Les vastes dimensions du Grand Palais, à Paris, ne permirent
cependant pas d'y réaliser un véritable « Salon de l’Aviation » à
l'échelle du développement de la technique aéronautique 1951.
Certains constructeurs avaient d'ailleurs boudé l'exposition
des Champs-Élysées. Il devient en effet de plus en plus difficile et onéreux
d'y présenter des avions complets, remontés sur place après avoir été au
préalable démontés dans les usines. Le démontage et le remontage de l'« Armagnac »,
par exemple, aurait nécessité plusieurs mois de travail. D'autre part, les
avions modernes de transport deviennent toujours de plus en plus grands ...
Le « Brabazon » anglais, avec ses 70 mètres d'envergure, aurait été
bien à l'étroit au Grand Palais.
C'est pourquoi le XIXe Salon de l'Aviation, manifestation unique
au monde, organisée par l'Union des industries aéronautiques françaises,
déborda de son cadre habituel pour s'installer aussi dans une enceinte réservée
à l'aérodrome du Bourget où les avions furent amenés en vol. Exposition
statique et vols de démonstration sur cet aérodrome qui lui valurent les
faveurs du grand public. La journée du 1er juillet en fut
l'apothéose par l'ampleur et la qualité des présentations.
Les enseignements du Salon.
— Peu de nouveautés à ce Salon, qui confirme cependant les
énormes possibilités de la propulsion par réaction. Les avions présentés
étaient, pour la plupart, connus des techniciens et aussi des profanes qui
avaient pu les examiner au Salon 1949.
Mais, si en 1949 ces avions — surtout du côté français —
étaient des prototypes et des espoirs, ils sont aujourd'hui des réalités et des
appareils parfaitement au point et utilisés couramment. Des améliorations, des
modifications, répondant aux exigences de l'O. A. C. I., leur
ont fait acquérir, d'autre part, la classe internationale. Peu de prototypes
donc à ce Salon. Il est vrai que les crédits insignifiants accordés depuis deux
ans aux avionneurs français pour leurs études et réalisations futures ne
pouvaient manquer de conduire à cette situation. Déjà l'on se demande en quoi
consistera l'exposition française au Salon 1953, si des moyens puissants ne
sont pas donnés immédiatement à nos constructeurs et à nos ingénieurs afin que
notre industrie aéronautique améliore sa position à l'échelle internationale.
Il est intéressant de signaler à ce sujet que, dans tous les pays du monde, une
part importante des moyens financiers nécessaires aux études aéronautiques et à
la réalisation des prototypes est fournie par l'État.
Il faut cependant noter la présentation du S. I. P. A. 200,
premier avion à réaction de moyenne puissance qui pourra être un avion de
tourisme pour pilotes confirmés. À signaler aussi les réalisations de Fouga
Aviation, avec son petit biréacteur « Gémeaux » et son petit avion de
performance à réacteur « Lutin ». Dès l'apparition du frère aîné de
ces appareils, le Fouga « Cyclone », qui fut le clou du Salon 1949,
nous avions cru en la formule, et il se confirme qu'elle offre d'étonnantes
possibilités.
La France a dans ce domaine, grâce aux travaux et
réalisations des ingénieurs Mauboussin, Castello de Fouga, Szydiowski de Turboméca
et ceux de S. I. P. A., une avance indiscutable. Souhaitons
qu'elle soit exploitée hardiment.
Passons rapidement sur les avions militaires « Ouragan »,
« Grognard », « Espadon », « S. O. M. 2 »,
« Cargo Nord 2501 », appareils d'interception, de bombardement léger
à réaction ou de transport de troupe. La plupart de ces appareils sont
actuellement ou seront construits en série. Le dernier-né, qui est
véritablement un prototype, est le « Mystère ». Dérivé de l'« Ouragan »,
il se caractérise par son aile en flèche fortement prononcée. Il doit atteindre
la vitesse sonique. Cependant l'« Espadon » S. O. nous a semblé,
et de beaucoup, le plus rapide, splendide appareil français qui franchira
certainement la barrière sonique très prochainement.
En ce qui concerne les avions commerciaux, nous ne nous
étendrons pas longuement sur les « Armagnac », S. O. « Bretagne »,
Bréguet « Deux Ponts ». Pour nos lecteurs, nous en avons déjà donné
les principales caractéristiques. Au cours de nombreux vols de démonstration,
techniciens et profanes purent apprécier les grandes qualités de ces appareils.
Certaines compagnies françaises et étrangères confirmèrent
notamment, en ce qui concerne le S. O. « Bretagne », des
commandes assez importantes de cet appareil parfaitement au point. Belle
présentation aussi d'un « Bretagne » muni de deux moteurs à réaction.
Ce prototype devient ainsi le S. O. « Nene ». Il servira de banc
d'essai et facilitera la naissance des avions commerciaux à réaction étudiés
par la S. N. C. A. S. O., notamment du géant
quadriréacteur S. O. « Champagne », spécialement conçu pour
desservir les grandes lignes de l'Union Française à la moyenne de 700 kilomètres
à l'heure.
Avions de tourisme et hélicoptères.
— Présentation moins importante d'appareils de tourisme à ce
XIXe Salon. Le grand public en a été déçu.
En effet, il aimait à examiner de près, à essayer les
moelleux coussins, à tâter les commandes de ces petits appareils dont certains
rêvaient l'achat. Dans le domaine des hélicoptères, il eut par contre quelques
compensations et il s'intéressa particulièrement à l'hélicoptère à réaction « Ariel
III ». Ce type d'appareil français est certainement en tête de la
technique mondiale.
Participation étrangère.
— Sans être massive, la participation étrangère fut tout de
même importante. Peu de véritables prototypes cependant. Anglais, Italiens,
Américains, Hollandais s'attachèrent surtout à donner un caractère de prestige
à leur présentation en vol le 1er juillet. Il est cependant
intéressant de noter à ce sujet que, si le « Comet » à réaction
britannique est une brillante réussite, le « Brabazon » géant se
révèle inutilisable commercialement ; il sera abandonné, pour le plus
grand désespoir de chaque Anglais, dont il était l'orgueil. Hollandais,
Italiens et Américains présentèrent leurs dernières réalisations en avions
militaires et quelques avions de tourisme.
Moteurs et réacteurs.
— Ce salon marque indiscutablement le redressement réalisé
par nos constructeurs de moteurs. Absence encore, certes, de moteurs à pistons
de grande puissance, nous manquant pour équiper nos avions commerciaux, mais
réalisation de réacteurs de classe internationale. L'« Atar » de la S. N. E. C. M. A.
est une réussite et va être construit en série. Il n'est pas inutile de
souligner l'amélioration considérable de la poussée qui a été obtenue chez Hispano-Suiza
sur le « Nene » d'origine anglaise, tandis que Turboméca vient
incontestablement en tête de la technique mondiale avec toute la gamme de ses
petits turboréacteurs. Ajoutons que la firme du regretté précurseur Râteau met
actuellement au point un réacteur de grande puissance dont, à mon grand regret,
je n'ai pas l'autorisation de vous donner aujourd'hui les caractéristiques
nouvelles. L'« Escopette », le petit pulso-réacteur de la S. N. E. C. M. A.,
passionne de nombreux amateurs et chercheurs. Quant au puissant pulso-réacteur
de l'Arsenal de l'Aéronautique de l'ingénieur Vernisse, il sera fort
intéressant d'en suivre les essais au banc et, fort probablement, très bientôt
en vol.
Équipements et instruments de bord.
— C'est bien le domaine du Salon qui présenta les nouveautés
les plus sensationnelles. Les ingénieurs des firmes spécialisées ont réalisé
des merveilles pour soulager dans leur tâche pilotes, mécaniciens et radios,
qu'ils soient militaires ou navigants des lignes. Les avions modernes sont à ce
point complexes que leur cabine de pilotage est un véritable laboratoire aux
plusieurs dizaines de cadrans, ou signaux de contrôle ou d'avertissement
d'anomalies de fonctionnement. Grâce aux travaux de ces ingénieurs, si l'homme
n'est pas encore totalement remplacé, il est cependant admirablement secondé
par son ... rival : le robot.
Le public put voir au Grand Palais quelques-uns de ces
appareils électroniques : postes de radio, de guidage en vol, de divers
radars pouvant suivre l'évolution de l'appareil perdu dans le brouillard
jusqu'à 50 kilomètres de distance, systèmes électroniques capables d'actionner
automatiquement une mitrailleuse ou un canon après les avoir braqués sur un
objectif mobile. Des diagrammes et des schémas animés des démonstrations ne
manquèrent pas de captiver intensément les visiteurs du Grand Palais. Certes,
cet aspect nouveau de la technique aéronautique donne l'impression que, de plus
en plus, l'aviation n'est plus à l'échelle de l'homme moyen. Les profanes, les
pilotes d'aéro-club se sentirent comme écrasés par la complexité de ces
appareils électroniques indispensables aux avions à hautes performances.
Sensation d'écrasement créée aussi par les mastodontes et les bolides présentés
au Bourget le 1er juillet ...
Visage nouveau de l'aviation ... visage 1951 !
Il estompe indiscutablement celui que nous connaissions jusqu'à ce jour. Ce
XIXe Salon marque une nouvelle orientation de la technique aéronautique.
Celle-ci se divise résolument en deux compartiments distincts : l'un avec
les géants et les bolides civils et militaires, demandant de plus en plus des
connaissances à celui qui les sert, l'autre avec nos braves « taxis »
de tourisme et d'affaires, nos taxis d'amateurs. Il est simplement dommage que
certaines difficultés financières ne permirent pas de donner plus d'ampleur,
lors de ce XIXe Salon de l'aviation, à la présentation de ce dernier genre
d'appareils.
Maurice DESSAGNE.
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