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Le canoé en mer

Au cours des articles précédents consacrés au canoé à voile, nous avons fait allusion, à plusieurs reprises, aux possibilités de navigation et de croisière en mer. Cette éventualité appelle quelques réflexions, car beaucoup de personnes pourraient juger imprudent de s'aventurer en mer sur une embarcation aussi légère.

Il est évident qu'avec un canoé il ne peut être question de sortir par temps incertain, de s'éloigner des côtes ou d'entreprendre des traversées un peu longues pour joindre directement deux caps ou gagner une île. Par contre, de tous les petits voiliers, nous pouvons dire que le canoé est celui qui offre le plus de sécurité en raison même de sa légèreté; il est le seul que vous puissiez conduire rapidement au rivage, à la pagaie, en cas d'avarie ou de changement de temps, et mettre facilement au sec, même sur une côte rocheuse.

Au point de vue matériel, nous avons déjà donné les caractéristiques d'un canoé apte à naviguer en mer. Nous insisterons sur la qualité et la solidité de toutes les parties du gréement, et la nécessité d'avoir toujours à bord de quoi réparer ou renforcer avant que l'avarie ne se produise.

Suivant que vous fréquenterez un lieu fixe dont vous connaissez bien les conditions de navigation, ou que vous serez en croisière avec la part d'imprévus que comporte une côte inconnue, vous équiperez le bateau de façon différente.

Dans le premier cas, vous n'aurez pas ou peu de bagages, et les deux équipiers seront mieux placés au centre du bateau ; le pontage disposé seulement à l'avant peut rendre service, sans être indispensable. En croisière, il est nécessaire de pouvoir pagayer avec efficacité, et les équipiers occuperont leur place normale à l'avant et à l'arrière, le centre du bateau bien lesté par les bagages solidement arrimés. Le pontage complet sera le même qu'en rivière et permettra, en cas de difficultés, de tenir le temps nécessaire à gagner la côte dans une mer commençant à se lever. La prudence commande d'avoir toujours à bord des moyens de sauvetage, et, en plus des gilets individuels, il est sage de disposer sous le pontage un matelas pneumatique gonflé.

Pour être bien réussie et exempte d'aléas, une croisière côtière en canoé doit être minutieusement préparée. Il faut bien connaître les dangers auxquels vous pourriez être exposé afin de les éviter, et nous citerons les principaux :

En premier lieu, ne naviguez pas loin de la côte, à une distance telle que vous ne puissiez la rejoindre très rapidement. Si le vent souffle de terre, vous vous tiendrez le plus près possible et vous abstiendrez même de sortir si votre route doit vous conduire vers une région particulièrement exposée.

Une partie de côte très rocheuse ou abrupte ne peut être parcourue que par très beau temps, et il faut savoir profiter du moment le plus favorable. Si vous devez aborder au fond d'une crique étroite et exposée au vent du large, défiez-vous des rouleaux qui souvent s'y forment, même par temps maniable. Avant de partir en croisière, vous devrez noter sur une carte donnant avec précision le relief de la côte tous les points possibles d'abordage, et particulièrement ceux restant accessibles par mauvais temps. La lecture des Instructions nautiques vous indiquera les courants, les vents dominants, les particularités du parcours envisagé, et vous donnera un aperçu des conditions atmosphériques. Notez que, pour compléter ces renseignements en Manche et Atlantique, il vous faudra un horaire des marées avec indications des coefficients journaliers. Le résultat de vos observations pourra être porté utilement sur votre carte.

Sur les côtes précitées, courants et marées jouent un rôle capital, tandis qu'en Méditerranée vous devrez savoir que le vent se lève avec une rapidité extrême et soulève un clapotis très dur ; il est souvent sage de franchir un passage délicat à l'aube et de s'abriter vers 8 ou 9 heures, si le vent se lève.

Il ne saurait être question de naviguer au compas en canoé, mais il est bon de posséder une boussole apte à rendre service en cas de brume (pour rentrer au plus vite) ou pour situer exactement sa position. Sur place, vous puiserez d'utiles renseignements auprès des pêcheurs et vous vous tiendrez le plus possible au courant des variations barométriques et de l'évolution météorologique.

Il est évident qu'une croisière en mer demande une bonne préparation pratique. Vous devrez être à même de pouvoir accomplir sans fatigue une longue étape à la pagaie, même contre un vent un peu dur, et cet entraînement peut se faire en rivière. Par contre, avant la croisière, il est indispensable de faire un séjour à la mer, en consacrant, au besoin, les premières journées précédant le départ à un entraînement sur place. Ce sera, du reste, la meilleure formule, qui vous familiarisera avec les conditions locales.

Au cours de cette période d'adaptation, vous mettrez au point votre gréement et apprendrez à aborder une plage de sable ou une partie rocheuse, à embarquer dans les rouleaux et à naviguer dans des conditions très différentes suivant la direction du vent et des vagues. Il est toujours prudent si l'on n'est pas certain du temps, de partir avec la voilure réduite, quitte à lui rendre ensuite toute sa surface si la brise reste maniable.

La croisière côtière, avec la possibilité qu'offre le canoé d'explorer les moindres criques, ouvre des horizons nouveaux et matérialise, à échelle réduite, l'attrait d'un voyage en mer. Il n'est pas nécessaire d'entreprendre un long déplacement pour en goûter le charme ; et certains points de nos côtes, tels que l'île de Bréhat, la rade de Brest, le golfe du Morbihan, les îles d'Hyères, sont des lieux de séjour abrités offrant de multiples possibilités à celui qui, à bord d'un voilier léger, y fait son apprentissage de marin.

G. NOËL.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 477