Notre récente causerie concernant les relations de l'index
et des détentes nous a valu quelques remarques qui vont nous amener aujourd'hui
à l'examen d'une question connexe ; on nous écrit en effet : « Vous
précisez que l'arquebusier devra établir les détentes de telle manière que
l'index puisse s'engager facilement et obtenir des départs francs et légers,
mais ne pensez-vous pas que la forme de la crosse est pour quelque chose
également dans la commodité de l'action sur les détentes ? J'ai eu
l'occasion d'épauler d'anciens fusils à piston qui, malgré l'imperfection de
leur fabrication, donnaient l'impression de posséder de meilleurs départs que
bien des armes modernes. »
Très certainement la longueur exagérée d'une crosse est la
cause d'une mauvaise position de la main droite, mais, si la longueur est
convenable, la seule partie de la crosse qui peut jouer un rôle en l'affaire
est la poignée. Dans les armes anciennes et particulièrement dans celles qui
comportaient des crosses à la française, la poignée était généralement cintrée,
et cette forme facilitait à certains tireurs aux doigts courts l'accès sur les
détentes. Nous ne dirons aucun mal des crosses à la française, dont les lignes
ont contribué à nous doter de quelques belles armes, et nous reconnaissons bien
volontiers qu'elles donnaient un excellent appui à l'épaule et la joue. Si
l'arquebuserie moderne a abandonné ce genre de crosse depuis plus d'un
demi-siècle, c'est pour des raisons de simplicité de fabrication et parce que
la sobriété des lignes des bascules actuelles s'accorderait mal avec les
complexités sculpturales des crosses françaises.
N'oublions pas d'ailleurs que la crosse dite demi-pistolet
donne les mêmes avantages, au point de vue de la mise en main, que la poignée cintrée
de certaines crosses à la française.
Ceci dit, il reste à examiner pourquoi cette forme cintrée
peut faciliter l'engagement de l'index sur les détentes ; nous répétons
qu'il y a là une question de constitution physique et d'habitude d'épaulement.
Le chasseur qui possède de longs bras et lève franchement le bras droit arrive
facilement à placer la main droite sur la poignée très droite de la crosse
anglaise, de telle sorte que l'axe de la main se place dans le prolongement du
poignet. Il se trouve ainsi dans d'excellentes conditions pour que l'index
agisse parfaitement et que les doigts gardent leur indépendance et leur
souplesse.
Si nous présentons la même crosse à un chasseur de même
taille, mais de bras plus court et qui épaule en tenant le coude droit plus
rapproché du buste, sa main droite n'arrivera pas à se placer dans le
prolongement du poignet en même temps que l'index cherchera la détente. Il en
résultera à la fois une certaine raideur des doigts et une mauvaise position de
l'index. Ces inconvénients ne se produiront pas avec la forme demi-pistolet,
qui permet une position basse du bras droit en même temps que la coïncidence
des axes de la main et du poignet. C'est pourquoi les chasseurs qui ont quelque
doute à ce sujet se trouveront toujours bien d'essayer, lors de l'achat d'une
arme, les deux formes de crosse qui, actuellement, sont montées sur la plupart
des modèles de fusil. Ils trouveront, dans l'un ou l'autre type, suivant leur
constitution et leurs habitudes, la poignée qui leur convient.
Nous ajouterons que les crosses actuelles, de forme anglaise
ou demi-pistolet, ont perdu les défauts de la crosse anglaise primitive et
possèdent un profil assez étoffé pour assurer un bon appui à la joue dans toute
la partie où le maxillaire et la pommette viennent chercher la position exacte
qui fixera l'œil droit dans le prolongement de la ligne de mire. Cette
précieuse qualité de la crosse à la française, qui donnait une confortable
précision dans l'épaulement, n'est pas perdue dans les armes bien étudiées de
l'époque actuelle. Elles permettent à la fois un maniement rapide, une bonne
mise en joue et le placement correct de la main qui assure la liberté des
doigts, donc l'action facile sur les détentes.
Au sujet de la position de la main droite par rapport au poignet,
nous devons attirer l'attention des chasseurs sur le fait que c'est en grande
partie à l'absence de concordance entre les axes de la main et du poignet que
sont dues les contusions à l'index et au médius dont souffrent beaucoup de
tireurs, même avec une crosse dont la longueur leur convient. Voici, en effet,
comment les choses se passent le plus souvent :
Dans une bonne position de la main droite, l'index
(première, ou deuxième phalange) est touché au moment du recul par la première
détente à la partie externe ; dans les mêmes conditions, le médius reçoit le
choc du pontet également sur la partie extérieure de la phalange. Dans ce cas,
les phalanges de l'un ou l'autre doigt cèdent au recul en pivotant très
facilement autour de l'articulation métacarpienne et n'encaissent qu'un choc
très faible.
Inversement, une mauvaise position de la main amène les
phalanges à être touchées non plus à plat, mais sur leur angle supérieur ;
le jeu de l'articulation n'est presque plus possible, et le choc douloureux se
produit, amenant par répétition une blessure du doigt.
Il suffit, pour se rendre compte de la chose, d'appuyer sur
une phalange à plat ou obliquement ; on constatera tout de suite la
différence de souplesse devant le choc.
Une position convenable de la main sur une poignée
appropriée au chasseur apportera presque toujours un remède définitif à cet
inconvénient désagréable qu'est la contusion des doigts. Si les arquebusiers
anglais ont inventé la détente articulée et le pontet à recul, c'est parce que
leurs crosses très droites ignoraient la forme en demi-pistolet.
Nous terminerons sur une dernière observation : dans
l'action des deux bras sur le fusil, le bras gauche doit assurer plus
particulièrement la direction du tir et le serrage à l'épaule, et c'est
pourquoi on recommande de placer la main gauche aussi loin que possible sur le
devant de bois. Le rôle du bras droit est simplement de caler l'arme sans
raideur, et la main droite doit, au moment du tir, serrer la poignée sans
crispation. Il est facile de se rendre compte combien l'index perd de sa
souplesse dès que la main serre exagérément la poignée ; il est en effet
impossible de séparer l'action des divers muscles de la main, et c'est la une
disposition anatomique acquise dont il faut prendre notre parti.
Nous pensons que le développement des considérations qui
précèdent ne laissera à notre correspondant aucun regret des qualités des armes
anciennes qui, très honorablement, sont aujourd'hui à leur place dans les
panoplies.
Pour le grand bien de notre enseignement à l'occasion, nous
le reconnaissons très volontiers.
M. MARCHAND,
ingénieur E. C. P.
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