Accueil  > Années 1951  > N°655 Septembre 1951  > Page 515 Tous droits réservés

Le loriot

— Que rapportes-tu ? demanda sa femme à un chasseur qui rentrait, en cette fin de journée d'août, la langue sèche, la chemise rayée de sueur, suivi d'un chien soufflant comme une forge.

— Un perroquet, répondit-il ; et il sortit de sa gibecière un oiseau grand comme une grosse grive dont le sang éclaboussait de taches rougeâtres le plumage d'un jaune éclatant.

C'était un loriot qu'il avait décroché au vol alors qu'il lui passait sur la tête.

Loriot, le bien nommé ! En effet les ornithologues, après Linné, le nomment oriolus, de la racine or, duquel il a la couleur ; mais, lorsqu'il chante, il prononce assez bien « loriot ». Son nom pourrait tout aussi bien être l'onomatopée de son chant.

Les Allemands, qui n'ont pas de figuiers, l'appellent Kirsch-Pirol, et les Portugais, qui en ont, Papa-Figos. Gela suffit pour démontrer que cet oiseau se nourrit surtout de fruits, bien qu'il ne dédaigne pas les insectes. La figue est son fruit préféré et la cause de sa mort.

Les loriots habitent l'Europe les mois d'été seulement, ils viennent nicher et arrivent pour cela au début de mai. Ils repartent dans les premiers jours de septembre. C'est donc un gibier qui ne s'offre pas longtemps aux coups des chasseurs. D'ailleurs leurs habitudes aériennes ne leur ont pas valu une grande réputation cynégétique. On les considère plutôt comme une pièce de hasard.

Ils sont les compagnons des pêcheurs. Les loriots vivent dans les bois, les bosquets et les grands arbres qui bordent les cours d'eau. Tandis qu'on suit la rivière, la canne à la main et le fil dans l'eau, ou simplement à la recherche de la fraîcheur, car nous sommes en pleine canicule, on les entend chanter leur nom dans les plus hautes branches des peupliers. Leur voix est claire et bien modulée et brode sur le roucoulement plus sourd des tourterelles et le bruissement des courants le thème musical d'un jour d'été. Ils ponctuent leur gamme principale de cris éraillés qui doivent manifester leur colère, ou de coups de sifflet. On les aperçoit, toujours haut, se déplaçant avec ensemble d'un arbre à l'autre.

Leur présence, l'allure de leur vol, leur couleur caractérisent la fermeture de la chasse. Ils ne sont pas venus ici pour s'offrir à nos coups, mais au contraire pour croître et se multiplier.

Les loriots, dès qu'ils arrivent, sont formés par couples. Ils construisent leur nid accroché comme un hamac à quelque branche élevée. Et les voilà, un beau jour du bel été, nantis de cinq ou six oisillons. Ces derniers suivent leurs parents d'arbre en arbre aussitôt que leurs ailes leur permettent de prendre le baptême de l'air, chantant, criant, sifflant.

Août déverse son soleil implacable sur la nature et mûrit les fruits de la terre. Les figues, de rêches et laiteuses deviennent molles et sucrées, et une perle d'or suinte à leur boursouflure. La famille loriot, chaque matin, quitte ses verts feuillages et va se gorger dans le figuier qu'elle a choisi. C'est là qu'on en tue quelques-uns en plus des coups imprévus. Évidemment, l'affût est le mode de chasse le plus efficace. J'en ai tué quelques-uns aussi, à la 22 long rifle, en les approchant dans les arbres.

De toute manière, c'est un oiseau qui ne fournit qu'une petite chasse, bien que sa chair soit estimable. D'ailleurs il ne reste que quelques jours après l'ouverture et disparaît dans la première quinzaine de septembre. Lorsqu'on ne l'entend plus, l'été achève sa carrière, et le « tsit-tsit » des grives annoncera l'automne bientôt après lui.

Il faut constater que les loriots, comme les autres espèces, bien qu'ils ne fassent pas ici l'objet de destructions acharnées, ne croissent pas en nombre. Durant mon enfance, il y en avait beaucoup. Le matin, du fond de mon lit, la fenêtre ouverte sur l'été, leur chant « ui-o-io » entrait dans ma chambre avec le soleil. Ils venaient manger sur deux grands abricotiers. J'avais grande envie de prendre ma 9 millimètres et de profiter de ma clôture pour faire une ouverture anticipée. Je me levais. J'imitais assez bien leur cri et je tenais avec eux de longues conversations. Avouerai-je que j'ai quelquefois cédé à mon envie ? J'apportais à la maison un jeune oiseau qui ne connaîtrait pas l'Afrique où la migration devait l'entraîner. Notre setter le reniflait, agité par ces prémices du grand jour.

Mais j'ai eu aussi la force d'attendre l'ouverture officielle, qui, en ce temps-là, avait lieu le 15 août. Mon père tenait à ce que je sois élevé dans les bons principes et que la passion de la chasse ne me poussât pas à l'abus d'un droit.

Hélas ! au 15 août, il n'y avait plus d'abricots, et les loriots allaient chercher leur nourriture dans les figuiers des garrigues. Plus tard, lorsque j'eus mon permis, je courais après les perdreaux.

Maintenant il n'en vient plus sur mes abricotiers. Mais j'entends toujours leur chant avec ravissement, sans doute parce qu'ils évoquent mon enfance.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 515