Maquettes et modèles réduits réunissent chaque jour un plus
grand nombre d'adeptes.
Cependant on ne saurait nier qu'un nombreux public considère
ces amateurs avec un sourire narquois et protecteur, et même parfois fort
indulgent. Pour lui, maquettes et modèles réduits demeurent jouets
perfectionnés pour adultes restés grands enfants, si ce n'est devenus doux
maniaques.
En face, les amateurs se contentent un peu trop de s'enfermer
dans une tour d'ivoire, en se considérant comme des « initiés », des
« incompris » ou des « apôtres ».
Il est toujours difficile de trancher une question ayant
deux pôles d'attraction aussi opposés. Chaque fois que l'on adopte une solution
moyenne, on ne satisfait personne, et le problème se trouve également toujours
mal résolu, car qui dit moyenne, dit forcément médiocre. Il faut donc rechercher
l'inverse de cette médiocrité.
Le fait est que, s'il s'agit de pure collection, pour le
seul plaisir d'accumuler modèles sur modèles, ou de purs jouets extrapolés pour
adultes, au nom de seuls « super-détails », l’intérêt de la maquette
comme celui du modèle réduit se trouve extrêmement diminué, car, quoi que l'on
fasse, on n'arrivera jamais que de très loin à égaler l'original « grandeur
naturelle ». Même y parviendrait-on, dans des cas exceptionnels, qu'il
restera impossible de réduire à l'échelle l'utilisateur lui-même, c'est-à-dire
l'homme.
Il ne faut donc demander à la maquette ou au modèle réduit
que ce qu'il doit représenter, et rien de plus. Mais il faut dire que, très
rarement, les amateurs savent obtenir de leurs objets tout ce que ceux-ci sont
susceptibles de fournir. Et il faut reconnaître que c'est là une des raisons
peur lesquelles les services officiels se désintéressent quelque peu des maquettes
et ne leur accordent ni reconnaissance, ni soutien, ni subvention.
Le modèle réduit doit cesser d'être un jouet ou une simple
distraction pour qui veut élever son concept. Il doit s'élever au rang de moyen
d'étude et d'expansion culturelle scientifique, technique et même artistique.
Qu'il s'agisse d'architecture, de travaux publics, de
transports aériens, terrestres, ferroviaires, routiers, de génie civil, ou
autre, ingénieurs et spécialistes font de plus en plus appel à la maquette et
au modèle réduit.
Or c'est là le point faible de nombre d'amateurs. Ils
réalisent surtout des collections, soit par la « multiplicité des pièces »,
soit par la « multiplicité des détails infimes sur une seule pièce »,
mais ils oublient de voir la question avec recul, ensemble et grandeur.
Il faut toutefois distinguer que les sujets abstraits — comme
les maquettes et figurines historiques — doivent être forcément, de ce fait, considérés
exactement de la façon opposée aux concrets ne touchant que la technique.
Rien ne vaut, pour faire comprendre ces indispensables
directives, de choisir des exemples et des cas d'espèces généralisés.
On doit d'abord établir des catégories de maquettes et
modèles réduits. Ce sont :
1° Les éléments mobiles, qui constituent surtout les modèles
réduits, et ils sont au nombre de cinq : ferroviaires, routiers, aériens,
marins et divers. Ils sont en général fort bien choisis et les artisans
établissent maintes variétés de modèles susceptibles de répondre a tous les
désirs.
2° Les éléments fixes, qui sont beaucoup moins bien
représentés, et on doit le déplorer. Il existe bien des gares ferroviaires, des
hangars d'avion, mais c'est à peu près tout. Il sera dit plus bas l'importance
majeure de cette carence et sa gravité consécutive.
3° Les éléments historiques, qui, eux, sont extrêmement bien
approvisionnés, mais que rarement les amateurs savent utiliser autrement que pour
des collections ou des détails inutiles ; ce sont, avant tout :
a, les soldats de plomb ;
b, les figurines historiques ;
c, les bateaux historiques ;
d, les moulages de numismatique, sigillographie, héraldisme ;
e, les reproductions paléographiques et autres.
Les intérêts divers de ces sujets seront définis plus loin
et ultérieurement.
Cette classification peut sembler complexe, mais elle est au
fond très simple. Elle établit, en effet, que, conformément à la réalité, il
n'y a que dans les livres que l'on peut scinder et limiter un sujet. Dans la
vie et la pratique, tout s'interfère, et chaque question réagit sur la voisine
avec, en plus, l'histoire.
C'est, à côté du vieil antagonisme esprit-matière, ou
abstrait-concret, celui dont on parle souvent, sans en peser et mesurer toute
l'importance ; le temps en face de l'espace. Chaque fois on oublie que
l'ensemble est prédominé par la vie.
Or la vie ne consiste pas à faire uniquement des collections
qui peuvent être amusantes ou distrayantes, mais restent passives. Brutalement,
elles coûtent de l'argent et font perdre du temps, sans aucun profit matériel
ou intellectuel.
C'est là le passif des modélistes, comme des maquettistes et
aussi des collectionneurs.
Il y a mieux à faire, et cela procure alors un actif
enrichissant la culture générale et parfois aussi le portefeuille.
Il suffit, pour cela, de transposer dans le domaine de tout
un chacun ce que les ingénieurs effectuent dans leur discipline propre de
recherches. C'est de rendre maquettes, modèles réduits et collections vivantes,
et d'en faire des sujets impérieusement guidés par le triptyque : beau,
utile, nécessaire.
Ceci a besoin de quelque peu d'explication, et c'est
justement dans le domaine historique qu'on les trouvera.
Tout le monde reste en admiration devant le vaisseau de
premier rang qui est la plus belle pièce du musée de la Marine, le Louis XV,
et l'on reste en contemplation devant la galère, La Réale, de ces mêmes
collections. Or il faut savoir que ces maquettes ne furent jamais de simples
pièces de collections, mais qu'elles constituaient des sujets d'enseignement
pour les enfants de France et, en particulier, pour le dauphin et ses frères.
Il en est de même de la frégate conservée à Fontainebleau, qui servit à
l'enseignement naval du prince impérial.
Mais ce que l'on sait moins encore, c'est que le premier
bassin de carènes ne fut aucunement dû à Ferdinand Rech, né à Lampertsloch,
plus tard, en 1825, élève de l'École polytechnique et de celle du Génie naval,
qui devait écrire avant de mourir, en 1880, sa Similitude de mécanique
navale. L'Anglais William Froude devait réaliser, grâce à ces données, le
premier bassin, en 1872, à Torquay, de section triangulaire, long de 85 mètres,
large de 11 et profond de 3.
Or il y a une antériorité, peu connue, mais formelle. Pour
s'en convaincre, il suffit d'aller à la bibliothèque de Versailles et d'y
étudier les archives de la cour. Contrairement à ce que l'on pense couramment,
le grand canal de Versailles ne fut pas creusé et établi pour les seuls
plaisirs du roi et de la cour, mais pour servir de « bassin d'essai »
aux modèles réduits de la flotte royale. Et, à l'endroit dit de la « Petite
Venise », sur la branche opposée à celle des Trianons, existait un
véritable port en réduction.
C'est de ce vieux souvenir historique que l'on doit
s'inspirer quand on s'intéresse aux maquettes, que celles-ci soient historiques
ou modernes.
Les amateurs peuvent trouver passionnant de reproduire des
géants de la mer comme Normandie ou Jean-Bart. Quoiqu'ils
fassent, leurs réalisations ne parviendront qu'à être des copies approchées des
modèles réduits réalisés par les services officiels de la Compagnie générale
transatlantique ou les ateliers de recherches et documentation des arsenaux de
la Marine nationale.
Combien ne serait-il pas plus utile pour eux comme pour
l'intérêt général de se pencher vers des recherches et de se soucier de
réaliser des modèles futurs, sans tomber dans le gigantisme des
paquebots transocéaniques.
Il en est de même, du reste, dans les autres domaines. Les
amateurs de ferroviaires tendent à reproduire des voies, gares et trains, et
ceux-ci sont forcément très simplifiés, car on veut, dans le minimum d'espace,
tout avoir et tout faire. C'est une erreur.
Combien n'est-il pas à la fois plus attrayant et plus utile
de s'en tenir à un circuit de voie simplifié, en portant toute son attention
sur un point précis. Par exemple, profiter des possibilités des fournitures
pour figurer une gare de triage ; un dépôt de locomotives à vapeur,
électrique, de manœuvre, diesel, autorail, tracteurs, etc., etc.
Ceci n'est pas utopique, car il a déjà été réalisé une
expérience, en profitant d'une kermesse récente à Nice. D'un côté, un circuit
courant avec voies, gare, signaux, etc., et de l'autre une voie très
simplifiée, mais avec un thème formant diorama qui représentait un « chantier
d'électrification ». Tout y était, des wagons avec les voies à remplacer,
que, toutes montées, deux grues mettaient en place. En amont, il y avait le
train de ballast, le prenant, criblant et remettant en place, tandis qu'en aval
se situaient des wagons chargés de bobines de câbles en cours de pose en
caténaire. Sur une voie provisoire, on voyait, garés, d'autres wagons avec des
poteaux, transformateurs, etc., etc. Le succès de ce dernier diorama auprès des
visiteurs fut la meilleure sanction de l'expérience.
Au point que, grâce à l'amabilité d'un commerçant, il a été
créé, à Nice et à Monte-Carlo, des parties de vitrines éducatives où, en
permanence, existent de telles présentations documentaires. Actuellement on va
y représenter un chantier de reconstruction de pont. C'est encore là un sujet
très simple ; quelques morceaux de contreplaqués, découpés avec soin et
selon des données réalistes, car il faut reconnaître que, sur ce point, les
producteurs sont très en retard.
Sylvain LAJOUSE.
|