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Les engrais au vignoble

On doit rendre au sol au moins l'équivalent en matières fertilisantes de ce qui lui a été enlevé par les récoltes.

Ceci est une loi fondamentale de tous les temps, et ceux qui ont voulu la méconnaître ont constaté un abaissement des rendements dû à l'épuisement du sol.

Bien avant l'apparition des engrais complémentaires ou chimiques, le fumier était le seul engrais employé dans les vignobles, et à ce propos il n'est pas inutile de rappeler la composition en éléments fertilisants des trois principaux fumiers employés. Les chiffres s'entendent pour cent du poids du produit.

Chevaux : azote 0,67, acide phosphorique 0,23, potasse 0,72.
Bovidés : 0,34, —  0,13, —  0,35.
Moutons : 0,82, —  0,21, —  0,84.

L'examen de ces chiffres montre que c'est le fumier des bovidés qui est le plus pauvre, et celui de mouton le plus riche. Ce fait est confirmé par la pratique au vignoble, où le fumier de mouton est le plus apprécié.

Il est aussi utile de rappeler que les engrais organiques : fumier, composts, sang desséché, déchets de corne ou de carderie, etc., ne sont assimilables pour la vigne que si le sol de celle-ci est assez riche en chaux. Nous avons vu en effet, dans notre étude sur la bactériologie du sol, que les bacilles nitrificateurs ou autres qui décomposent les matières organiques ont besoin pour se développer, outre de chaleur et d'humidité, d'un alcalino-terreux comme la chaux. D'où nécessité de faire doser cet élément dans la partie superficielle du sol. En cas d'insuffisance, on pourra répandre du calcaire finement broyé, qui est le plus économique. Ce que nous écrivons est d'autant plus utile que nous connaissons des vignobles plantés en terrain argilo-calcaire, reposant sur un sous-sol rocheux, et dont la partie superficielle est décalcifiée.

Les chiffres que nous avons donnés sur la composition des fumiers s'entendent pour produits bien tassés en fosse à l'abri du soleil avec arrosage par temps de sécheresse et récupération du purin. Malheureusement, de telles installations se construisent au compte-gouttes. Sous ce rapport, il y a un travail considérable à faire pour recueillir les quelques centaines de millions qui sont perdus chaque année rien qu'en azote par le mauvais entretien des fumières.

Les engrais complémentaires (ou chimiques) sont nés avec la chimie moderne, et la première moitié du XIXe siècle a vu se développer les laboratoires d'analyse, l'industrie des engrais et les champs d'expérience.

Il a été fait à partir de cette époque un travail considérable, les laboratoires ont analysé non seulement les déjections animales solides et liquides, mais encore tous les produits et sous-produits de la production agricole et des industries du même nom. Si l'on ajoute les analyses d'un très grand nombre de sols et de sous-sols, on constatera que les agronomes de la fin du XIXe siècle étaient armés et pouvaient donner aux praticiens des conseils judicieux.

La production des produits destinés à l'agriculture et à la viticulture a nécessité la collaboration étroite du chimiste, de l'industriel, de l'agronome et du praticien.

Nous retrouvons dans un formulaire de cette époque les doses des engrais organiques et complémentaires que doit recevoir un vignoble, par hectare.

Sols non calcaires, légers : tous les cinq ans, 10 tonnes de fumier de mouton ou 25 tonnes de fumier de ferme, plus 3 tonnes de scories de déphosphoration.

Sols compacts : 25 tonnes de fumier de cheval.

Annuellement (au débourrement).

Terre riche. Terre pauvre.
Kg. Kg.
___ ___
Nitrate de soude 150 400
Ou sulfate d'ammoniaque 150 300
Sulfate de potasse 150 300
Sylvinite ou kaïnite 375-400 780-800

Sols calcaires légers : tous les trois ans, 15 tonnes de fumier de mouton ou 20 tonnes de fumier de ferme.

Marnes calcaires : 20 tonnes de fumier de cheval.

Annuellement (au débourrement).

Terre riche. Terre pauvre.
Kg. Kg.
___ ___
Tourteaux 600 1.200
Ou sang desséché 400 800
Superphosphate 250 500
Sulfate de potasse 150 300
Sylvinite ou kaïnite 375-400 750-800

Loin de notre pensée de critiquer les chiffres ci-dessus, les agronomes d'alors savaient ce qu'ils écrivaient et basaient leurs avis sur l'expérience.

Toutefois il faut reconnaître que, depuis, la biochimie des plantes a fait des progrès ; la bactériologie du sol n'a pas dit son dernier mot ; enfin les conditions économiques ont beaucoup changé depuis un demi-siècle.

Faisons remarquer en passant que, lorsqu'on achète un engrais déterminé, ce n'est pas le poids du sac qui importe, mais celui de l'élément fertilisant. Prenons à titre d'exemple le superphosphate de chaux, et supposons qu'il coûte non logé départ : 890 francs pour le 14 p. 100, 998 francs pour le 16 p. 100 et 1.018 francs pour le 18 p. 100.

Par de simples divisions, nous trouvons que l'acide phosphorique coûte au kilo : 64 francs dans le premier cas, 62,50 dans le second cas et 56,50 pour le dernier, soit le 18 p. 100.

Ces chiffres se passent de commentaires.

À cette même époque, les engrais complets étaient surtout réservés au maraîchage et à l'industrie florale ; on les déconseillait en grande culture et au vignoble. Mais, comme, nous venons de l'écrire, les conditions économiques ont changé, il a fallu réduire les frais de transport et de main-d'œuvre.

Une fois de plus, le chimiste, l'industriel, l'agronome et le praticien ont été alertés, et depuis quelques années les principales maisons d'engrais livrent des formules très étudiées, ayant fait leurs preuves. Beaucoup de ces nouveaux produits ont une vitesse d'assimilation plus grande que les anciens (le nitrate excepté) ; aussi nous les conseillons au vignoble.

Enfin, dans les cas urgents, où il s'agit par exemple de sauver des plants chétifs ou d'aller vite, il existe des mélanges liquides qui s'injectent avec un pal de forme spéciale et bien étudié.

Nous terminons en donnant à certains viticulteurs un conseil qui n'a rien à voir avec les engrais.

Dans les endroits où l'écartement des rangs de vigne permet les cultures intercalaires nécessitant l'emploi d'insecticides, nous demandons instamment aux usagers de ne pas employer de produits à base d'arsenic.

Au moment où les sociétés cynégétiques jettent à juste titre le cri d'alarme concernant l'empoisonnement du gibier par les arsenicaux, il est raisonnable de réagir.

Le commerce vend actuellement un nombre impressionnant d'insecticides aussi actifs que les produits à base d'arsenic ; ces produits sont à peu près inoffensifs pour l'homme et sans danger pour le gibier.

V. ARNOULD,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 616