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Le Harrier-Porcelaine

Un abonné du Chasseur Français m'écrit : « Vous avez préconisé le Harrier-Porcelaine. Mais il n'y a pas que des chasseurs à courre ! La grande majorité chasse à tir. Ne croyez-vous pas que le croisement harrier préjudicie aux qualités de nez ? Je crois que vous seriez agréable à bon nombre d'entre nous en examinant cette question plus à fond. »

D'abord, dans l'article auquel fait allusion cet abonné, je n'ai pas spécialement recommandé le Harrier-Porcelaine. J'ai simplement dit que, pour ceux qui voulaient faire du petit Anglo-Français, deux courants de sang français seulement s'offraient à eux : le Porcelaine par le Harrier-Porcelaine, et l'Ariégeois.

Si j'ai dit par le Harrier-Porcelaine, c'est parce que je crois bien que le Porcelaine à l'état pur doit être excessivement rare.

Mais je cède d'autant plus volontiers à la suggestion de mon correspondant que cette question du Porcelaine est tout particulièrement intéressante et que les avis les plus divers existent à son sujet.

Son appellation même a donné lieu à des hypothèses très variées.

Les uns disent : on l'a dénommé chien en porcelaine, puis chien de porcelaine parce qu'il a une apparence très fragile.

D'autres supposent que c'est par similitude avec le terme : cheval porcelaine, qui désigne le cheval blanc avec reflets argentés.

Les deux explications sont très plausibles.

Une troisième l'est beaucoup moins, selon laquelle le mot porcelaine dériverait du vieux mot français porcelet, pour indiquer que c'était un chien de sanglier !

Son origine même est très controversée. Certains disent qu'il est français. La Société de vénerie et la Société centrale canine ont adopté cette solution, puisque, dans la nomenclature officielle des chiens courants, il figure parmi les chiens français.

D'autres soutiennent qu'il est suisse. D'autres qu'il est franco-suisse. D'autres enfin — les plus rares — estiment qu'il nous viendrait des rives du Rhin.

Toutes ces incertitudes et toutes ces divergences s'expliquent facilement.

Les plus vieux ouvrages parlent de presque toutes nos races de chiens courants. Ils sont, par contre, absolument muets sur le chien de Porcelaine. On n'en trouve trace dans les écrits cynégétiques, pour la première fois, qu'en 1845, dans le Journal des Chasseurs, où le marquis de Poudras publie les gentilshommes chasseurs. Dans le chapitre intitulé : « Les chasses de la gendarmerie de Lunéville », il raconte que le duc de Choiseul, chargé de former un équipage de lièvre, fit venir de Suisse une meute de soixante chiens « d'une race nouvelle, mais déjà renommée ».

Cette narration, nous le verrons plus tard, n'a aucune valeur documentaire sérieuse. Mais elle est tellement jolie qu'elle plaira, sans doute, à bien des lecteurs. Il est donc bon d'en extraire les principaux passages. Elle a d'ailleurs le mérite d'avoir fait connaître les chiens Porcelaine et leurs qualités. Voici donc dans quels termes le marquis de Poudras nous conte la première chasse de ces soixante chiens venus, d'après lui, de Suisse :

« Jamais on n'avait rien vu d'aussi vif, d'aussi élégant, d'aussi propre que ces soixante chiens. On eût vraiment cru que chacun d'eux avait été élevé sur les genoux d'une duchesse et nourri avec de la mouée de biscuits de Reims. Chacun de nous trouvait ces petites bêtes ravissantes, mais les hommes du métier avaient quelque doute sur leurs mérites sérieux, et on se demandait avec inquiétude comment ces oreilles de velours pourraient affronter les ronces des taillis et comment ces pattes transparentes à force d'être fines se tireraient d'affaire dans la boue. Nous allâmes découpler sur la lisière d'un petit bois situé à peu de distance de la ville. Les soixante chiens furent libres à la fois. Pendant un quart d'heure, nous n'entendîmes qu'un frétillement qui allait toujours en s'affaiblissant parce qu'ils s'éloignaient. Tout à coup, une harmonie délicieuse fit explosion à quelque distance. Je dis explosion parce qu'aucun accord isolé ne nous prépara à l'entendre. Toutes les voix qui la composaient partirent à la fois avec un merveilleux ensemble. C'était ravissant, et nous nous regardions tous avec une radieuse satisfaction, ne pouvant croire que les exécutants de ce merveilleux concert fussent les petits chiens de Porcelaine du duc de Choiseul. Cela dura pendant une heure et demie environ, sans autres interruptions que de courts défauts, que je comparais à des points d'orgue. Jamais je n'avais vu, ni même rêvé, rien de semblable à cette chasse, et surtout à cette meute si agile, si élégante, si ensemble, si harmonieuse. Quand elle passait sur les sillons, on eût dit une volée de colombes blanches rasant le sol ; quand elle glissait sous bois, on se figurait des sylphes insaisissables retournant à leurs demeures inconnues, et, quand le lièvre fut pris, il n'y eut pas une seule de ces ravissantes bêtes qui voulût plonger son museau dans le sang. »

Que retenir de ce récit empreint de toute la poésie d'une imagination féconde ?

L'importation de soixante chiens suisses est une invention pure de l'auteur. Le commandant de Marolles, chercheur infatigable et sûr, a fait une enquête sérieuse en Suisse. Il en résulte que cette importation d'une meute était une impossibilité absolue, pour la raison simple et péremptoire que, à cette époque, il n'existait aucune meute de ces chiens en Suisse, où les petits blanc et orange n'existaient que par sujets isolés et éparpillés un peu partout.

Il est certain que des chiens Porcelaine ont été introduits en France, en venant de Suisse — mais il s'agissait moins là d'importation que d'un retour de chiens français. Au moment de la Révolution, un certain nombre de Porcelaines ont été expédiés en Suisse. Après la tourmente, ils sont revenus, eux et leurs descendants. Il est bien impossible que, parmi ces descendants, il y ait eu des sujets croisés de Porcelaines et de chiens suisses. C'est ce qui a incité certains auteurs à les qualifier de franco-suisses.

La solution la plus logique et la plus conforme à la réalité est celle qu'a adoptée le commandant de Marolles : c'est la très proche parenté entre le Porcelaine et le chien suisse. Voici comment il conclut sa magnifique étude sur le Porcelaine : « Nos Porcelaines purs (?) et les chiens blanc et or de Suisse purs (?) forment deux branches briquettes d'une même sous-race, dont les grands-parents étaient de race d'ordre de Saint-Hubert blanc de Lorraine. »

Les deux points d'interrogation après les mots purs existent dans le texte même du commandant. C'est la preuve qu'il avait de sérieux doutes sur la pureté absolue des deux variétés, ce en quoi il avait parfaitement raison.

Si l'on n'est pas très fixé sur l'origine exacte, on sait tout au moins que la souche du Porcelaine moderne remonte aux chiens du Dr Coillot, qui a expliqué comment lui- même avait été en possession de ses premiers Porcelaines.

« L'abbaye de Luxeuil, a-t-il écrit, tenait ses chiens de l'abbaye de Cluny, et ils auraient disparu dans la tourmente révolutionnaire si, avant la Révolution, le dernier supérieur de l'abbaye de Luxeuil, le comte de Clermont-Tonnerre, n'avait fait cadeau d'un couple à mon grand-père, le Dr Coillot, par reconnaissance de ses soins médicaux et chirurgicaux. Mon père ne les conserva pas, mais il avait heureusement donné quelques chiens à M. de Rosne, qui m'en rendit, plus tard, un couple : la chienne Cléo (diminutif de Cléopâtre) et Termino. Ce sont ces deux chiens qui ont été la souche de la jolie meute qui a fait mes délices de 1865 à 1896. »

Après avoir signalé l'invention pure du marquis de Poudras, que peut-on trouver de véridique dans son récit poétique ? On peut en déduire :

    1° Que ces chiens de format assez réduit étaient d'une élégance et d'une distinction rares, peut-être même jusqu'à l'extrême légèreté, parce qu'il leur attribue des pattes presque transparentes et puisque tous mettaient en doute leur aptitude à chasser en terrain difficile.

    2° Qu'ils se montraient chasseurs endiablés, admirablement ameutés, doués de jolies voix et d'un nez excellent, bien servis par un physique très supérieur aux apparences, un bon train et du fond, puisque en une heure et demie ils forçaient leur lièvre.

(À suivre.)

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 530