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En haute montagne

Signaux d'alarme

C'est une histoire déjà vieille, mais qui est de tous les temps et ne perd jamais son actualité.

Vers 1912, je crois, j'étais au Montenvers, fort occupé à combler le vide relatif dû à quatre ou cinq repas « tirés du sac » pendant les jours précédents, lorsque Ravanel fit son entrée. C'était alors un guide dans toute la force de l'âge et le chef des montagnards de sa vallée, un homme dont les prouesses alpines ne se comptaient plus. Et, avec cela, toujours de belle humeur, spécialement au retour des grandes aventures, après la victoire. Or, ce soir-là, il avait l'air positivement furieux, les sourcils froncés, le front mauvais, et aucun des alpinistes attablés sur la terrasse ne se soucia de l'interroger, lorsqu'il eut répondu à notre bonjour par un grognement d'ours.

Mais un franc montagnard ne peut longtemps garder pour soi ce qu'il a sur le cœur, et bientôt un formidable coup de poing sur la table nous fut le signal d'ouvrir nos oreilles.

« Écoutez un peu ce qui vient de m'arriver. J'étais parti aux Charmoz avec deux Parisiens et mon porteur. Tout bien : une bonne traversée, des messieurs qui s'y connaissent et dont il n'y a pas à s'occuper. C'est rare. Une fois la course terminée, nous descendons les Nantillons, quittons le glacier, et hardi ! les sacs que nous avions laissés sous un caillou, avec une réserve de vin blanc et de saucisson. Je ne m'embarque jamais sans rien, et mes touristes avaient bien fait les, choses.

» Voilà qu'en mangeant j'entends comme un appel, du côté de Blaitière. Je tiens bon mon saucisson, et j'écoute de toutes mes oreilles. Ça recommence. Deux ou trois fois. Je prends ma montre : c'était bien ça, toutes les dix secondes à peu près.

» Là-dessus, le grand galop. Nous traversons les éboulis presque au pas de course, tout échinés que nous étions de la matinée, et, au bout de dix minutes, je m'arrête pour appeler. Et vous savez, quand je m'y mets, comme je beugle. Bon. J'écoute, on me répond. Un coup de jumelle sur Blaitière et Le Plan, pour voir s'il n'y a pas des « éléphants » en péril dans quelque couloir. Rien.

» Nous repartons, toujours à fond de train ... et nous trouvons toute une bande de touristes, garçons et filles, qui étaient montés vers le pied des aiguilles faire des photos, et qui, criaient de temps en temps, pour voir s'il y avait de l'écho, parce qu'ils étaient contents, pour s'entendre crier. En même temps que nous arrivait une autre cordée, venant du Grépon, qui avait coupé court au-dessus du Rognon en entendant des appels.

» Je vous prie de croire que nous leur avons dit ce que nous pensions de leur bêtise, mais ils avaient l'air tellement ahuris que j'ai préféré m'en aller. C'est malheureux, des idiots pareils ! 

Et le bon guide, dans sa fureur, s'étranglait presque à force d'invectiver contre ces malencontreux hurleurs, qu'il avait pris pour une cordée en détresse.

Il est bon que les jeunes touristes, manquant de pratique alpine, sachent qu'en s'amusant et en criant  « Hou hou ! » à pleine voix, par gaieté bien compréhensible, ils risquent de détourner des caravanes qui se porteront à leur secours. Et le risque le plus grand, c'est que, alertés de nombreuses fois pour rien, les sauveteurs risquent de ne plus se déranger. Et c'est ce jour-là, précisément, que des vies seront en réel péril.

Il est bon de répéter de temps en temps, à ceux qui les ignorent, les signaux employés en montagne.

Signaux sonores, ou lumineux la nuit (lampes électriques allumées et éteintes, feux découverts ou cachés).

Six fois par minute, pendant une minute, puis une minute d'arrêt, et recommencer. Ensuite, un intervalle de quelques minutes, pour écouter.

Ceux qui ont entendu ou vu le signal de détresse répondent par trois cris ou signaux, échelonnés à vingt secondes et repris après une minute d'arrêt.

C'est là un code simple, employé dans le monde entier en matière d'alpinisme, et qui a déjà permis de sauver bien des vies. Les guides et les grimpeurs, comme à la mer les marins des équipes de canots de sauvetage, se font un point d'honneur d'abandonner leurs propres courses au premier appel, pour se porter au secours de ceux qui en ont besoin. On comprend donc la nécessité totale, absolue, de s'abstenir de tout ce qui, en cette matière, pourrait causer une fausse alerte. Et les jeunes gens qui débutent dans la montagne doivent se faire un devoir d'apprendre à connaître ces signaux, tout comme les jeunes conducteurs doivent savoir le code de la route, et cela pour deux raisons :

D'abord, pour ne pas pousser à tort et à travers des cris inconsidérés, qui risqueraient de faire intervenir à tort une caravane de secours.

Ensuite, parce que nul d'entre nous ne peut dire qu'il n'aura jamais besoin, un jour ou l'autre, d'appeler lui-même à l'aide, à bon escient.

Les marins ont toujours, tout prêts sur la passerelle, les deux pavillons N et C, indiquant qu'ils sont en détresse. Les alpinistes eux aussi doivent pouvoir, sans hésitation ni absence de mémoire, signaler leur besoin de secours.

Robert LARAVIRE.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 604