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Les porte-greffes du poirier

On sait qu'il n'est pas possible de reproduire, par le semis de leurs pépins, nos différentes variétés de poires de table, et que, même, il est fort rare que le semis permette d'obtenir un fruit de bonne qualité

Aussi est-on obligé de reproduire toutes les variétés de poires que nous apprécions par le procédé du greffage. La transmission par le greffon des caractères de l’arbre sur lequel il a été pris est en effet assez complète pour que l’arboriculteur la considère comme tout à fait satisfaisante. La meilleure preuve en est que ce procédé de reproduction est connu et employé depuis les temps les plus reculés et que c'est, pour le poirier notamment, le seul moyen en usage.

Cependant le greffon, selon qu'il a été fixé sur un sujet ou sur un autre, se comporte diversement dans des terrains de même nature. Il est donc nécessaire de tenir le plus grand compte de ce fait et de choisir le porte-greffe susceptible de procurer les meilleurs résultats dans le terrain dont on dispose. C'est malheureusement ce que beaucoup de personnes, faute, de connaissances suffisantes, négligent de faire, et c'est aussi l'une des raisons, pour lesquelles les résultats obtenus ne sont pas toujours aussi bons qu'on pourrait le désirer.

Le poirier se greffe, sur divers sujets, mais les deux plus couramment employés sont le franc et le cognassier. Dans certains cas particuliers on peut aussi recourir au greffage sur aubépine.

1° Le franc.

— C’est le jeune arbre qui provient du semis d'un pépin. On lui donne plus particulièrement le nom d’égrain lorsque le semis a été fait par la main de l’homme, le plus souvent avec des pépins de poiriers à cidre, tandis qu'on l’appelle plutôt sauvageon quand il provient d'un semis naturel de graines de poiriers sauvages.

Quoique, dans beaucoup de campagnes, on préfère le sauvageon parce qu'on ne connaît que lui, l'égrain est susceptible de le remplacer avantageusement. Il est produit, par centaines de mille, dans les pépinières qui s'adonnent à la production des plants, celles d'Angers par exemple, et il est, en jeunes semis d'un an, d'un prix de revient fort peu élevé et d'un avenir certain.

Tandis que le sauvageon qu'on va chercher dans les bois, et qui ne coûte que le temps de l'arracher, est, malgré son apparence, le plus souvent très âgé. Ombragé par de grands arbres et concurrencé par eux, il a poussé lentement, n'a pas toujours de très bonnes racines, ce qui rend plus difficile sa reprise. D'autre part, enlevé brusquement de l'emplacement qu'il occupait et amené en plein champ, en situation, parfois très ensoleillée, il souffre énormément et a souvent bien de la peine à se remettre de la transplantation.

Le franc est le porte-greffe le plus vigoureux du poirier.

Il permet la culture de cet arbre, relativement exigeant, dans des terres sèches, médiocres, même un peu calcaires, pourvu que ces terres aient une profondeur suffisante pour que les racines puissent s'enfoncer. Celles-ci sont, en effet; pivotantes et vont à une grande profondeur chercher l'eau et les éléments fertilisants nécessaires à une bonne végétation.

On devra donc employer le franc, même pour des formes taillées, toutes les fois qu'on aura des doutes sur la qualité du terrain.

Dans les terrains de bonne qualité, le franc reste le porte-greffe de l'arbre de plein vent, auquel ses racines pivotantes assurent une stabilité et une résistance aux grands vents que ne saurait donner le cognassier. Le poirier haute tige sur franc a une longévité remarquable (nous en connaissons des exemplaires de 300 ans et plus) et, arrivé à complet développement, donne des récoltes très abondantes.

Dans les grands jardins, on fait, avec le poirier sur franc, des pyramides qui peuvent atteindre, avec certaines variétés vigoureuses, 8 à 10 mètres et plus, et deviennent même alors d'un entretien difficile. On en fait aussi des palmettes à branches horizontales et obliques de grande dimension.

On peut encore greffer sur franc, quelle que soit la nature du terrain, les variétés trop peu vigoureuses auxquelles on voudrait voir prendre davantage de développement. Mais il faut alors s'attendre à n'avoir pas d'aussi beaux fruits que sur cognassier, ni une fructification aussi rapide et aussi abondante ; de sorte qu'il importe plutôt, si l’on a un bon terrain, de voir s'il ne vaut pas mieux avoir des arbres peu vigoureux, mais fructifiant vite et donnant de beaux fruits, que des arbres plus vigoureux, fructifiant tard et ne donnant que des produits médiocres. C'est la question que l’on peut avoir à se poser, par exemple, pour Beurré-Clairgeau, Passe-crassane, Comtesse de Paris, Marguerite Marillat, et dont la solution est plutôt une affaire de jugement. Il est en effet certain que le franc ne peut, en aucune- façon, convenir comme porte greffe lorsque l'on envisage la culture du fruit de luxe en vue de la spéculation.

2° Le cognassier.

— On en distingue, plusieurs variétés, cultivées pour servir de porte-greffes au poirier. Les deux plus courantes sont le cognassier d'Angers, obtenu par boutures, et le cognassier de Fontenay, reproduit par marcottes en butte. Le premier est plus résistant à la chaleur et il est plus apprécié dans l'Ouest et le Sud-Ouest, tandis que le second est préféré dans le Nord et la région parisienne. Une troisième variété, le cognassier de Provence, vigoureuse et appréciée dans le Sud-est, se répand depuis peu dans le Centre et y donne aussi d'excellents résultats. Elle offre l'avantage de mieux, supporter le calcaire que les deux précédentes.

D'une façon générale, le cognassier est très exigeant sur la qualité du sol. Il lui faut un terrain riche, assez profond, conservant une certaine fraîcheur naturelle. Si ces conditions ne sont pas remplies, il faudra prévoir une végétation plus faible de l'arbre et se contenter de formes de petite dimension.

Ainsi que nous le disions d'autre part, le poirier greffé sur cognassier commence à fructifier plus vite que le poirier sur franc. Certaines variétés donnent des fruits au bout de trois ou quatre ans, d'autres, plus vigoureuses, réclament plus de temps pour se mettre à fruit.

Les formes les plus courantes à utiliser sont celles de dimension moyenne ou petite : fuseau, palmettes à branches verticales à 2, 3 ou 4 branches selon les conditions, cordons verticaux, obliques ou horizontaux, forme en V ouvert, etc. ... On en calculera le développement selon la qualité du sol, la hauteur du mur ou du contre-espalier, la vigueur de la variété.

Dans certains cas, notamment lorsqu'il s'agit de variétés manquant absolument de vigueur ou se soudant mal au cognassier, on a recours en pépinière au surgreffage. Il consiste à greffer d'abord sur le cognassier une variété vigoureuse ou se soudant bien au porte-greffe, et à regreffer, un peu plus haut, la variété dont on veut avoir le fruit. Cette pratique peut améliorer la vigueur de cette dernière, mais il est nécessaire pour cela que certaines conditions, qu'il serait trop long d'énumérer ici, soient réunies.

3° L'aupépine.

— Ce porte-greffe est depuis longtemps connu et recommandé pour les sols où ni le franc, ni le cognassier ne sont susceptibles de réussir, c'est-à-dire pour les terres sèches et peu profondes, ainsi que pour les terrains calcaires.

La végétation du poirier greffé sur aubépine n'est pas bien vigoureuse, les fruits plutôt petits, la vie de l'arbre souvent assez courte. Aussi ne peut-il être question d'employer ce porte-greffe pour d'importantes plantations. Tout au plus peut-on y recourir pour avoir quelques poires dans des endroits où, faute de lui, il n'y aurait rien à espérer.

E. DELPLACE.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 611