Au moment où nous écrivons, quel peut être un sujet courant
de conversation entre agriculteurs, sinon les foins ? La saison est venue
depuis quelques semaines de récolter les plantes fourragères, élément
d'alimentation des animaux. L'année 1951 laissera de mauvais souvenirs à cet
égard. Peut-on tirer un enseignement de ces circonstances, enrichir la
tradition, la renouveler en vue de réaliser des progrès ?
Première notion d'ordre général : production fourragère
ne veut pas dire production abandonnée à la nature. Cette notion correspond aux
données extrêmement simples d'une agriculture pastorale et purement
traditionnelle, mais l'analyse a sanctionné des observations anciennes :
l'herbe fraîche n'a pas partout la même valeur ; entre l'herbe du pâturage
et le foin mis en réserve existent toutes les nuances de qualité. Même au stade
du pâturage, il convient de s'efforcer de faire absorber aux animaux la pointe
de l'herbe. Les nouvelles méthodes de pâturage intensif avec rotation des compartiments
ne font que confirmer les meilleures pratiques des maîtres herbagers.
Ce qui est grave, c'est de passer de l’herbe pâturée à la
réserve que contiendra le grenier ou le silo. Quelques chiffres sont édifiants
à cet égard. Maymone a étudié des fourrages séchés par les méthodes de fenaison
suivies dans l'Europe centrale et septentrionale: les pertes varient de 24 p.
100 à plus de 60 p. 100 de la valeur nutritive ; dans les régions
méridionales, avec de meilleures conditions de fenaison, la perte est encore de
24,8 p. 100 de la valeur nutritive. La diminution du carotène est favorisée par
la durée de l'exposition au soleil.
Des observations pratiques avaient déjà été effectuées en
France, il est bon de les rappeler. A l'école d'agriculture de Fontaines, en
Saône-et-Loire, Paturel rapporte les faits suivants : en 1909, le foin est
bien récolté, il renferme 6,25 p. 100 de matières azotées, on entretient 8
vaches qui fournissent 1.787 litres de lait, les veaux pèsent 44 kg,500 à
la naissance, ils réalisent une augmentation de poids de 1 kg,175 par
jour. En 1910, année lamentable, les foins sont mouillés, les 8 vaches ne
produisent que 1.250 litres de lait, le foin qu'elles consomment ne renferme
que 5,37 p. 100 de matières azotées, soit 15p. 100 en moins, la production du
lait accuse 30 p. 100 de diminution ; les veaux ne pèsent que 40 kilos à
la naissance, leur croissance par jour n'est que 0 kg,900 au lieu de 1 kg,175.
Enchaînement rigoureux des faits.
La pluie et le soleil trop ardent constituent donc les ennemis
d'une bonne fenaison ; aussi relit-on avec intérêt les principes dont
s'est inspiré le grand agronome Mathieu de Dombasle dans les pages mémorables
où il décrit comment doit se dérouler une préparation rationnelle du foin. Le
souci de réduire la main-d'œuvre a fait remplacer la fourche et le râteau par
des instruments mécaniques : sans doute s'efforcent-ils d'obtenir les
mêmes mouvements de base, seulement la souplesse, la délicatesse ne sont pas
réellement renouvelées. Des progrès immenses ont été effectués, mais le temps
passe, et de nouvelles exigences se manifestent ; impérieusement, il est
nécessaire de diminuer le nombre d'heures de travail par unité de foin rentré,
car le fourrage sec n'est pas lourd ; d'autres besoins se présentent et il
y a, pour ainsi dire, contradiction au départ entre le volume, la valeur réelle
et la participation humaine à la préparation.
Les regrets du passé éclatent encore lorsque l'on parcourt
les régions qui sont restées fidèles aux pratiques anciennes parce qu'elles le
peuvent ou parce qu'elles ne comptent pas encore. Les régions montagneuses
offrent ce spectacle, par exemple dans l'Est, lorsque à l'automne on voit
préparer les regains manipulés délicatement dès que la rosée est tombée, le
soir, pour rassembler les foins afin d'éviter l'action de la nuit. La faux est
passée très près du sol pour raser le tapis, et la faucheuse s'assouplit pour
essayer de passer aussi bas. Ces foins de montagne sont magnifiques, et je vois
encore, dans l'Isère, un superbe élevage de laitières ne consommant
rigoureusement que du foin de qualité donnant un lait « abondant et riche »,
suivant la formule consacrée, à laquelle il faut ajouter « propre ».
Les petites moyettes de luzerne confectionnées avec le plus
grand soin évitent les manipulations et résistent sous la pluie, la base étant
seulement anémiée si le soleil n'apparaît pas pour accélérer la rentrée. Les siccateurs
venus de l'Europe centrale, et dont l'usage se propage jusqu'en Scandinavie,
ont rendu et rendent encore d'énormes services. Un bon perroquet bien
construit, bien garni, assure la rentrée d'un bon foin, la partie jaunie et
altérée n'intéressant qu'une mince épaisseur périphérique. Encore un souvenir
des perroquets magnifiques chez Crécy, ingénieur agricole, agriculteur aux
environs de Château-Thierry ; la pluie tombait, on n'en avait cure.
À la ferme extérieure de Grignon, nous sommes restés fidèles
au perroquet jusqu'en 1948. A ce moment, la moissonneuse-batteuse entre ;
après l'enlèvement des grains, il faut ramasser la paille, le pick-up-baler
fonctionne. En 1949, un essai est tenté en grande culture. Pour le ramassage du
foin. Une pièce de 10 hectares en luzerne est divisée en deux
parties : une moitié reçoit des siccateurs ; sur l'autre partie, le
fourrage est laissé à terre, le pick-up ramasse le fourrage sec. Il fait beau.
Résultats : même dépense par hectare ; la ficelle, la machine
entraînent les mêmes frais que le siccateur, mais il faut trois fois plus
d'heures de travailleur pour le siccateur. Ailleurs : on applique, la même
année, la méthode à une autre pièce récoltée plus tardivement, la pluie est survenue,
mais elle est rare en cette année très sèche ; l'alerte doit amener à
réfléchir. Le mouvement de réduction des travailleurs se poursuit. En 1950, les
affaires se sont arrangées. En 1951, il pleut, le fourrage aurait été à l'abri
sur siccateur ; il attend pendant plusieurs jours le soleil avant le
pick-up, c'est préoccupant.
Autre suggestion : s'arrêter au fourrage demi-sec,
rentré sans hâte, salage considérable, réussite dans les climats qui assurent
le demi-sec; fournissant avec le silo crémasque des choses remarquables. Un
agriculteur de l'Est veut essayer ; son grenier n'a pas les dimensions de
celui de M. de Solages : accident, incendie de la ferme.
On veut faire mieux. La déshydratation complète est essayée
en divers pays théoriquement ; c'est magnifique. M. Humbert en célèbre les
mérites dans une brochure de belle propagande. Appareils très coûteux,
réduction en marche, mais comment disposer de l'énergie nécessaire au séchage ?
L'ensilage constitue une autre et belle solution. Pendant ce temps, les foins
de 1951 vont être d'une médiocre valeur, il faudra se souvenir des observations
de l'école d'agriculture de Fontaines, prendre les plus pauvres des chiffres
que reproduisent les tables de composition des aliments, corriger les rations.
Souhaitons seulement que le vieux dicton : « année de foin, année de
rien », ne se confirme pas dans un autre rayon de la production agricole.
Les cultivateurs ne sont jamais contents, disent ceux qui ne sont pas de la
profession ; cela s'explique. Science avec prudence est encore une donnée
ancienne, ce sera ma conclusion.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
|