La motorisation et la mécanisation apparaissent aujourd'hui aux
agriculteurs comme une impérieuse nécessité. Avant la guerre de 1939, la
motorisation était assez peu poussée dans notre pays. Le nombre des tracteurs
en service était de l'ordre de 30.000. Dans la plupart des exploitations, les
travaux d'entretien étaient effectués par une main-d'œuvre relativement
nombreuse.
Mais, depuis la fin des hostilités, différentes tendances se
sont manifestées en vue de résoudre des problèmes extrêmement importants, tels
que : rareté de la main-d’œuvre, diminution des prix de revient,
augmentation des rendements. De plus, il y a un net désir, chez les jeunes
particulièrement, de se libérer de certaines servitudes accablantes et de
diminuer leur peine en utilisant les moyens techniques modernes.
Si l'on considère les pays étrangers, les États-Unis
arrivent au tout premier rang. Les tracteurs sont équipés d'une gamme d'outils
portés ou semi-portés permettant d'effectuer tous les travaux de préparation du
sol, les façons, les binages, l'arrachage. Les moissonneuses-batteuses sont en
nombre considérable et la machine de petite dimension — coupe 1m,50, 1m,70 — se
répand de plus en plus. La récolte des foins est totalement mécanisée :
chargeurs de foin, pick-up-baler, field-shopper.
En Angleterre, le machinisme a pris également un très large
essor. Signalons au sujet des récoltes que la moissonneuse-batteuse, en dépit
du climat humide, est de plus en plus utilisée (des installations spéciales de
séchage des grains ont été créées et donnent des résultats très satisfaisants).
L'expérience de la Suisse est pleine d'enseignements. Ce
pays de petites exploitations pousse au maximum la motorisation (tracteur de
10-20 CV). Pour les travaux de transformation : cidre, vinification,
laiterie, etc., les Suisses se groupent en coopératives.
En France, la mécanisation et la motorisation connaissent
les faveurs des paysans. Mais l'équipement d'une exploitation représente des
investissements importants, et les agriculteurs ne pourront réaliser leurs vœux
qu'à condition d'échelonner les paiements correspondants, et cela suppose une
adaptation aux nécessités actuelles des grands établissements de crédit, et
particulièrement du crédit agricole.
Ce problème du crédit étant supposé résolu, il n'en demeure
pas moins que de nombreux agriculteurs, avant d'acquérir les tracteurs et
moteurs et les outils nécessaires, se poseront toujours cette sage question :
« La motoculture est-elle rentable ? »
Empressons-nous de dire que, si des nations pratiques,
telles que les U. S. A., l'Angleterre, la Suisse, ont résolument adopté la
motoculture, c'est bien parce qu'elles ont répondu affirmativement à cette
question. Toutefois, la motoculture n'est rentable que si certaines conditions
sont réalisées.
Notons tout d'abord que le problème de la motorisation est
différent suivant la nature et l'étendue de l'exploitation, suivant la région,
suivant les cultures. De plus, on ne pourra se faire une opinion valable à ce
sujet qu'après avoir observé les résultats obtenus sur cinq années d'emploi,
par exemple, et non en se basant seulement sur une année.
En faveur de la motoculture, il convient de souligner
qu'elle libère le travailleur des champs de servitudes écrasantes. Elle
présente donc, pour l'exploitant, un avantage important au départ.
Motoculture ne signifie pas acheter un tracteur et atteler
derrière n'importe quoi. L'outillage adéquat à adapter constitue un problème
majeur, à la solution duquel agriculteurs, artisans-réparateurs et constructeurs
doivent collaborer. Il faut arriver à posséder toute une gamme d'instruments
parfaitement mis au point pour la motoculture : charrues et instruments de
pseudo-labours portés ou semi-portés, semoirs, distributeurs d'engrais,
planteuses, etc. ...
Les outils portés ou semi-portés ont en général une vie plus
longue que le tracteur. L'exploitant doit pouvoir acheter un tracteur d'une
autre marque sans être contraint de changer tout son équipement. Pour cela les
constructeurs doivent arriver à normaliser très rapidement l'adaptation des
outils.
L'agriculteur ne doit pas conserver des attelées, dont
l'entretien est ruineux pour l'exploitation, dans le seul but de pallier les
indisponibilités de son ou ses tracteurs. Les attelées doivent être remplacées
par du bétail de rente à raison d'« une tête de gros bétail par hectare »
afin de maintenir et même d'accroître, par le fumier obtenu grâce aux
restitutions organiques des animaux, la fertilité des terres.
Pour que l'agriculteur puisse supprimer sans risque ses
attelées, il doit être assuré contre les pannes. Pour atteindre ce but,
l'agriculteur et le personnel chargé du ou des tracteurs, ou motoculteurs,
doivent s'initier à la mécanique, à la vie des moteurs, et être à même
d'assurer les dépannages sommaires. Il est nécessaire, à cette fin, de
développer, les ateliers de ferme et de créer des centres d'apprentissage de
mécanique agricole. De plus, les artisans-réparateurs doivent compléter leur
instruction professionnelle et acquérir un outillage moderne afin d'assurer
dans le minimum de temps, et, chaque fois que cela sera possible, à la ferme
même, les réparations.
Les tracteurs doivent pouvoir être alimentés avec un
carburant national bon marché : gaz de forêts, gaz de fumier, essence-alcool.
Une solution technique et économique doit être trouvée à ce problème.
Enfin, la motorisation de l'exploitation, petite ou grande,
appelle nécessairement l'organisation rationnelle du travail, afin d'employer à
bon escient son matériel, de le faire tourner au maximum avec le minimum de
personnel. En outre, les exploitants doivent regrouper leurs terres. Le
morcellement extrême nuit à la rentabilité de la motoculture.
Voici brièvement énoncées les conditions principales qui
assurent la rentabilité de la motoculture. Si elles sont remplies, elles
entraîneront : augmentation des rendements, plus grande rapidité
d'exécution des travaux, abaissement des prix de revient, économie de
main-d'œuvre, maintien de la fertilité des sols, abolition des servitudes de la
terre, arrêt de l'exode rural, amélioration des conditions d'existence,
satisfaction des travailleurs des champs, augmentation des temps de loisirs,
possibilité d'épanouir sa personnalité.
G. DELALANDE.
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