Un chien si séduisant à l'œil (1) si distingué, si harmonieux
(avec sa physionomie bien française, sa jolie tête aux oreilles souples et
fines), passionné chasseur et doué d'un excellent nez et d'une jolie voix,
devait normalement tenter bien des amateurs du courre du lièvre, surtout à une
époque où disparaissait de la scène l'Artésien, devenu trop normand, et par cela
même complètement inapte à forcer un lièvre.
Malheureusement le Porcelaine lui-même n'était plus
l'intrépide et vigoureux chien du temps de Foudras.
Dès cette époque, le Porcelaine était déjà excessivement
léger. Depuis, il n'avait fait que s'affiner et s'alléger encore. Les familles
étaient peu nombreuses. On en était arrivé à une consanguinité exagérée qui
aboutissait à une véritable dégénérescence physique ; gracilité du modèle,
manque de santé, de tempérament, de force et même d'énergie.
Le Dr Castets, dans sa très intéressante brochure sur Les
chiens courants descendant des chiens blancs du Roy, fait allusion à la déception
d'un de ses amis qui avait adopté le Porcelaine pur pour la chasse à courre du lièvre.
Sa meute était régulièrement forcée avant l'animal.
C'est exactement ce qui se passait avec les Artésiens
normands. Je me rappelle une polémique avec un vétérinaire farouche de l'Anglo-français
et qui vantait la supériorité des Artésiens normands. Son dernier article fut
tout à fait inattendu et amusant et montra toute la puissance, le bien-fondé et
la logique de son raisonnement.
Il le commençait en faisant l’éloge de l'Artésien normand,
qu'il représentait comme un chien merveilleux. Il le terminait en disant :
« Je dois avouer cependant qu'ils sont incapables de forcer un lièvre.
Aussi ai-je dû leur adjoindre quatre ou cinq Harriers qui font le travail,
tandis que les Artésiens normands font de la musique. » Voilà donc un
veneur (car c'était incontestablement un connaisseur de chiens et un veneur
égaré par le parti pris) qui ne voulait pas de chiens anglo-français, mais qui,
pour réussir, constituait une meute anglo-française.
Les amateurs de Porcelaines ne se sont pas embarrassés de
théories. Ils ont préféré le régénérer avec un sang étranger pour pouvoir
utiliser ses incontestables qualités de chien de lièvre.
Les uns infusèrent du sang de Chambray, excellent chien, bien
sûr, mais tout de même un peu lourd et volumineux pour produire un chien de
petite vénerie.
D'autres firent appel au chien de Billy, qui, si l'on en croît
la thèse, d'ailleurs très séduisante, du Dr Castets, est, comme le Porcelaine,
un descendant des chiens blancs du Roy. C'était donc un croisement à base de
même sang ancestral.
Les plus nombreux utilisèrent le Harrier gris, qui produisit
les Harriers-Porcelaines, dénomination que l'on emploie à peu près
indifféremment pour tous les Porcelaines régénérés. Il est vraisemblable que, à
peu près tous, ont à la fois du Billy et du Harrier dans les veines.
Les adversaires de ces croisements n'ont pas manqué de dire
que :
1° Ils étaient inutiles, parce qu'il y avait dans l'Est
des étalons de retrempe de même sang ;
2° Ils constituaient une erreur provenant de ce qu'on
avait voulu faire un chien de chasse à courre du Porcelaine, qui n'était qu'un
chien de chasse à tir.
J'ignore quelles pouvaient être les ressources de l'Est. Je
ne risque donc aucune opinion sur cette question. Mais je signale que la
seconde objection n'est qu'une inexactitude et une ignorance totale de
l'histoire du Porcelaine. Les chiens dont parlait de Foudras et tous les chiens
des abbayes de Cluny et de Luxeuil, étaient des chiens de chasse à courre.
Même en supposant que le Porcelaine ne veuille rester que
simple chien de chasse à tir, l'argument ne serait pas sans réplique.
Pour le tir, il n'était pas besoin d'augmenter sa vitesse.
Cela, c'est affaire de goût ! Personnellement, même pour la chasse à tir,
j'aime les chiens qui ont de l'allant et du train. Je suis prêt à admettre néanmoins
que d'autres peuvent préférer des chiens plus ajustés et plus lents.
Mais il ne s'agissait pas seulement de faire des chiens plus
vites, mais des chiens plus rustiques, avec plus de santé, plus de force et
plus de résistance.
Or les chasseurs à tir ne peuvent pas se contenter de chiens
faibles et déficients. Je parle, bien entendu, des vrais chasseurs, qui ne se
plaisent pas uniquement à fusiller leur animal dès le départ, mais de ceux qui,
avec les beaux rapprochers, aiment aussi les belles randonnées. S'ils ne
tiennent qu'à tuer, ils n'ont pas à se triturer les méninges pour faire choix
d'une race ou d'un sujet. Il leur suffit d'avoir des lanceurs débrouillards.
N'importe quel bassicot ou n'importe quel corniaud ferait amplement leur
bonheur.
D'autant plus que le tueur ne tient pas du tout aux bons
meneurs. Les chiens qui mènent trop loin et trop longtemps font perdre un temps
précieux qui serait bien mieux employé à la recherche d'un autre gibier.
Pour le vrai chasseur au chien courant, même à tir, il faut
un chien résistant et robuste. Le chien courant est, en effet, de tous les
chiens de travail, celui qui doit avoir les plus grandes possibilités physiques.
Un chien d'arrêt, on le modère, on le fait reposer et souffler
au besoin.
Pour le chien courant, plus un instant de répit dès que la
chasse est commencée.
Le vrai chasseur aux chiens courants n'est pas un monsieur
qui sort pour une petite promenade d'une heure ou deux. Il ne sait jamais où
l'entraînera la chasse. Il ne sait jamais à quelle heure il rentrera, il
n'aurait donc que déboires et amertumes avec des chiens faibles, qui, après le
moindre effort pénible, resteraient à ses talons ou traîneraient lamentablement
derrière les autres.
Ce qui importe à l'utilisateur, c'est moins la discussion
théorique que le résultat pratique. Ce résultat a été des plus heureux pour le
Porcelaine régénéré.
Les Porcelaines de l'Ouest (régénérés) ont composé des
meutes de chasse à courre très renommées et ont été, entre les deux guerres,
les chiens de lièvre les plus employés et les plus brillants.
Au point de vue qualité, ils étaient très supérieurs au
Porcelaine. Au point de vue construction et modèle, ils le surpassaient aussi
de beaucoup.
Que n'a-t-on pas exhibé en exposition sous le nom de
Porcelaines ! D'un côté, de pauvres claquettes avec du type, mais à
poitrine étriquée, au ventre rentré, aux cuisses plates, etc. Des chiens absolument
incapables de chasser sérieusement. D'un autre côté, des veaux blanc et orange,
sans rien de porcelane ! Et ce qu'il y a de plus effroyable, c'est que
j'ai vu des cloquettes détestables sortir du rang avec un carton de C. A. C. sous
prétexte qu'ils avaient du type !
En revanche, j'ai jugé, notamment en 1948, à Tours, un lot
de Harriers-Porcelaines à M. Mottier qui ont fait l'admiration de tous les
connaisseurs par leur modèle solide, leur cachet et leur homogénéité ;
quelques semaines avant, j’avais jugé une chienne provenant du même élevage,
très bien bâtie aussi, mais beaucoup plus française, c'était une ravissante
Porcelaine.
D'ailleurs ceux qui poussent des cris d'horreur à l'idée
d'une infusion de sang étranger dans le Porcelaine font preuve d'une ignorance
complète de l'histoire de la race !
Le Dr Caillot, créateur du Porcelaine considéré comme le
prototype de la race, a lui-même fait appel à des sangs étrangers :
artésien, ariégeois et harrier, pour remédier aux méfaits d'une trop étroite
consanguinité.
Il a exposé, pour la première fois, en 1884, à Paris, et sa meute
inaugura, en quelque sorte, la classe nouvellement créée et dénommée : « Chiens
Francs-Comtois, race de Porcelaine dite de Lunéville ». Dans cette meute
hautement primée comme Porcelaine, figuraient des demi-sangs harriers, et, en
1889, la chienne Cybile, issue de ces demi-sangs, fut particulièrement admirée.
Mais, à cette époque, les amateurs de chiens courants et les
juges de chiens courants étaient avant tout des utilisateurs, des veneurs pour
la plupart, qui se payaient moins d'idéologies de détails et qui ne faisaient
pas la moue aux croisements rendus nécessaires.
A notre abonné qui a peur que des Harriers-Porcelaines de
chasse à courre n'aient pas assez de finesse d'odorat pour un chasseur à tir et
à tous ceux qui partageraient ces appréhensions, je puis donner tous
apaisements. De bons chiens de chasse à tir peuvent être insuffisants pour la
chasse à courre, faute de moyens physiques, ou même faute de nez. Mais des
Chiens de petite vénerie qui forcent leur lièvre, après l’avoir vivement
poursuivi une heure et demie ou deux heures, et après avoir démêlé toutes les
difficultés des défauts ou des forlongers, ont certainement assez de nez pour
donner toute satisfaction à la chasse à tir.
Comment supposer, en effet, qu'ils puissent se montrer
inférieurs dans une tâche infiniment plus facile ?
Paul DAUBIGNÉ.
(1) Voir Le Chasseur Français, septembre 1951.
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