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A propos du "Raid de Sologne"

Le 3 juin dernier, s'est disputée à Yvoy-le-Marron (Loir-et-Cher) une épreuve sportive originale organisée par plusieurs journaux parisiens, mettant en compétition, sur des parcours appropriés et conjugués autant qu'il était possible, des coureurs à pied, des coureurs cyclistes et des cavaliers.

La distance à parcourir était, pour les « pédestrians », de 22 kilomètres, pour les cyclistes de 90 et de 30 seulement pour les cavaliers, qui, a priori, semblaient bénéficier d'un-handicap favorable vis-à-vis de leurs concurrents. Et, de fait, ils en furent les « grands vainqueurs », d'après le palmarès suivant :

Course à pied :

1er Kardonen (Finlande), 1 h. 13’ 25’’ ; 2e Cérou (A. S. Montferrandaise), 1 h. 14' 18'’, devant Holden et Stone (Grande-Bretagne) et douze autres participants.

Course cycliste :

1er Passot (I. I. Paris) en 2 h. 19’ ; 2e Bobet (V.-C. Levallois) ; puis Dirrix (A. C. B. B.), Milion (V.-C. Courbevoie), Decelle, Champion, etc.

Les douze concurrents, partis de Blois, restèrent très groupés jusqu'à Chaumont, où se manifestèrent les premières tentatives d'échappée.

Course hippique :

Les frères jumeaux Lefèvre-Despeau, de Paris, se classèrent respectivement premier et second ; 3e brigadier Morillon (Fontainebeau) ; 4e Lebreton (Blois) ; 5e capitaine Herien (Fontainebleau), etc. À notre grand regret, nous n'avons pu obtenir le nombre des cavaliers, ni la durée des parcours qu'ils ont effectués.

Au classement général du rallye, l'équipe des cavaliers fut classée première, devant les coureurs à pied, puis les cyclistes.

Bien que le sport hippique soit celui qui garde nos préférences parmi tous les autres sports et que nous soyons toujours disposé à applaudir aux performances, plus ou moins méritoires, dont il fournit l'occasion, nous ne pouvons le faire ici qu'avec de sérieuses restrictions. Car, s'il est vrai qu' « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire  », il est des succès, disons plutôt des résultats, obtenus dans de telles conditions et circonstances qu'on les enregistre avec encore plus de regret que de satisfaction.

La « randonnée » des cavaliers, qui nous semble avoir motivé des vitesses d'hippodrome de la part de plusieurs concurrents, nous y oblige, après avoir appris que deux chevaux, montés par des officiers, étaient morts au cours de l'épreuve et que la gagnante elle-même, la jument « Houlette », avait terminé son parcours dans un état d'épuisement inspirant les plus vives inquiétudes.

À la manière de l'admirable soldat de Marathon qui vint, après une course épique (mais volontaire !), annoncer la victoire à Athènes et tomba mort au milieu de l'Agora, ces chevaux, très certainement soumis à des excitations abusives autant qu'intempestives, y ont répondu aussi de tous leurs moyens, de tout leur cœur, jusqu'à en « mourir pour mieux obéir », ainsi qu'a dit Buffon, en glorifiant notre plus noble conquête.

Et ces accidents nous remettent en mémoire un « slogan » frondeur, que nous avons entendu maintes fois répété au cours de notre jeunesse de cavalier : « Avec les éperons à soi et un cheval appartenant à l'État, on peut tenter l'impossible ! »

Eh bien ! non, dans certaines circonstances, tout n'est pas possible, car les chevaux ne sont pas des machines inertes, dont le rendement peut toujours être poussé au maximum, mais des êtres vivants, sensibles, dont tous les organes : muscles, cœur, système nerveux, en particulier, ne peuvent être sollicités et éprouvés, au delà de certaines limites, sans que la vie de l'animal soit en danger. La fatigue — prise dans son sens le plus large — est une accumulation de produits de déchet dus au travail musculaire, une véritable intoxication qui disparaît sous l'influence du repos, tandis que le surmenage est une intoxication brusquée, sans possibilité d'élimination des toxines produites, des suites d'efforts violents, répétés et prolongés sans discernement de la part de cavaliers inexpérimentés.

Dans une semblable épreuve, les chevaux qui ont succombé ne sont pas morts à bout de souffle, comme on le croit ordinairement, mais littéralement empoisonnés, faute d'avoir eu un instant de repos. Repos absolument nécessaire pour permettre l'expiration de l'acide carbonique, la décongestion des muscles et surtout celle des reins qui se traduit par une succession de symptômes aboutissant au « surmenage suraigu » de la médecine vétérinaire, ou à « l'hallali » de l'animal forcé dans une chasse à courre.

La manifestation des signes de cette forme de surmenage, par rapport au surmenage aigu ou chronique presque toujours guérissable, évolue avec une rapidité effrayante. L'animal ralentit l'allure, réagit moins aux excitations ; il est extrêmement essoufflé, avec les naseaux très dilatés ; les mouvements du flanc sont précipités. Les battements du cœur, discordants, sont excessivement violents, au point qu'on peut les entendre à distance, avec le « toc », un bruit spécial caractéristique, bien que le pouls reste faible. La démarche devient bientôt vacillante, puis l'animal se laisse tomber sur le sol, les masses musculaires contracturées, les mâchoires serrées comme dans le tétanos. La respiration, de plus en plus difficile, ne tarde pas à s'arrêter, et la mort peut survenir en moins de dix minutes ; dans certaines circonstances, quand le surmenage atteint le cœur, elle peut être encore plus brutale, un cheval s'immobilisant en pleine course, en présentant des tremblements généraux et mourant, comme s'il était foudroyé.

Cavaliers sportifs qui participez à des épreuves plus ou moins sévères de vitesse ou durée, malgré l'attrait de la victoire et la surexcitation de la lutte, pensez au risque de ce surmenage tragique auquel vous pouvez condamner votre cheval si vous abusez de ses forces et de son courage. Et surtout ne courez votre chance qu'après l'avoir soumis à un entraînement approprié, qui le mettra progressivement en « condition », puis dans la « forme » désirée, pour qu'il puisse fournir, avec le minimum de fatigue, les efforts les plus violents que vous serez amené à lui demander.

J.-H. BERNARD.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 541