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La photographie sous terre et sous l'eau

Les temps évoluent et les modes changent.

Il y a seulement vingt-cinq ans, on considérait comme une performance rare la réalisation de bonnes photos de haute montagne ou de sites et côtes maritimes. C'était du dernier chic que de prendre un skieur effectuant une descente dans un nuage de neige poudreuse, ou, à bord d'un petit bateau de pêcheur, de clicher la vue d'un port en revenant du large.

Le temps va vite et la lassitude est bientôt venue. Ce ne sont plus là que prises de vues très courantes et la performance n'est plus actuellement que pratique courante.

Ah ! que l'on est loin de ces lugubres et ... plaisants portraits de famille d'il y a cinquante ans.

Maintenant la jeunesse a émigré sous terre et sous l'eau. Ainsi le veut le progrès grâce à la spéléologie, au nom aussi hermétique que barbare, et la chasse sous-marine, avec son terme tout de contradiction.

Déjà la photographie de surface n'est pas toujours une réussite certaine, malgré les immenses progrès techniques des appareils où tout est quasi automatique, et bien que l'opérateur ne soit plus qu'un simple pousseur de déclic. Tout y est sans doute mécanisé, électrifié avec les posemètres à cellules photoélectriques, les télémètres, les déclencheurs à retardement et autres, mais il reste cependant un élément qui reste l'apanage du bon photographe : c'est celui du sens esthétique.

Plus du tout identique est le domaine de la descente aux abîmes infernaux des cavernes, car il y a d'immenses difficultés à surmonter.

Le plus grand inconvénient à surmonter est celui de l'obscurité absolue. Et cela ne concerne pas seulement la prise de vue, mais surtout le choix de la vue à prendre.

L'éclairage artificiel est obligatoire, mais il comporte maints inconvénients. Les nouveaux flashes, ou lampes à éclats, sont fragiles et leurs éclairs trop vifs et sans modelés. Les appareils électroniques présentent des dangers dans ces atmosphères sursaturées d'humidité. Le magnésium fait de la fumée acre dans ces lieux fermés et non ventilés. Quant aux projecteurs, ou bien il faut des accumulateurs impossibles à transporter en raison de leurs poids, ou de longs câbles avec un groupe électrogène resté à l'extérieur.

L'éclairage en spéléologie reste donc le point crucial, mais il est loin d'être insoluble. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la solution est fonction du nombre de membres de l'équipe, et surtout des possibilités financières.

Pour l'appareil, il faut se défier de ceux trop perfectionnés ou coûteux, surtout dans les premières explorations, où l'on ne sait trop où l'on va, avec des risques de chutes, de bris et de perte. La sagesse commande alors de remiser provisoirement le matériel de grande précision et de le doubler d'une de ces photocameras simplifiées, qui sont robustes et sans trop gros inconvénients majeurs. Une fois terminés les premiers essais, on reviendra avec les appareils de précision.

Une remarque importante : tout étant strictement immobile, il faut diaphragmer et faire de la pose sur pied.

On réalisera alors de merveilleuses images de visions dantesques et peu connues. Elles seront d'une grande volupté esthétique.

Que l'on n'aille pas dire que la photographie spéléologique est uniquement un plaisir d'adolescents. Il y a certes des cavernes qui sont d'un accès aussi dangereux que l'ascension du Kamtchatka, mais il y a aussi des grottes d'accès facile où même les nonagénaires peuvent aller effectuer des promenades d'agrément : le tout est de choisir à bon escient.

Aussi attrayante est la chasse aux images sous-marines.

Les promenades subaquatiques sont maintenant du domaine courant et aussi peu coûteuses que sans danger. Il suffit d'acquérir une lunette étanche et un petit tube à embout buccal permettant de respirer la tête sous l'eau. Si l'on est sage, il suffit de se promener sur la grève en pente d'une plage calme, même en sachant à peine nager.

Il est vrai qu'il existe aussi des appareils plus perfectionnés avec des nageoires pédieuses, des bouteilles à air comprimé et des détenteurs-respirateurs. Ils permettent de longs séjours dans l'eau et ont été conçus initialement pour la chasse sous-marine avec fusils à arpons. Le terme en est impropre, car un fusil est par définition à poudre, et l'on devrait s'en tenir au terme d'arbalète. Il existe bien des fusils sous-marins à poudre, mais leur usage est interdit sauf depuis la rive ou depuis le bateau, ou dans des cas très spéciaux et extrêmement limités.

L'inconvénient de l'éclairage rencontré en spéléologie est ici moins grave. Nombre de rivières, de lacs, et les côtes de la Méditerranée présentent des eaux calmes et fort transparentes aux rayons solaires, au moins pour des profondeurs courantes de deux ou trois mètres.

Il n'en est plus de même dans l'Atlantique, les grands fleuves aux eaux chargées, et pour des profondeurs pouvant atteindre dix, vingt et même cinquante mètres. Il faut ici faire appel à la lumière artificielle.

Certains océanographes ont même réalisé des prises de vues jusqu'à 5.000 et 6.000 mètres dans les abysses pour des recherches purement scientifiques. Ce sont là des solutions parfaites, mais fort coûteuses. Bien que moins spectaculaires et surtout dangereuses que les plongées de Beebe ou de Piccard, elles n'en sont pas moins extrêmement fructueuses. On utilise alors des appareils étanches de photos ou cinécameras à télécommande avec éclairage par gros projecteurs électriques.

Le dernier cri en la matière est l'emploi de cinécameras de radiovision descendues dans les profondeurs abyssales, retransmettant sur le pont d'un bateau, par câbles électriques, les visions sous-marines.

La grande difficulté en ces matières est l’étanchéité absolue que doit comporter la cuve de protection de l'appareil, tout en permettant des commandes aisées des divers boutons et déclics. Elles existent même pour des appareils simplifiés.

L'amateur doit encore tenir compte d'une autre ambiance, celle de la différence de milieu : eau au lieu d'air, avec toutes les données physiques que cela représente : indice de réfraction et transparence, ainsi qu'absorption spectrale.

Certains amateurs construisent eux-mêmes des boîtes étanches pour leurs photocameras et cinécameras avec des feuilles de plexiglass. Ce sont là des solutions heureuses et peu coûteuses, mais régulièrement on néglige par trop trois points qui deviennent rapidement la cause de gros ennuis et peuvent provoquer la mise hors d'usage définitif de l'appareil. D'abord on oublie la pression que doit subir de la part de l'eau cette boîte étanche seulement pleine d'air à la pression normale : il peut en résulter des déformations, avec coinçages comme conséquences, puis des écrasements aboutissant au noyage de l'appareil. Le remède est de ne pas lésiner sur l'épaisseur des plaques choisies pour ce coffrage. Ensuite l'étanchéité : elle doit être assurée par une véritable soudure à base de produits cellulosiques avec pression permanente au moyen de petites vis dans la masse. Enfin restent les joints étanches pour les passages des commandes. Il existe sur ce point des notices de montage, et des articles ont traité ces sujets dans des revues ou brochures spécialisées.

Qu'il s'agisse de prises de vues souterraines ou sous-marines, l'amateur ne doit pas agir à la légère, mais être avant tout pondéré et réfléchi.

C'est très bien d'être un chasseur d'images rares, dans une ambiance peu favorable à la vie humaine, mais ce n'est pas tout. C'est surtout cette ambiance extra-usuelle dont il faut tenir compte pour savoir se détacher des notions courantes. La seule esthétique visuelle ne saurait être l'unique principe directeur.

C'est au domaine d'expansion culturelle scientifique qu'il faut se référer et ne pas faire comme ces touristes qui s'imaginent devenir savants en se contentant de payer un billet de car ou ferroviaire et d'annoncer à leurs amis, quand ils reviennent, les totaux énormes de leurs dépenses pécuniaires ou du nombre de kilomètres parcourus.

Il faut avant toute chose posséder quelques connaissances culturelles sur ces milieux géologiques ou marins, ce qui n'est pas bien coûteux, car à bas prix il existe de parfaits petits ouvrages sur ces sujets.

Ce qu'il faut rechercher, c'est essentiellement la documentation sur la vie des animaux cavernicoles ou marins, l'écologie de leurs milieux, la structure géologique des cavernes, la structure tourmentée des voûtes, parois, sols, ou encore des falaises, roches et fonds marins.

C'est alors doubler sa volupté que de pouvoir éclabousser quelque peu les modestes piétons d'une érudition simple et ayant la notion de causalité.

C'est peut-être aussi commettre le péché d'orgueil, mais la richesse de l'esprit est une fortune que ni les impôts, ni les confiscations, ni les révolutions n'ont jamais pu saisir, et elle reste l'apanage d'une élite ; celle de l'intelligence.

Sylvain LAJOUSE.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 504