
maintien des races. Mais il faudrait, bien sûr, d'abord en admettre l'idée avec
la volonté de changer la mentalité et d'éduquer les amateurs sur le vrai sens
de l'élevage.
Le plus sérieux obstacle est, pour certaines races; le trop
grand nombre de sujets et leur trop grande dispersion. La rançon de la gloire,
ou quelquefois de la publicité, est d'entraîner la production massive ; or
celle-ci, fatalement incompatible avec la sélection, prédispose à la décadence.
Mais c'est là un autre sujet.
Jean CASTAING.
(1) Le Chasseur Français, n° 631.
(2) Le Chasseur Français, n° 652.
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