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Il pleut des C.A.C.

L'organe officiel de la Société Centrale Canine, dans son numéro de décembre 1948, a publié les vœux du Président de la Centrale pour la saison 1949.

Parlant du C. A. C., voici ce qu'il écrivait textuellement :

« Depuis plusieurs mois, le comité de la Société Centrale Canine s'est penché sur le problème de la limitation des expositions ou la limitation des C. A. C. Plusieurs tendances, toutes très exactes, ont été développées ; et, après discussion, il a été décidé de laisser les choses en l'état pour 1949, mais en me confiant le soin de demander, sinon d'ordonner aux juges d'être excessivement sévères pour les propositions au C. A. C., ou pour la réserve de C. A. G.

» Je crois de mon devoir de rappeler ici qu'un chien, même en classe ouverte, qui a reçu la mention « Excellent » n'est pas, ipso facto, un chien susceptible d'obtenir en plus du premier prix la proposition au C. A. C. En-vous demandant, messieurs les juges, d'être sévères et de limiter le nombre des C. A, C., nous avons la conviction que nous travaillons à l'amélioration de la race canine, et les éleveurs — et plus particulièrement les jeunes et les nouveaux éleveurs — pourront avoir la quasi-certitude, lorsqu'ils demanderont les services d'un étalon possédant plusieurs C. A. C., qu'ils se trouvent en présence d'un chien réellement exceptionnel.

» Messieurs les juges, n'oubliez pas que, pour l'année 1949, c'est à vous que nous demandons de limiter les C. A. C. D'avance, je vous en remercie. »

Tout en se défendant de donner un ordre, le président adressait bien aux juges une exhortation impérative. Elle ne s'appliquait sans doute pas sans restriction aux juges du IXe groupe, car là le C. A. C. est de tradition et presque de rigueur. Cela n'offre aucun inconvénient sérieux, puisqu'il ne s'agit que de chiens de fantaisie ... où toutes les fantaisies sont permises. Et cela fait tant plaisir à ces charmantes dames qui exposent leurs chiens charmants et qui en feraient une maladie, persuadées que le refus du C. A. C. ne pourrait provenir que d'une incompétence ou d'une partialité intolérable, et serait une injustice flagrante et une injure personnelle. Ils sont si gentils, si délicieux en appartement ou à la promenade, si intelligents et si affectueux. Ils sont la perfection même. Et puis, dans certaines races, on ne peut voir ni la tête, ni le corps, ni les pattes, ni la queue, puisqu'ils ne sont qu'une touffe de poils ; il faudrait être bien malin pour leur découvrir des imperfections.

Parfois les juges pourraient éprouver des cas de conscience des plus troublants par leurs préférences pour telle ou telle couleur. Mais quelques standards se sont montrés particulièrement prévoyants et généreux, et distinguent de nombreuses catégories par poids, par taille, par couleur, etc., et chaque catégorie a droit à un C. A. C. Cela facilite bien les choses.

Mais en ce qui concerne toutes les races dites d'utilité, même lorsqu'elles ne sont réellement pas utilisées, l'exhortation du président est nette et judicieuse. Il dit très gentiment aux juges : « Attention ! vous avez une arme terrible à deux tranchants : le C. A. C. Usez-en avec prudence ! Si vous distribuez le C. A. C. à tort et à travers, vous êtes un véritable danger public. Comprenez-moi bien et agissez en conséquence. »

Il semble que tous les juges n'aient pas lu les vœux du président, ou ne les aient pas médités, à moins qu'ils n'aient pris le parti de n'en tenir aucun compte. Certains d'entre eux, même dans des contrées réputées pour leur ciel azuré et pour leur beau soleil, ont provoqué de véritables pluies artificielles de C. A. C., comme on n'en avait peut-être jamais constaté d'aussi abondantes.

Un collègue m'a parlé d'un vrai déluge de C. A. C. qui, dans le Midi, s'était abattu sur les chiens courants. Deux juges ont officié chacun dans deux expositions. Le premier a distribué cinq C. A. C. dans l'une et six dans l'autre ; le second en a donné six dans chacune de ces manifestations.

On ne manquera pas d'objecter : avant de s'étonner et de critiquer, il faudrait connaître l'effectif total des concurrents des différentes classes et connaître leur mérite. Rien de plus juste. Celui qui m'a donné les renseignements sur ces événements juge très souvent dans les secteurs qui ont été inondés de C. A. C. Il a, au surplus, examiné un certain nombre des proposés pour le C. A. C. sans avoir eu la moindre velléité de leur faire un tel honneur. Il estime que, en moyenne, l'effectif total des chiens courants varie entre douze et vingt sujets. Mettons dix-huit pour faciliter le calcul. Dans ces expositions, il y aurait donc eu le tiers des concurrents qui atteignait la perfection. Au premier abord, cela paraît inouï. C'est une fameuse aubaine pour les concurrents et pour les juges aussi, car on n'a vraiment pas souvent l'occasion d'admirer autant de sujets parfaits. C'est une chance que je n'ai jamais eue ... à moins que je n'aie pas su apprécier les chiens.

Bien que ce ne soit pas très flatteur pour moi, je suis obligé de reconnaître que c'est certainement cette dernière supposition qui est fondée. Plusieurs fois, en effet, j’ai eu la chance de voir dans mes rings des chiens que je savais titulaires de C. A. C. et même de C. A. C. I. B. Si j'avais été bon juge, je n'avais qu'à faire comme les autres : me précipiter sur ma boîte de carton et donner les C. A. C ... Au lieu de cela, il m'est arrivé souvent de n'accorder à ces grands vainqueurs que des seconds ou troisièmes prix, et même des mentions.

Je vous assure qu'on « n'a pas l'air fin » lorsqu'on remet une aussi modeste récompense au monsieur qui est entré dans l'enceinte en triomphateur, avec la certitude qu'il a, au bout de sa laisse, le plus beau chien de la création.

Quelle différence lorsque c'est un carton de C. A. C. qui passe de la main du juge dans celle de l'exposant ! Le juge est radieux à la pensée que le monsieur est enchanté et qu'il chantera ses louanges. Le monsieur pense, en effet, avec satisfaction : « Voilà au moins un homme intelligent et qui connaît son affaire ! »

Mais, tout de même, seules les choses qui restent rares et presque exceptionnelles conservent tout leur prestige et toute la valeur.

Lorsqu'on multiplie le C. A. C., on l'amoindrit, à tel point qu'il n'impressionne plus personne, d'autant plus que bon nombre de C.A.C., et même de champions, ne sont pas des géniteurs recommandables et intéressants, pas même au seul point de vue du type et de la beauté utile. Bon nombre aussi sont à peu près inaptes au travail et ne reproduisent que des médiocres et des inaptes.

Il y a longtemps que — en dehors des expositionnistes — les C. A. C. n'intéressent pas le moins du monde les vieux et vrais utilisateurs. Ils restent absolument imperméables aux averses de C- A. C.

Mais, comme le dit très justement le président de la Centrale, il faut songer aux jeunes et aux nouveaux éleveurs qui croient aux C. A. C. Si l'on ne veut pas déconsidérer complètement cette haute récompense, si l'on veut éviter aux débutants de cuisantes déceptions, il faut réhabiliter le C. A. C. ; on ne peut le faire qu'en ne l'attribuant qu'aux sujets vraiment dignes d'être recommandés pour l'amélioration beauté et travail. La perfection étant très rare (certains prétendent même qu'elle n'est pas de ce monde), il faut donc que cette récompense soit elle-même rare.

On peut dire que la sévérité trop grande peut décourager les éleveurs et les exposants. J'examinerai dans un prochain article cette question de l'indulgence en disant très franchement jusqu'où elle peut aller.

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 657