Nous avons consacré à deux reprises, dans le courant de
l'année, notre causerie à l'étude de cette question et nous devons y revenir
une fois encore. La multiplicité des décisions de justice rendues à son sujet
démontre son intérêt pratique, et la divergence qui se manifeste dans
l'application faite par les tribunaux des textes régissant cette matière
nécessite de continuelles remises au point.
Dans la causerie insérée dans le numéro d'avril, nous
formulions le vœu que la Cour de cassation soit saisie de la question et mette
fin aux controverses qui se sont élevées à son sujet, par un arrêt solidement
rédigé et ne laissant place à aucune incertitude sur la solution qu'elle entend
faire prévaloir. Notre vœu a été rapidement exaucé en ce que la question vient
d'être soumise à la chambre criminelle de la Cour de cassation ; mais nous
regrettons que cette haute juridiction se soit bornée à énoncer, à l'appui de
sa décision, une simple constatation de fait sur laquelle il n'est pas possible
de faire reposer une théorie générale.
Nous rappelons que la question consiste à déterminer quelles
sont la qualification à donner et la sanction à appliquer à l'infraction
commise en cas de divagation des chiens. Doit-on considérer le fait comme la
contravention prévue et réprimée par l'artiste 483, § 3, du Code pénal, qui
prévoit une amende de 2.000 à 12.000 francs, éventuellement assortie d'une
peine d'emprisonnement de huit jours, ou comme contravention à l'arrêté du
ministre de l'Agriculture sur la protection des oiseaux, du 19 février 1949,
pris en application de l’article 9 de la loi du 3 mai 1844 et puni par l’article
11 de cette dernière loi ? La difficulté tient à ce fait qu'il existe
ainsi deux textes prévoyant et punissant la divagation des chiens. Et l'on doit
se demander pourquoi il a fallu deux textes.
L'explication paraît être la suivante : le plus ancien
en date, l'article 11 de la loi sur la chasse, ne peut recevoir d'application
que si l'arrêté ministériel qu'il prévoit a été pris dans le but d'assurer la
protection des oiseaux utiles à l'agriculture ; on a cru que, si cette
condition n'était pas remplie, aucune sanction ne pouvait être appliquée à la
divagation des chiens ; de là l'insertion dans le Code pénal du nouvel article
483 qui punit la divagation, même si la protection des oiseaux n'est pas en
jeu. Or c'était là une erreur, car, bien avant l'ordonnance du 4 octobre
1945, dont l'article 10 a introduit dans le Code pénal le nouvel article 483,
on appliquait à la divagation des chiens, dans tous les cas où l'article 11 de
la loi sur la chasse n'était pas applicable, l'article 471 15° du Code pénal,
le fait de divagation étant alors considéré comme une simple contravention de
police. Tel était le cas lorsqu'il n'existait pas d'arrêté ministériel ou si
l'arrêté interdisant la divagation était pris dans l'intérêt de l'agriculture
ou pour assurer la conservation de toute espèce de gibier, sans concerner
spécialement les oiseaux. L'application, en ce cas, de l'article 471 du Code
pénal avait été reconnue légitime par la Cour de cassation (arrêt du 5 août
1887, rapporté au Recueil Dalloz, année 1888, 1ere partie, p. 186).
L'on admettait encore que, pour que l'article 11 de la loi de 1844 soit
applicable, il fallait que le fait de la divagation fût imputable au maître du
chien, qu'il fût la conséquence d'un fait personnel ou tout au moins d'une
négligence commise par ce dernier ; deux anciens arrêts (Nancy, 4 décembre
1844, et Rouen, 13 décembre 1881) se sont prononcés en ce sens.
Dans l'affaire qui a abouti au récent arrêt de la Chambre
criminelle (22 février 1951), il n'y avait pas de contestation sur le fait
de la divagation, mais seulement sur le texte applicable. L'arrêt, se basant
sur ce que le procès-verbal constatait que l'un des chiens en divagation
emportait un lapin, en déduit que l'arrêté ministériel du 19 février 1949
n'était pas applicable, parce que cet arrêté vise la divagation des chiens en
ce qu'elle affecte le repeuplement des oiseaux.
Malgré l'autorité qui s'attache aux décisions de la Cour de
cassation, nous estimons que ce considérant est entièrement dépourvu de valeur ;
ce qui importe, ce n'est pas de savoir si, en fait, il a été porté dommage au
repeuplement des oiseaux ; la seule chose est de savoir s'il y a eu
divagation des chiens et si l'arrêté prohibant cette divagation a été pris par
le ministre dans la limite des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 9
de la loi de 1844, modifiée par l'article 7 de la loi du 28 février 1941,
c'est-à-dire en vue d'assurer la protection des oiseaux. Et la circonstance que
le chien ait capturé un lapin n'empêche pas qu'il y ait eu divagation et que
cette divagation ait pu avoir pour effet de préjudicier au repeuplement des
oiseaux.
La parole est maintenant à la Cour d'appel devant laquelle
l'affaire devra revenir.
PAUL COLIN,
Docteur en droit,
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.
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