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La forêt française

Les essences secondaires

Nous avons parlé dans ces colonnes de quelques-unes des principales essences forestières françaises et de leur culture, mais il est dans nos forêts, à côté des chênes, des hêtres, des pins, des sapins, toute une foule d'essences dites « secondaires » parce qu'elles sont moins répandues que les autres, moins majestueuses et aussi moins connues.

Cependant leur rôle économique est loin d'être négligeable, et beaucoup d'artisans regrettent, de nos jours, leur rareté. En effet, des erreurs commises dans la gestion des taillis sous futaie ou la transformation systématique de ceux-ci en futaie pleine favorisent certaines essences dites sociales et amènent la raréfaction des autres. Il importe donc d'y songer, et nous ne saurions trop recommander au propriétaire de forêts de ne pas oublier, au cours d'un martelage, de réserver tel fruitier, tel érable, peut-être moins bon producteur de mètres cubes que le hêtre ou le sapin voisin, mais dont l'intérêt est grand. D'abord, pendant leur vie, ils apportent à nos forêts cette variété qui en fait le charme, quelques notes pittoresques : une floraison blanche, des fruits aux vives couleurs, un feuillage d'automne de teinte caractéristique. Les oiseaux et les animaux de la forêt y trouvent leur nourriture. Et, enfin, à maturité, quand la hache du bûcheron les a abattus, ils deviennent ce bahut de merisier, ce fauteuil aux pieds galbés, cette commode nacrée de sycomore ou ce fond de violoncelle aux ondulations chatoyantes qui, dans nos foyers, rompent l'uniformité du mobilier de chêne ou de noyer, ou l'envahissement des acajous et des palissandres.

Ce sont quelques-unes de ces essences secondaires que je voudrais vous faire connaître aujourd'hui. Toutes ne sont pas des productrices de bois. On me permettra de penser aussi à celles qui produisent des fruits ou dont le rôle est ornemental.

Un peu partout, dans nos taillis sous futaie, existent différents arbres appartenant tous à la famille botanique des Rosacées et que le sylviculteur groupe sous le nom de fruitiers.

Sorbiers et alisiers font partie du même genre (Sorbus). Leurs fleurs sont semblables, leurs fruits ont de grandes analogies, les autres caractères diffèrent. Le sorbier domestique (ou cormier) possède des feuilles composées dont chaque foliole n'est dentée que sur une partie du pourtour (l'extrémité). Ses bourgeons sont brun verdâtre et un peu visqueux. L'écorce du fût est rapidement crevassée, les nombreuses fissures délimitant de petites écailles de couleur brun tabac. Le bois, brun rouge, dur, lourd, finement maillé, peut prendre un très beau poli. Très homogène, il est excellent pour faire des instruments de dessin ou de mathématiques, des garnitures de bureau, des outils, etc. ...

Le sorbier des oiseleurs, lui, est un petit arbre montagnard ou nordique. C'est un des derniers compagnons de Nils Olgerson dans son « merveilleux voyage à travers la Suède ». On le rencontre, en effet, jusqu'en Laponie, bien plus au nord que le cercle polaire, où il constitue le seul arbre ornemental des squares, des avenues, des haies et des clairières forestières, au milieu des sombres résineux. En France, ce n'est, le plus souvent, qu'un arbuste au tronc lisse et argenté. Ses feuilles ressemblent à celles du cormier, mais les folioles sont dentées tout autour. Ses baies, d'un beau rouge corail, groupées en ombelles, sont appréciées des oiseaux.

L'alisier torminal ressemble beaucoup, comme arbre, au sorbier domestique. Toutefois, ses feuilles ne sont pas composées, mais simples. Elles forment cinq lobes, dont deux petits à la base, bien distincts des trois autres. Les bourgeons sont constitués par des écailles nombreuses et herbacées, vertes, bordées de brun (comme celles de l'érable sycomore). L'écorce est comme celle du cormier, mais moins fissurée et plus écailleuse. Le bois est moins coloré que celui du sorbier domestique. Il a, à peu près, les mêmes usages.

L'alisier blanc fréquente surtout les versants calcaires et ensoleillés. Son fût est lisse comme celui d'un jeune châtaignier. Son écorce est brun violacé. Ses feuilles sont simples, ovales, dentées, vertes dessus et blanc cotonneux en dessous. Ses bourgeons sont gros, à écailles brunes ou brun verdâtre, bordées d'un duvet blanc. Son bois est relativement dur et nerveux, clair, rempli de taches médullaires et moins apprécié que celui du torminal.

Le poirier sauvage n'atteint pas souvent de grosses dimensions, mais on en trouve de beaux dans les taillis sous futaie. Chacun connaît son fût à écorce finement crevassée, brun foncé, ses rameaux portant des rameaux courts épineux, ses petites feuilles en cœur, lisses, luisantes, se tachant de noir à la fin de l'automne avant de tomber. Le bois de poirier est rouge brun ou rouge saumoné, sans taches médullaires, finement maillé, à grain très fin. Il possède une légère odeur de foin sec. Ses usages sont bien connus.

Le pommier sauvage est plus petit encore que le poirier. Son fût est couvert de crevasses allongées, son écorce est rouge brun, ses rameaux portent des rameaux courts durs, terminés par un bourgeon (et non par une épine). Ses feuilles ovales, dentées, ne sont pas luisantes comme celles du poirier. Son bois est moins coloré et plus nerveux que celui de cette essence.

Le merisier abonde dans certains taillis (en particulier sur les sols pierreux). Tout le monde connaît son écorce brun cuir foncé, lisse, se détachant en lanières circulaires horizontales, et sa feuille grande, ovale, dentée, garnie de deux nectaires au point d'insertion du pétiole. Le bois du merisier est plus léger et plus tendre que celui des sorbiers, alisiers et poiriers. Les accroissements annuels s'y voient sous forme d'une très étroite zone poreuse (qui le fait un peu ressembler à l'orme). Il est très finement maillé (par suite de la présence de nombreux et fins rayons ligneux). C'est un bois facile à travailler, à scier, à sculpter, à polir. Il est recherché par les fabricants de sièges, les ébénistes, les tourneurs, etc. ...

Ce n'est généralement pas avec le merisier qu'on fait les « pipes en merisier », mais avec un petit cerisier sauvage, méridional, compagnon du chêne pubescent, sur les versants chauds, appelé cerisier de Sainte-Lucie (ou encore cerisier Mahaleb), dont les feuilles ressemblent à des feuilles de poirier et dont les petits fruits, noirs, gros comme des pois, ont un goût de vernis à meuble.

On trouve encore, ça et là, un autre cerisier appelé cerisier à grappes (ou cerisier puant), dont les rameaux ont, quand on les casse, une odeur assez prononcée. Ce cerisier a des fleurs et des fruits en grappes, et non en ombelles comme le merisier. Ses feuilles sont ovales, allongées et dentées. Son bois est moins apprécié que celui du merisier.

Une foule d'arbustes et arbrisseaux de la famille des Rosacées se rencontrent en forêt : le prunier épineux (ou encore prunellier, ou épine noire), qui forme des buissons épineux le long des chemins et dans les fossés de périmètre, et dont le bois veiné peut servir en marqueterie ; le prunier de Briançon, qui habite le bas des pentes dans le Queyras et le Briançonnais, et qui se reconnaît bien quand il porte ses fruits ronds et jaunes comme des mirabelles ; les ronces, les églantiers (rosiers sauvages), les aubépines (ou épines blanches), dont le bois dur peut se tourner et faire des cannes : le néflier commun, compagnon du chêne, dont les fruits sont appréciés quand ils ont subi les premières gelées, etc. ...

Dans un autre article, nous parlerons des érables, frênes, ormes et autres essences secondaires ayant un grand intérêt économique.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 617