Un lecteur nous demande de revenir sur la question du
mélange des plombs de différentes grosseurs dans une même charge, en nous
assurant que certains chasseurs se déclaraient très satisfaits du procédé et
que, notamment, des coloniaux employaient les plombs n°8 et n°4 en quantités
égales comme charges à deux fins.
En balistique, la limite des possibilités est assez grande,
mais encore convient-il de savoir ce que l'on veut obtenir et dans quelles
conditions l'empirisme peut paraître avoir l'avantage sur l'expérience
raisonnée.
Étudions en premier lieu comment se comporte la charge de
plombs émise par un canon d'arme de chasse ; nous distinguerons deux cas,
celui du canon à forage rétréci et celui du canon cylindrique.
A courte distance de la bouche, dans le cas de l'emploi du
canon cylindrique, les plombs de tête qui trouvent devant eux la bourre de
fermeture tendent à s'épanouir en forme de champignon et, au bout de quelques
mètres, l'ensemble de la charge prend la forme d'une galette dont l'épaisseur
augmente peu à peu en même temps que le diamètre.
Dans le cas du forage choke, la charge prend la forme d'un
cône progressant la pointe en avant et la longueur de ce cône est toujours plus
grande que l'épaisseur de la galette sortant du canon cylindrique. C'est dire,
en résumé, que le forage choke augmente la longueur de la charge, dès le départ
et aux portées normales ; nous prions nos lecteurs de noter que ces
résultats, contrôlés d'ailleurs par photographies directes, ne peuvent être mis
en doute.
On rencontre assez souvent sous la plume de certains auteurs
l'affirmation contraire ; ces auteurs s'appuient généralement sur les
résultats d'expériences faites en 1887 par des procédés mécanographiques,
expériences indiscutablement fausses et dont le général Journée a démontré la
non-valeur (1).
Ceci étant bien entendu, nous devons nous souvenir également
que la dispersion des gros numéros est plus faible que celle des petits et que
la résistance de l'air influe d'autant plus sur une certaine masse de plomb
qu'elle est plus divisée. En d'autres termes, les petits numéros perdent leur
vitesse plus rapidement que les gros. Enfin, la pénétration dépend de la masse
et de la vitesse restante, et c'est encore une erreur de répéter que le petit
plomb pique plus que le gros.
En possession de ces quelques principes empruntés à une
rigoureuse doctrine, examinons maintenant le comportement d'une charge calibre
12 composée de 16 grammes de plomb n°4 et de 16 grammes de plomb n°8.
L'examen d'une table de tir du plomb de chasse nous apprend
que, vers la distance de 30 mètres, il y a une différence d'environ 1/100 de
seconde de retard pour le plomb n°8. La charge mixte aura donc une longueur
encore plus grande que la charge homogène, tirée en canon choke, et encore plus
de dispersion tirée en canon cylindrique puisqu'elle comporte un certain nombre
de petits plombs.
Considérés individuellement, les groupes des n°8 et 4 seront
ceux non pas d'un calibre 24, mais bien d'un calibre 28 sous-chargé, c'est-à-dire
que la demi-charge de n°7 n'aurait d'efficacité que sur un gibier de la taille
d'un pigeon environ et à très courte portée, en raison de la faible densité du
groupement. La demi-charge de n°4, efficace en puissance individuelle, à plus
longue portée, sera également d'un effet limité par le nombre de grains qui la
composent. En ce qui concerne l'ensemble, la demi-charge de n°8 comporte 240
grains, celle de n°4 80 grains, ce qui nous fait au total 320 grains et
correspond à un numéro de plombs intermédiaire entre le n° 6 et le n° 7 au
point de vue du nombre d'atteintes possibles. Les unes seront trop puissantes
sur le petit gibier et les autres déficitaires sur le gros. En outre,
l'ensemble de la charge, en raison de sa longueur exagérée, manquera d'instantanéité
de choc, quel que soit le genre de forage employé.
Nous pouvons donc affirmer que le chargement mixte aura un
allongement trop grand, de gros plombs au centre, de petits plombs à la
périphérie et un manque de densité aux portées moyennes. C'est donc une
munition inférieure aux cartouches homogènes dont le numéro de plomb est
rigoureusement approprié à la nature du gibier envisagé. Dans le cas d'un fusil
à deux coups, il est tout indiqué de placer deux cartouches de numéros
différents. À la rigueur, le chargement mixte pourrait se justifier dans un
automatique à égalité de chances de rencontre des deux sortes de gibiers et en
n'utilisant la munition qu'à courte portée. Peut-être vaudrait-il mieux, dans
ce cas, alterner dans le magasin les cartouches de n° 4 et de n° 8, quitte à
doubler en cas de besoin.
Nous ne voyons donc pas d'intérêt pratique au chargement
mixte lorsqu'il y a incertitude sur la nature du gibier à tirer et, dans le cas
d'un tir spécialisé (perdreau en battue ou lapin au bois), il serait absurde
d'y avoir recours. Il convient alors de rechercher la puissance destructrice
convenable en même temps qu'une dispersion appropriée à la fois aux conditions
du tir et à l'adresse du tireur.
On nous demande également, à propos des mélanges de plombs,
s'il y a intérêt à les pratiquer en vrac ou à disposer les numéros l'un
au-dessus de l'autre, séparés ou non, et avec quoi.
Depuis plus d'un demi-siècle, on sait qu'en divisant la
charge de plomb au moyen de cartons rigides on obtient assez facilement une
dispersion plus large et passablement régulière. La division en trois au moyen
de deux cartons durs, associés à l'emploi d'une bourre sèche d'épaisseur
appropriée, constitue un chargement intéressant pour le tir du lapin et de la
bécasse ; il était employé avant l'invention du croisillon, qui a pour lui
la rapidité du chargement, avantage certain sur la division.
Si nous séparons les plombs dans un chargement mixte, nous
augmenterons donc la dispersion de l'ensemble et nous n'aurons rien amélioré,
au contraire. Si nous les chargeons en vrac, nous gagnerons du temps et c'est
tout ; logiquement, il conviendrait de placer les gros plombs en dessus,
donc de verser les petits les premiers. Tous ces détails n'ont, à notre avis,
aucune importance, étant donné le peu d'intérêt du chargement mixte.
En résumé, nous pouvons affirmer à notre correspondant que,
si certains tireurs se déclarent satisfaits de l'emploi d'un tel procédé, ils
sont placés dans le cas d'une utilisation très particulière ou victimes d'une
autosuggestion fondée sur des observations inexactes.
En balistique, particulièrement, la loi d'un phénomène ne
peut être dégagée qu'à la suite d'expériences bien conduites au double point de
vue de la qualité du matériel employé et de la précision des observations. Il
importe enfin de ne pas commettre d'erreurs de raisonnement conduisant à des
conclusions inexactes quoique parfois basées sur des résultats convenables.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
(1) Tir des fusils de chasse, 2e édition, p. 120.
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