Dans quelles conditions le propriétaire d'un terrain
exploité comme jardin peut-il le reprendre à son locataire ?
— Aux termes de la loi du 7 mai 1946, le
propriétaire désireux de reprendre son terrain doit, en règle générale, observer
les délais et formes prévus en matière de congé.
L'article 5 dispose à ce sujet :
« Nonobstant toute clause et tous usages contraires,
toute location de jardins ouvriers, industriels, ruraux ou familiaux, ne cesse,
à l'expiration du terme fixé par la convention écrite ou verbale, que par
l'effet d'un congé donné par écrit par l'une des parties à l'autre avant le 1er
mai de chaque année pour une date obligatoirement comprise entre le 1er
et le 13 novembre suivant.
» À défaut d'un congé donné dans les délais ci-dessus
spécifiés, il s'opère un nouveau bail dont les conditions sont celles du bail
expiré et dont la durée est égale à un an. »
Il semble bien que ces dispositions se rapportent au cas du
propriétaire qui désire reprendre le terrain pour lui-même.
L'article 6 précise en effet que, si le congé n'est pas
motivé par un différend sur le prix, le bailleur ne pourra consentir une
nouvelle location à un prix supérieur au prix payé par le locataire congédié;
d'où on pourrait cependant déduire qu'une nouvelle location à un prix identique
ou inférieur pourrait avoir lieu.
Mais l'article 6, après avoir précisé que le congé pouvait
valablement être modifié par lettre recommandée avec accusé de réception,
énonce que le bailleur devra, à peine de nullité, faire connaître le ou les
motifs de ce congé en indiquant de façon non équivoque la destination qu'il
entend dans l'avenir donner au terrain.
Si le propriétaire a invoqué son intention de cultiver son
terrain lui-même, alors qu'en réalité il entend le donner en location à une
tierce personne, il s'expose assurément à un recours de la part de l'ancien
locataire.
L'article 8 stipule que, si, dans le délai de six mois après
l'expiration de la location, le motif du congé formulé par le bailleur se
révèle inexact, celui-ci pourra, à la requête du locataire sortant, être
condamné à des dommages intérêts.
Notons que, depuis 1946, les propriétaires de terrains loués
comme jardins n'ont pas eu l'occasion d'exercer leur droit de reprises dans les
conditions ci-dessus.
Depuis la promulgation de la loi du 7 mai 1946, les
locataires n'ont cessé, en effet, de bénéficier de lois de prorogation dont la
dernière prendra fin au 1er novembre 1951, sauf nouvelles
dispositions.
Remarque Importante.
— Les dispositions ci-dessus ne sont plus valables
lorsque le bailleur est une société de jardins ouvriers.
Il ressort en effet de l'article 10 de la loi du 7 mai
1946 que ces régles ne sont applicables qu'aux seuls locataires ou exploitants
de bonne foi des jardins industriels, ruraux ou familiaux.
C'est à dessein que les exploitants de jardins ouvriers
(c'est-à-dire de terrains obtenus par l'initiative d'une association) ne sont
pas visés par le texte. Ils ne sauraient en conséquence, le cas échéant; se
prévaloir de l’article 10 considéré pour obtenir de leur société qu'elle
respecte les délais fixés par la loi en matière de congé.
Cas particulier du propriétaire d'un terrain loué comme jardin
et qui désire reprendre celui-ci pour construire.
— Cette situation a été expressément visée par l'article
2 de la loi du 2 août 1949. On sait que cette loi portait prorogation des
locations de jardins jusqu'au 1er novembre 1950 (date reportée
au 1er novembre 1951 par la loi du 19 août 1950).
Mais le texte précise que le droit au Bénéfice de la prorogation
ci-dessus ne peut être opposé « pour les parcelles sur lesquelles 1e
propriétaire doit édifier dans le délai d'un an une construction à usage
d'habitation ».
Ce droit de reprise spécial a été voté en deuxième lecture
par l'Assemblée nationale en dépit de sa suppression par le Conseil de la
République.
Mais il faut observer qu'alors que le premier texte prévoyait,
pour le propriétaire usant du droit de reprise, l'obligation d'offrir un
terrain de remplacement, cette obligation a été supprimée dans le texte
définitif.
Il reste entendu que, si après avoir argué de son intention
de bâtir pour bénéficier de cette reprise avant la fin des prorogations,
le propriétaire ne réalise pas son projet, ou plutôt ce qu’il prétendait être
son projet, il s'expose, suivant les règles générales posées par la loi du 7 mai
1946, à un recours en dommages intérêts par son ancien locataire évincé.
Ajoutons que la proposition de loi, actuellement en cours de
discussion, portant refonte de la législation des jardins ouvriers prévoit en
faveur des locataires évincés par une manœuvre du propriétaire le droit d'être
remis en possession du jardin par le juge de paix.
DUPONT,
Docteur en droit.
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