On appelle « allures » les différentes directions
que peut suivre un bateau à voiles par rapport à la direction du vent.
Supposons le bateau au mouillage sur son ancre. Le yacht reçoit le vent sur son
avant ; il se trouve dans le lit du vent. C'est dans cette position
du vent debout qu'il faut se placer pour hisser les voiles avant de rentrer
l'ancre à bord pour faire route. Dès que le bateau sort de sa position debout
au vent et reçoit celui-ci sur la hanche, la voile se remplit, et le bateau
avance. L'axe du voilier fait avec la direction du vent un angle qui varie avec
le type et le gréement du yacht, soit 45° environ pour les yachts modernes.
C'est ce qu'on appelle l'allure du plus près. Si le bateau reçoit le
vent par le travers, soit sous un angle de 90°, c'est l'allure du largue.
S'il le reçoit droit sur l'arrière, c'est l'allure du vent arrière.
Entre ces trois allures principales, il y a des positions intermédiaires :
le petit largue entre le vent de travers et le plus près, le grand largue entre
le largue et le vent arrière, etc.
Gouverner, c'est diriger le bateau vers un point fixé dans
les conditions les meilleures, quelle que soit la direction du vent. Nous
connaissons l'effet du vent sur les voiles et l'importance des centres de
voilure et de dérive. Étudions la manœuvre d'un petit cotre bien équilibré et
portant seulement grand-voile et foc. Nous recevons le vent par le travers et
nous filons à l'allure du largue. Dans cette position, les voiles ne doivent
pas être trop plates. Nous mollirons donc légèrement les écoutes. La grande
écoute est filée et le gui fait avec la quille un angle de plus en plus grand,
suivant que la direction du vent se rapproche davantage de la direction de la
route et par conséquent de l'axe du bateau, angle qui va jusqu'à être un angle
droit quand le bateau reçoit le vent droit par l'arrière.
Si, dans l'allure du largue, le bateau abandonne sa
direction et tend à lofer, c'est-à-dire à venir debout au vent, comment
allons-nous le redresser ? Renonçons à toucher au gouvernail que nous
laisserons à zéro. N'oublions pas d'ailleurs que toute pression agissant sur le
safran du gouvernail diminue la vitesse du navire. Cherchons donc à équilibrer
le bateau en nous servant uniquement des voiles. Si la position d'équilibre du
début à été rompue, c'est que le centre de voilure s'est déplacé par rapport au
centre de dérive. Pour corriger ce déséquilibre, nous allons agir sur le centre
de voilure et le ramener au-dessus du centre de dérive, c'est-à-dire, dans
notre exemple, le porter en avant. Nous avons le choix entre deux méthodes :
donner du mou (1) à l'écoute de grand-voile, ce qui diminue l'effort de la
voile arrière, ou border (2) l'écoute de foc, ce qui augmente le rendement de la
voile arrière. Les deux procédés auront le même résultat d'avancer le centre de
voilure.
Par tâtonnements, nous devons arriver à équilibrer le bateau et à lui
faire reprendre sa route droit sur le but fixé. Dans la pratique, on emploie à
la fois les deux procédés afin d'agir en souplesse et d'éviter les réactions
brutales. Dans l'exemple de notre cotre, on mollirait un peu l'écoute de grand-voile
et on borderait légèrement le foc (fig. 1). L'équilibre peut être rompu
dans un sens opposé quand le bateau tend à venir au vent arrière. On dit alors
que le bateau arrive. Le remède consiste à filer le foc et à border la
grand-voile (fig. 2). Ces deux exemples schématisent toute la pratique des
évolutions à la voile. Dans le langage marin, un bateau qui a tendance à
arriver est un bateau mou. Le bateau est dit ardent dans le cas
contraire.
Dans l'allure du plus près, il faut border les écoutes pour
permettre aux voiles de recevoir le vent sous un angle suffisant. Lorsqu'on
serre le vent, en dépassant la position du plus près serré, on voit bientôt les
voiles qui se plissent et battent près du mât. Cet effet est produit par
l'action du vent qui vient frapper à la fois les deux faces de la voile. Si la
barre était poussée sous le vent, le bateau perdrait son erre et toute la voile
battrait, ce qu'on appelle faseyer. Il ne faut donc pas dépasser le plus
près serré si on veut garder de la vitesse. Plus le gui pourra être rapproché
de la direction de la quille sans que le bateau perde son erre, plus on dira
que le bateau fait bien le près.
Un bateau donné fera mieux le près par
petit temps et avec la mer plate que par gros temps avec la mer forte, car, le
choc des lames tendant à arrêter le bateau, il faudra que l'action du vent sur
les voiles soit maintenue plus forte pour contrecarrer cet effet. Un bateau
dont la grand-voile est arrisée (diminuée par la manœuvre de la prise de ris)
fera moins bien le près qu'avec toute sa voile haute. C'est dans l'allure du
plus près qu'on juge un bon barreur. Il devra assurer l'équilibre par une
judicieuse manœuvre des écoutes, et le gouvernail devra à peine intervenir pour
contrebalancer la tendance naturelle d'un cotre à être ardent, c'est-à-dire à
venir debout au vent. Cette tendance est voulue par l'architecte pour les
cotres afin que, dans une brusque rafale, le bateau puisse se soulager de
lui-même.
Dans ces allures du largue et du plus près, le bateau offre
cette particularité de ne pas faire exactement route là où il a le cap, mais
d'être poussé par le vent sur le côté. Il va donc suivre une route
intermédiaire entre la direction du cap et celle du vent, c'est la dérive.
L'angle de dérive peut se mesurer à l'arrière en estimant la valeur de l'angle
formé par l'axe du bateau et par le sillage. Un bon barreur devra réduire cette
dérive au minimum en ne bordant pas trop plat et en ne cherchant pas à faire
trop bon cap, c'est-à-dire à serrer le vent de trop près.
En résumé, l'allure du plus près est la meilleure école du
débutant, puisqu'elle exige l'étude du balancement des voiles, de l'équilibre
de route et de la réduction de la dérive. Mais c'est l'allure du largue qui
donne le meilleur rendement, car toutes les voiles travaillent à plein.
Remarquons que les profanes croient communément que c'est l'allure du vent
arrière qui est la plus favorable à la bonne marche du bateau. Nous en verrons
dans une prochaine causerie les inconvénients et les risques.
A. PIERRE.
(1) Filer, mollir. (2) Souquer, raidir.
|