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Grande culture

Le choix des semences

Il est beaucoup question de productivité depuis quelque temps et l'on assure que la productivité d'un Français cet inférieure à ce qu'elle devrait être. Il est facile d'en tirer des conclusions. Chacun cherche tout naturellement à se procurer le maximum de choses utiles ou agréables, d'augmenter ce fameux standing dont la définition varie chaque jour pour la masse, et personnellement pour chaque individu, suivant sa conception de l'existence. Ce maximum désiré, ou désirable, on l'obtient en disposant des moyens financiers correspondants, en recherchant les choses identiques au meilleur marché et, d'une manière générale, sans augmenter la masse des salaires, rémunérations ou moyens d'achat, en espérant voir baisser le prix des choses désirées.

Si l'on voulait pousser plus loin cette analyse sommaire, en négligeant — ce qui n'est pas à dédaigner — les jouissances spirituelles, qui sont d'un autre domaine, une conclusion peut-être simpliste se concevra ainsi : réduction des marges de toutes sortes qui grèvent les prix de vente, augmentation de la masse des produits, ce qui résulte d'une activité plus grande ou d'une révision des conditions de l'obtention en vue de la diminution du prix de revient. Notions qui paraissent faciles, à la portée de toutes les bonnes volontés, mais qui s'entourent d'une obscurité proverbiale : « il est facile, dit-on, de pêcher en eau trouble. »

Mais c'est l'époque des semailles ; le titre de l'article est Le choix des semences. Quel rapport entre le préambule et le sujet de ce jour ? Une semence, c'est en définitive un germe, qui doit reproduire la plante future, entouré des réserves suffisantes pour que le nouveau végétal affranchi puisse vivre par ses propres moyens, emprunter l'eau, les éléments nutritifs au sol, puiser dans l'atmosphère, grâce à un mécanisme remarquable, d'autres éléments de constitution. On comprend aisément que de la petite plante dépend en grande partie le rendement futur ; cela ne constitue pas tout, loin de là, mais le départ a lieu du bon pied et les risques sont moins grands de besoins d'engrais, de façons supplémentaires, somme toute de frais complémentaires qui augmentent ce fameux prix de revient. Retenons le principe d'une graine bien constituée.

La démonstration de la valeur plus grande des gros grains a été faite depuis longtemps et, d'une manière générale, cette règle ne souffre pas d'exception. Toutefois, relevons un fait en passant. M. Bœuf, qui, après l'avoir créé, dirigea avec autorité le Service botanique de Tunisie, devenu, en réalité, le Service agronomique du protectorat, point de départ de magnifiques améliorations agricoles, fut frappé d'un choix très différent des semences chez les côlons et chez les cultivateurs du pays. Alors que les premiers s'attachaient à trier leurs semences, négligeant les petits grains et se conformant aux enseignements généraux, les autres consommaient volontiers les gros grains, mettant les petits grains en terre. Intrigué, le directeur du service botanique s'en référa à l'expérimentation, moyen logique d'éclairer une pratique quelle qu'elle soit.

Voici la réponse. Les grosses semences donnent des plantes tallant plus énergiquement ; les sujets sont ainsi plus exigeants ; le résultat définitif est bon lorsque le sol a été bien préparé ; il existe ainsi des réserves d'eau pour que l'allongement des racines ne souffre pas d'entraves au début de la végétation. Lorsque le sol n'est que gratté tardivement à la veille des semailles, le peu d'humidité qui existe suffit aux plantes plus maigres issues de petits grains; le sol est vert et l'on se contente de cette apparence, sans songer au résultat général déficient.

Cette explication étant donnée, et bonne à connaître pour des cas similaires, concluons donc d'abord à la préparation convenable du sol, ensuite à l'utilisation de semences de meilleure qualité. L'emploi des tarares, aspirateurs, ventilateurs, trieurs, calibreurs de toutes catégories est donc justifié ; à l'impossibilité d'avoir un trieur individuel, charge lourde pour une petite exploitation, il est facile de substituer la notion du groupement ou de l'emploi collectif, entreprises ou coopératives. Le travail n'est pas aussi urgent que pour une récolte et il est facile d'organiser quelque chose qui corresponde à une réduction des prix par unité traitée ; on se rapproche encore de la réduction du prix de revient.

En dehors de cette notion générale de la qualité des semences, du moins quant à leur grosseur, car on pourrait s'étendre longuement sur leur pureté et leur énergie germinative, une question importante concerne le choix des variétés. Faut-il se contenter de semer indéfiniment les mêmes variétés, ou peut-on acquérir des blés améliorés ? Pendant longtemps, les praticiens se sont contentés de procéder à des échanges plus ou moins locaux basés sur la nature du sol, « les prendre en terres maigres pour les loger en terres grasses », recommandait Olivier de Serres, grand partisan du « changement d'air » pour les plantes. Certains procèdent encore ainsi, mais on est de plus en plus curieux à l'annonce de variétés nouvelles.

C'est un chapitre curieux de l'histoire de l'agriculture que cette introduction des variétés améliorées. Pendant un bon demi-siècle, la fin de l'autre et le début du XXe, apparurent des blés nouveaux résultant quelquefois de recherches de types intéressants dans des populations locales, ailleurs de la création systématique d'hybrides longuement étudiés et puis, de plus en plus, de démarquages éhontés ; à ce commerce, les moins scrupuleux, furent les bénéficiaires : il fallut mettre de l'ordre.

La guerre de 1914-1918 étant terminée, on sentait que l'agriculture, négligée, meurtrie, mais enviée, allait constituer un beau terrain de départ ; l'effort sur les semences fut entrepris ; les résultats apparurent magnifiques. Attention plus soutenue pour découvrir des plantes nouvelles dans les populations, la génétique entrant résolument en jeu — n'y avait-il pas eu à Paris, en 1913, une conférence internationale dont l'épanouissement eut lieu véritablement à Verrières, patrie des Vilmorin ; la loi se mit au service des agriculteurs pour policer, mettre de l'ordre.

Aujourd'hui, toute cette œuvre a porté ses fruits ; certains diraient même que les espérances sont dépassées, tant est considérable le nombre de variétés dites nouvelles qui sont présentées chaque année. La Station d'amélioration des plantes de Versailles est chargée, avec le concours de celle de Clermont-Ferrand, de mettre en évidence, et incontestablement, les nouveautés méritant ce qualificatif. Cette année, trois blés ont mérité cette appellation, mais ils viennent s'ajouter à une liste déjà longue parmi laquelle il faut choisir.

Le choix est basé sur des qualités très diverses ; afin d'aider les agriculteurs, il a été décidé qu'à l'avenir l'inscription au catalogue résulterait aussi d'une qualification se rapportant au rendement, à la valeur boulangère, à la résistance aux différentes rouilles, à la verse, au piétin, au charbon, etc. Évidemment, des épreuves rigoureuses devront être organisées, les hommes qui se prononceront auront une responsabilité accrue. Pour l'instant, consolons-nous ; j'estime que le matériel actuel, bien employé, choisi avec compétence, permettrait à la France d'obtenir en année moyenne de quoi assurer sa subsistance, de satisfaire au programme d'exportation qu'il faut considérer comme une condition générale acquise pour le pays. Enfin, retenons bien que le choix des semences est un moyen certain d'accroître la productivité de l'agriculture française ; à mon avis, les experts français sont qualifiés pour répondre à la question ; le point essentiel est de leur donner les moyens de se faire entendre ; c'est plutôt de ce côté que notre pays est trop souvent défaillant.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 614