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L'Afrique du Nord en automobile

Biskra, la perle du désert (1), nous tient sous son charme durant trois jours avec son oasis, ses jardins et ses ruelles capricieuses. Mais, avec la mi-juin, la température monte. On, note à l'ombre 35° sous le coup de midi ! D'ailleurs la colonne de mercure ne s'en tiendra pas là. Au Maroc, à Fez, elle touchera 42°, et 45° à Marrakech. La saison est déjà trop avancée pour voyager agréablement en Afrique du Nord. Certains hôtels de tourisme ont fermé leurs portes. La meilleure époque recommandée pour une telle randonnée s'étend de décembre à fin avril. Les jours sont peut-être courts et les risques de pluie sérieux, mais, du moins, homme et machine sont à l'abri des chaleurs accablantes de l'été. Quand une voiture travaille avec une température ambiante de 40°, certaines précautions sont à prendre. Nous roulons sagement en fixant notre limite à 80 à l'heure. Vers midi, nous réduisons à 75. L'eau du radiateur est à sa limite d'ébullition dès la première côte tant soit peu sérieuse. Nous craignons pour nos soupapes et nos bougies. Nous avons pris la sage précaution de munir notre radiateur d'un thermomètre indicateur que l'on trouve dans le commerce. Il permet de tenir la vitesse idéale et de suivre les efforts du moteur. On constate avec surprise que, si l'on atteint 90° en roulant à 80, la température tombe à 85° avec le 90 au compteur, pour approcher l'ébullition à 5 kilomètres de plus dans l'heure, question de vitesse de circulation de l'eau et de l'air combinée. Nous avons tenu aussi à profiter de l'occasion pour adopter l’huile graphitée. Le résultat a été des plus heureux, puisque, à la fin de notre voyage, 6.500 kilomètres sans vidange et avec une consommation globale de 0l,90, nous avons retrouvé notre huile dans un état de fraîcheur remarquable. Précisons toutefois que notre moteur était dans toute sa belle jeunesse, puisque la voiture marquait au compteur 8.000 kilomètres. À cette époque de sa vie, une automobile a fini son plein rodage et a tout l'avenir devant elle. Si le super-carburant est ici inconnu, l'essence est d'excellente qualité et supporte bien l'avance. Beaucoup d'usagers roulent la nuit, mais cette pratique exige une grande connaissance des routes. La signalisation ne laisse rien à désirer, si ce n'est dans la traversée des grandes villes. Nous admirons le comportement parfait, dans la canicule, de certaines petites voitures françaises à moteur à l'arrière. Souhaitons-leur, malgré tout, que leurs soupapes d'échappement tiennent aussi bien que leur moyenne. Les voitures américaines, très nombreuses, surtout au Maroc, restent les reines incontestées de la route, dans ce pays de grand tourisme, grâce à leur confort et à leur marge de sécurité. Dans le sud, le sable est un ennemi redoutable. On lutte contre lui avec des filtres à air efficaces dont l'entretien ne doit pas être relâché. Il ne faut pas perdre de vue également le niveau d'eau de la batterie, celle-ci ayant une tendance fâcheuse à l'évaporation du fait de la température élevée et des longues heures de pleine charge. Cette dissertation mécanique terminée, nous nous retrouvons sur la route du nord et nous faisons notre entrée à Constantine, remarquablement assise sur un plateau rocheux, limité par des escarpements vertigineux. Les gorges du Rummel nous laissent une impression inoubliable. Le pont suspendu de Sidi M'Cid, le boulevard de l'Abîme, le quartier indigène, les mosquées nous font regretter de n'avoir que quelques heures à leur consacrer. Le lendemain nous retrouvons l'air marin avec Djibelli, d'où, par une route en corniche de toute beauté, nous atteignons Bougie, non sans avoir fait escale à la Grotte Merveilleuse et un léger détour qui nous permet d'admirer le défilé de Kerrata. C'est à partir de Bougie que commencent les deux Kabylies, qui nous ont laissé un des plus beaux souvenirs de notre voyage. Les habitants de ces régions sont des Berbères purs. La diversité de leurs types est extrême. On rencontre des blonds ardents et des bruns basanés. Ils sont travailleurs et d'un commerce agréable. La densité de la population égale celle de nos départements industriels les plus peuplés. Les villages sont nombreux et du plus haut pittoresque ; les habitations sont misérables. Par Azazga nous atteignons Fort-National, puis Michelet, que nous quittons à regret après deux jours d'un repos le plus total. Enfin le col de Tirourba, le plus haut col de l'Algérie, nous élève à 1.760 mètres. Descente. Puis, par les gorges de Palestro, nous gagnons Alger. Il nous faut trois jours de séjour à Alger pour avoir un aperçu de cette magnifique ville, véritable Nice algérienne. Mosquées, port, jardin d'essai, musées, etc., sans oublier sa célèbre et si pittoresque Kasbah, tout passe trop vite à nos yeux. Les premières lueurs du jour suivant nous retrouvent en route vers l'ouest. Un crochet à la délicieuse Blida et aux gorges de la Chiffa avec son légendaire ruisseau des Singes. Dès midi, nous retrouvons la côte et sa belle route en corniche qui nous conduit, au milieu des pins, à Cherchel et à Tenès, puis, au sein des vignobles sans limite de Mostaganem, jusqu'à Oran. Ici, les difficultés hôtelières se précisent. Il faut dire que l'Afrique du Nord en général et le Maroc en particulier manquent d'équipement hôtelier. Et c'est bien dommage. Il est à craindre que le tourisme, en plein essor actuellement, bute dangereusement contre un tel écueil. À part quelques grands hôtels, groupés dans les centres importants et en nombre insuffisant, à la cuisine standard, on ne trouve pas l'hôtel moyen qui, comme en France, reste si accueillant avec une excellente table, aux spécialités variées, et que l'on rencontre soudain à un détour de la route dans des sites charmants. La carte des vins du pays, par contre, nous apporte, à des prix imbattables, une réconfortante compensation. Les additions restent, à confort et qualité égaux, moins élevées qu'en France, de 30 p. 100 en Tunisie, 20 p. 100 en Algérie, 10 p. 100 au Maroc. Notons les efforts sérieux faits par les autorités compétentes pour le contrôle des prix hôteliers.

Mais la concurrence seule pourra, ici comme ailleurs, remettre les choses en place pour le plus grand bien de celui qui paye. Cent trente-huit kilomètres laissés derrière nous depuis Oran, et Tlemcen nous apparaît comme un délicieux havre de paix. Ses 800 mètres d'altitude, ses ombrages, son climat, ses mosquées, sa médersa, ses monuments hispano-mograbins rendent cette station touristique très attachante. Encore 60 bornes kilométriques, et, à Oujda, nous franchissons la frontière algéro-marocaine. Oujda, type de la ville marocaine moderne en pleine transformation et développement grâce à ses richesses minières environnantes. Chantiers et immeubles neufs partout. Le Maroc travaille et construit fébrilement. On reste stupéfait devant une telle débauche de pierres et de béton. D'Oujda à Fez, 344 kilomètres, on ne rencontre, à part Taza, que trois minuscules oasis : El Aïoum, Taourirt et Guercif. Fez, capitale de l'Empire chérifien, est la ville musulmane la plus parfaite de l'Afrique du Nord. Aussi mystérieuse que passionnante, elle vous laisse une impression inoubliable. La médina, ou ville indigène, a su conserver intact son aspect du moyen âge. Nous ne manquons pas d'effectuer le tour de Fez en auto, qui nous révèle Fez el Bali sous d'admirables angles, grâce aux collines ceinturant la vieille cité. Quittant la voiture, nous errons au gré de notre fantaisie au milieu des ruelles et des souks les plus curieux. Seul Tunis nous avait donné cette impression de vie intense. Nous visitons la Medersa Bou Anania, les tombeaux mérinides, et jetons un regard indiscret sur la Zaouïa de Moulay Idriss. À 3 kilomètres de là, la ville européenne nous offre un repos bien gagné. Un petit galop, et nous voici devant la remarquable porte Bab Mansour de Meknès, non sans avoir fait le pèlerinage de Moulay Idriss, cité sainte, bâtie sur un promontoire rocheux dans un des sites les plus étonnants du Maroc. On reprend du souffle une journée avant de franchir la plus longue étape de notre randonnée, 473 kilomètres, qui va nous conduire à la capitale du sud du Maroc, Marrakech, par Azrou et Kasa Tadla. Quel étonnant spectacle que l'apparition soudaine de la célèbre palmeraie au milieu d'une plaine aride, avec, en hiver, les neiges étincelantes du Haut-Atlas. Marrakech offre aux touristes la vie intense des rues de sa médina, la cohue bigarrée de ses races, les galeries uniques de ses souks, la beauté de ses monuments : Koutoubia, tombeaux saadiens, palais de la Bahia, et sa place folle de Djemaa el Fna, avec ses acrobates, conteurs, musiciens, danseurs chleuh et charmeurs de serpents. Aussi est-ce avec tristesse que nous nous arrachons à ce spectacle pour prendre la route du retour, vers l'européenne Casablanca et ses gratte-ciel. Enfin, terme de notre voyage, voici la capitale administrative du Maroc : Rabat. Un dernier regard à la Kasbah des Oudaïas et à la tour d'Harsan, sans oublier le mausolée de celui qui a fait du Maroc ce qu'il est aujourd'hui : le maréchal Lyautey. Retour par l'Espagne. Nos vacances se terminent sur le 6.500e kilomètre. Pas une panne, pas même un pneu crevé. Merci saint Christophe !

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

(l) Voir Le Chasseur Français de septembre 1951.

Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 629