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Au salon de la chasse

Le premier Salon de la chasse et de la vénerie, qui s'est tenu en juin et juillet derniers, à Paris, constitue une innovation très intéressante que l'on peut s'étonner de n'avoir vue réalisée plus tôt. Cet essai, couronné de succès, sera certainement suivi dans l'avenir de manifestations semblables. Ceux qui l'ont visité ont pu apprécier l'intérêt des objets présentés (armes, trophées, animaux et oiseaux naturalisés dans des poses vivantes, objets d'art, etc. ...) avec le souci d'allier dans le goût parisien l'aspect à la fois artistique et documentaire de l'ensemble. Qu'il fût chasseur ou non, tout visiteur a pu en faire son profit. Cette synthèse d'une activité sportive intéressant deux millions de Français a fait la preuve que la chasse entretient avec l'art des relations intimes et inséparables.

Dans un domaine aussi vaste que celui de la chasse, un premier essai devait forcément se montrer hésitant dans certaines parties, trop timide dans d'autres et trouver une limite infranchissable à ses élans dans celle d'un local pourtant fort judicieusement choisi. Les organisateurs futurs d'une autre manifestation du genre pourront bénéficier de l'expérience des premiers qui ont osé et risqué. Entre autres enseignements, il en est un dont la cynophilie peut tirer bénéfice ; c'est de lui seul que nous voulons parler ici.

Réserver une place aux chiens dans une exposition générale de la chasse paraît si naturel que l'on ne conçoit pas leur exclusion ; mais, quand on passe aux réalisations, on en vient à se demander si la chose est possible. Ne l'étant qu'imparfaitement, reste-t-elle souhaitable, nécessaire et utile ?

Réunir des trophées uniques, des armes et des objets d'art épars dans les musées ou dans diverses collections particulières non au hasard, mais dans un but éducatif ou historique (telle cette présentation des fusils de chasse de presque tous les rois de France et de Napoléon 1er, outre ceux d'autres personnages célèbres), est, certes, autrement difficile que de réunir de beaux sujets de chiens de chasse ; mais ceux-ci posent un tout autre problème quand il s'agit non d'une exposition d'un jour, mais d'une manifestation de trois semaines. Dès lors, plusieurs formules peuvent être envisagées tant dans le fond que dans la forme.

La formule classique d'une exposition canine dans le cadre d'un salon de la chasse trouve ses partisans. Elle suppose que tous les chiens (limités aux races de chasse) puissent y être amenés, quelle que soit leur qualité, pour y participer à un concours avec juges qualifiés à jour nommé. Mais une exposition ouverte à tous les chiens nécessite un local très vaste et ne peut avoir lieu dans celui du Salon lui-même. Dès lors, elle est en marge du Salon ; celui-ci peut en être l'occasion, mais il en est distinct ; par cela même, il exclut les chiens de son sein. En outre, l'attraction chiens est limitée à une ou deux journées. L'inconvénient est le même si, au lieu d'une exposition, on envisage une présentation au sens attribué à ce terme par les règlements de la cynophilie officielle et qui ne diffère des expositions que par l'absence de classement et de distribution de prix. Au surplus, la portée éducative de telles manifestations est à peu près nulle.

L'esprit éducatif animant les diverses sections d'un salon de la chasse, conçu comme le fut celui de Paris, ne saurait être abandonné pour la présentation des chiens dès l'instant que l'on a admis leur présence. On peut alors concevoir celle-ci permanente ou périodique, mais limitée à quelques spécimens de chaque race, ou tout au moins des principales ; car réunir seulement un prototype de chacune des quelque quatre-vingt-dix races de chiens de chasse serait une gageure, même pour un seul jour.

Les organisateurs du premier Salon de Paris avaient choisi une formule mixte, mais hésitante, après avoir offert le soin de se charger de la présentation des chiens à la Société centrale canine, dont c'eût été normalement le rôle. Celle-ci n'en a pas saisi l'intérêt, perdant une occasion de faire une oeuvre éducative profitable. Ayant eu le très grand honneur d'être chargé de cette tâche ingrate, nous pouvons, mesurant ses difficultés, en tirer quelque enseignement pour d'autres manifestations du genre.

Le principe arrêté étant celui de la présence permanente de chiens dans le Salon, le corollaire logique en était d'y faire défiler à tour de rôle, chaque jour, des spécimens dûment choisis des principales races, en les groupant selon leurs affinités, compte tenu aussi de l'espace restreint réservé au chenil divisé en trois boxes : journée des braques, des épagneuls, des setters, etc. ... Pour souligner le caractère éducatif de la formule, une variante s'imposait par alternance : présentation simultanée d'un spécimen de chacune des races de braques, des épagneuls, setters, etc., présentation comparative de races mères et de leurs dérivés (braque français, pointer, braque de Saint-Germain, etc.), le tout, évidemment, accompagné d'explications. On pouvait concevoir celles-ci affichées sur panneaux ou commentées verbalement par causeries à jours et heures fixes. Le premier système, adopté, s'est avéré trop discret et timide par le souci de ne pas trop sacrifier à la décoration ; le second procédé, tout d'abord écarté pour des raisons techniques, fut cependant utilisé, au pied levé, au cours d'une présentation-synthèse de l'ensemble des races, également décidée un peu tard. De ces divers essais, nous tirerons des conclusions plus loin.

L'intérêt d'une telle idée pour l'éducation du public est évident, car les expositions, trop conçues pour les exposants ne s'acquittent pas de ce rôle. On pouvait donc s'attendre à une collaboration des clubs spéciaux à cet effet ; en désignant chacun un ou deux sujets d'exception, en prenant à leur charge même tout ou partie des frais de leur transport éventuel, ils auraient fait œuvre plus profitable qu'en employant leurs fonds à certains prix. Or, pressentis, bien rares sont ceux qui ont compris cet avantage et consenti à prêter leur concours ; c'est là une occasion de plus de regretter chez trop de clubs cette méconnaissance de leur rôle éducatif.

Dresser sur le papier un programme inspiré des idées générales susdites est facile ; mais le réaliser avec le seul concours de bonnes volontés individuelles, sans subventions à leur offrir, entraîne forcément quelques entorses aux principes. Trouver des spécimens honnêtes d'un grand nombre de races à Paris, ou aux environs, n'est certes pas très difficile ; les réunir à jour nommé, dans un ordre fixé à l'avance, étalé sur plus de trois semaines, offre déjà une complication, qui, s'ajoutant à quelques défections de dernière heure, bouscule le programme et compromet son sens. C'est peut-être pourquoi ce dernier ne fut pas complètement compris ; peut-être aussi une publicité plus précise aurait dû être faite à ce sujet : elle aurait pu permettre aux visiteurs de se rendre au Salon le jour où s'y trouvaient les chiens qui les intéressaient. Tel visiteur, au lieu d'être déçu en ne voyant que trois ou quatre chiens, aurait fait son profit de leur présence raisonnée en comparant tout à loisir, par exemple, les différences entre un braque français, un bourbonnais, un auvergnat, entre les divers épagneuls, entre un griffon d'arrêt korthals et un draathar, un poitevin et un fox-hound, etc. ... Car, pendant vingt-quatre jours, ont été présentées trente races de chiens et plusieurs variétés de certaines, d'arrêt, courants, fox-terriers et teckels, spaniels, retrievers. Signalons, en passant, que la compréhension des supporters de ces derniers a permis la présentation ensemble de rares spécimens : golden, labrador, chesapeake-bay et flat-coated.

Le souci légitime de présenter d'abord, dans un salon de la chasse française, les races autochtones devait aussi s'allier à celui de présenter les races étrangères prisées par de nombreux chasseurs français ou appelées dans l'avenir à un succès que les mœurs du gibier de plus en plus appellent, aussi bien que la chasse en battue, seule connue en certaines régions.

Une présentation-synthèse réunit un seul jour, en fin d'après-midi, cinquante chiens qui furent présentés, par défilé à tour de rôle, avec, pour chacun d'eux, un commentaire au haut-parleur.

Parmi les chiens d'arrêt, on n'eut à regretter que deux absences : celle de l'épagneul picard (un épagneul de Pont-Audemer put être présenté) et du braque français de modèle réduit, auquel vont les faveurs du club de cette race ; mais il convient de signaler le geste très sportif du mécène gascon du braque français orthodoxe, qui envoya à ses frais deux spécimens typiques, à seule fin d'affirmer l'existence de cette vieille et excellente race, souche ancestrale de tous les chiens d'arrêt à poil ras. Les supporters de l'épagneul breton ont fait aussi un geste méritoire, ayant compris tout l'intérêt de cette manifestation.

Les chiens courants, hélas ! furent plus rares, pour la raison que leur présentation ne se conçoit qu'en groupe, en éléments de meute, et que presque tous les équipages sont éloignés de Paris. On a vu, cependant, la magnifique et réputée meute de douze beagles d'Auxerre, à M. Servet ; des fox-hounds et anglo-poitevins de M. le baron de Rothschild ; des poitevins de l'équipage de M. Loubet, accompagnés de leurs piqueux en uniforme.

Comprise ou non, dans son imperfection inéluctable pour un premier essai, cette présentation des chiens au Salon de la chasse appelle quelques conclusions.

D'abord, contrairement aux appréhensions de certains, la présence des chiens s'impose en un salon de chasse. Parmi tant de choses inertes, d'animaux et d'oiseaux figés, même, ainsi que c'était le cas, dans des poses les plus naturelles, les chiens mettent un peu de vie, ils créent l'ambiance, et le succès que leur a ménagé le public en est la preuve.

Un élément de ce succès fut aussi leur présentation dans un chenil, complément de l'ambiance, et non dans des cages étroites ou à l'attache à un piquet. Ce facteur est à retenir pour des présentations éducatives. Pour être vu avec profit, un chien doit pouvoir se mouvoir, avec un peu d'espace autour de lui.

La formule de présence permanente d'un nombre restreint de sujets est bonne, à condition de réunir à tour de rôle des spécimens des diverses races ou de races apparentées dans un but de comparaison et d'en publier le programme à l'avance. Cette formule se trouverait améliorée si elle était accompagnée de brèves causeries éducatives à heure fixe.

La présentation générale ou synthèse, accompagnée également de commentaires, doit être un complément de la première. Au cours d'une manifestation de quinze jours ou trois semaines, elle devrait être renouvelée deux fois.

Mais ce que nous voudrions faire comprendre, c'est l'intérêt qu'auraient les clubs à prendre de telles initiatives en dehors d'un salon de la chasse. Ce serait là un excellent moyen de remplir ce rôle éducatif qui est, ou qui, du moins, devrait être une de leurs tâches. La preuve est faite, en effet, qu'en dehors d'une catégorie de producteurs attirés dans les expositions par des prix conférant une auréole commerciale, il existe des amateurs capables de se déranger, même avec sacrifices, dans un but strictement sportif. C'est à ceux-ci qu'il appartient d'imposer à leurs clubs de telles initiatives.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 528