Un violent vent du sud tout chargé de pluie souffle sur la
campagne. Vrai temps de la Toussaint. Le regard puissant des phares balaie des
tranches d'obscurité : arbres dépouillés, hauts talus, façades mouillées
un instant illuminés basculent dans les ténèbres. Soudain, dans le faisceau de
clarté, un corps fuselé traverse la route : belette. Faisons du bon
travail, ou plutôt essayons. Le minuscule animal s'arrête. Coup d'accélérateur,
et, en même temps, la netteté d'une fourrure blanche. Un furet ... Est-il écrasé ?
Stoppons.
Avec une torche électrique j'inspecte le goudron. Pas de
victime. Où donc est la bête ? En bordure, une haie touffue que je fouille
en tout sens. Léger bruissement. La lumière et les yeux étincelants se
rencontrent. Pour saisir la fugitive, c'est une autre histoire. Rarement j'ai
manipulé ces petits félins et j'ignore l'appel modulé capable d'amener une
conquête rapide. Bien mieux, mes avances provoquent la fuite sur le talus ;
un rideau de ronces empêche toute poursuite. Heureusement ma compagne,
inquiète, s'est approchée. Un cri de triomphe ... et de frousse m'appelle.
L'animal gentiment renifle ses chaussures ... mais ça doit grimper et
mordre — elle ne sait que faire. J'arrive. La bête saisie derrière la tête est prestement
glissée dans la malle au milieu des colis. Xaco renifle, éternue. Jamais il n'a
flairé pareille odeur. À l'arrivée, l'ami Jean, auquel je destine la
malodorante bestiole, s'occupe de sa pensionnaire efflanquée et pelée. Il sait,
lui, revigorer ces fins museaux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quelques semaines plus tard j'admirai une dame blanche
splendide qui a fait peau ou plutôt poil neuf. Les mauvais jours d'errance sont
oubliés. Et gentille avec ça. Il suffit de l'appeler : Nénette, Nénette.
La petite bête arrive, se laisse prendre, manipuler sans aucune velléité de
mordre.
— Il faudra un de ces jours venir la voir travailler,
me dit son maître, elle marche. Une merveille !
Un après-midi de décembre nous trouve immobiles près d'une
souterraine cité. À peine sortie de sa boîte, Nénette s'élance dans le trou.
Pour marcher, elle marche ! ... Bientôt des roulements prolongés
courent dans le terrier. La course s'accélère. Hep ... La boule grise
jaillit. Rapide coup de fusil. Tosca, jusque-là bien sage, va chercher la
victime ou poursuit le rescapé. La danse recommence. Parfois deux bêtes sortent
à la fois. Il faut alors agir vite, car nous sommes au milieu des genêts.
Vraiment on ne s'ennuie pas. Cela me réconcilie avec une chasse que je n'avais
plus pratiquée depuis dix ans. Nénette ne s'obstine point auprès des têtus ;
pas d'attente inutile. Au bout de deux heures, plus de vingt lapins ont été
expulsés. Le sac commence à scier les épaules.
— Nous allons, dit l'ami Jean, visiter un excellent
terrier, puis nous rentrerons.
Au fond du vallon minuscule gisent les ruines d'un « cabanon ».
Tout autour les bouches nombreuses s'enfoncent dans le sol. Au milieu des
éboulis, un trou énorme : l'entrée d'une « mine ». Cette « mine »
n'a rien de commun avec les puits d'extraction des minerais. Il s'agit de
fouilles sur le flanc de coteaux à des emplacements où l'on a signalé de l'eau.
Ces tunnels s'enfoncent souvent à 30 ou 40 mètres dans le sol à la recherche de
la source. Celle-ci est alors canalisée. Parfois on se contente de construire
un mur à la sortie, et la mine devient bassin souterrain qui arrosera le
terrain en contrebas. Sur la pente desséchée naît une oasis de verdure. Les
chasseurs et les chiens connaissent tous ces points d'eau fraîche très nombreux
dans la région.
Quelquefois pas de source ou un filet si faible qu'on ne
peut l'utiliser. On abandonne les travaux. Vite les lapins occupent ces
immenses terriers qu'ils modifient à leur guise.
Refuges excellents avec des « murs » et des « sauts »
inaccessibles aux furets, les mines sèches deviennent ainsi des sources à
lapins. Ces petites explications sont indispensables pour comprendre la fin de
la partie.
A peine lâchée, Nénette fonce dans les « souterrains
séjours ». Brève tambourinade d'une bête affolée qui s'en va cabrioler
parmi les ronces. Quelques secondes, puis un autre locataire se hasarde au bord
du trou ; son œil brillant inspecte les alentours et me fixe, plein
d'inquiétude. Ma tête lui paraît peu sympathique. Rapide demi-tour ... Il
rentre à la maison en disant : « Je n'y suis pour personne. »
Nénette a beau insister. Silence complet. Tassé dans un coin, le malheureux
subit certainement de pressantes attaques, mais il préfère cela à une promenade
en plein air. En décembre, les journées sont courtes ; déjà le soleil
s'apprête à disparaître. Nous allons allumer du feu en attendant. Pas drôle du
tout. Cependant Nénette ne s'endort jamais dans les trous. Que lui est-il
arrivé ?
L'ami Jean va, vient, s'arrête, ausculte le sol et me fait
des signes d'incertitude. Il s'avance au bord de la « mine », écoute
un moment, puis s'engouffre dans les ténèbres. Il ne me reste qu'une chose à
faire : attendre. Je continue mon rôle de sentinelle transie. Au bout
d'une dizaine de minutes — qui me semblent des heures — je m'inquiète : un
furet et un chasseur dans le même terrier, c'est abusif. Pourvu qu'ils ne « tanquent »
pas tous les deux ! ... Vous me voyez faisant annoncer par le crieur
public : « Perdu furet et son maître dans le même trou. »
Un appel étouffé. J'accours. Transformé en homme des
cavernes, couvert de glaise, l'ami Jean apparaît les mains encombrées par
Nénette ... et le lapin. Il a pu les rejoindre tout au fond. Le furet
avait dû traverser une flaque d'eau ; comme il n'était pas mouillé, on
peut penser que la traversée s'effectua sur le dos de Jeannot. Puisque nous
avons cavalier et monture, rentrons, la nuit tombe. Le sauveteur n'est pas de
cet avis.
Il veut m'entraîner dans la mine, pour me montrer un
spectacle inattendu. Je n'ai jamais senti vibrer en moi la corde fox-terrier ...
mais la curiosité l'emporte ...
Fidèle toutou, je suis, comme je peux, l'ami Jean qui avance
tout comme s'il était chez lui. Pas de lampe électrique ; il faut se
servir d'allumettes. Nous pataugeons : boue gluante, flaques d'eau. Des
gouttes glissent traîtreusement dans le cou. A présent, d'anciens éboulements
nous obligent à ramper. Descente brusque. Remontée et passage rétréci. Enfin
terminus ... Nouvelle allumette.
— Regardez, à côté de vous, à gauche, au fond ...
dit le guide.
Je ne vois rien. Coup de flambeau supplémentaire. Cette fois
mes yeux distinguent nettement ... Tout autour, sur de petits
promontoires, des boules grises se tiennent sagement. Un vrai garage à lapins.
Aucun ne songe à fuir. Ils sont médusés par des furets d'un tel calibre.
Combien de bêtes ? Je préfère me taire. Trop souvent la vérité — même si
elle sort toute nue d'un souterrain — n'est pas crue.
Qu'avons-nous fait ?
... Exactement ce que vous pensez si vous êtes vrai
chasseur.
A. ROCHE.
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