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Pêches canadiennes

Au Canada et aux États-Unis, on pêche, l'hiver, les énormes truites de lacs en faisant un trou dans la glace. Et, pour se mettre à l'abri du froid et du vent, les amateurs se munissent de petites cabanes en bois, avec couchettes, fourneau, chaises, le tout monté sur des patins de traîneau. Une Jeep traîne tout cela à quelques kilomètres de la rive, au-dessus d'un fond connu pour héberger des truites. On dételle, et l'on bâtit à la pelle un petit mur de neige autour de la base de la maisonnette pour éviter les courants d'air. Bientôt la glace est peuplée d'un véritable petit village dont fument les cheminées.

La glace atteint un mètre et plus d'épaisseur. Avec des ciseaux et des maillets, on y perce un trou par pêcheur, et les lignes descendent à fond. Lignes ordinaires, avec un gros hameçon unique amorcé d'un petit poisson mort, mais dont la particularité est d'avoir, à deux mètres environ en avant de l'appât, une grosse plaque ovale nickelée, quelque peu gondolée, visible sous l'eau de fort loin. Munis d'une canne très courte, les pêcheurs font danser cet ensemble à proximité du fond, et les truites, attirées par les éclats à des distances surprenantes, après avoir tournoyé autour de ce miroir, ont vite fait de découvrir le poisson mort qui sautille dans son sillage et de l'attaquer.

Me basant sur ce genre de bas de ligne, j'ai mis sur pied, pour la pêche à la traîne en bateau, en rivière ou en lac, un montage qui m'a donné pleine satisfaction, spécialement pour la pêche à la perche : une plaque de métal, légèrement cabossée pour onduler dans l'eau, qui sert à la fois de plomb et d'antivrilleur ; plus loin, au bout de 4 à 5 mètres de nylon, une cuiller de type courant.

Pour voir fonctionner cet engin, je l’ai fait remorquer doucement à l’aviron par un ami de bonne volonté, tandis que je suivais à pied sur la rive. Au grand soleil, les perches dormaient par 1m,50 d'eau environ, le nez au faible courant de la rivière, et j'avais maintes fois essayé, au lancer ou en barque, de les intéresser au passage d'une cuiller. Lorsque, 30 mètres derrière la barque, arrivait cette plaque oscillante de 15 à 20 centimètres de long, c'était d'abord une fuite éperdue en tous sens, comme si venait d'exploser une bombe atomique. Ensuite les perches, ralliées, se mettaient à courir pour rattraper ce poisson inconnu ; elles naviguaient un moment tout près de lui, nerveuses et bien éveillées, puis ralentissaient et se laissaient couler en arrière. Un mètre, 3 mètres, 2 mètres de retard, et parmi les perches, au bout de son nylon, arrivait la cuiller tournoyante qui ne tombait pas au milieu de poissons endormis, loin de là ! C'était une véritable bagarre à qui se jetterait sur elle. On peut supposer que les carnassiers, qui n'ont pas pu rester indifférents au passage d'une première plaque de grande taille, en qui ils voient peut-être un concurrent d'un genre nouveau, n'ont pas le temps de retomber dans leur somnolence quand se présente, 5 ou 6 mètres plus tard, la véritable cuiller normale munie de hameçons.

C'est une sorte d'opération en deux temps : attirer d'abord ; ensuite, offrir un appât. C'est l'équivalent de certaine pêche de la perche à la dandinette, par temps de crue, où l'on fait monter et descendre à proximité du fond un plomb nickelé à facettes, suivi à 30 centimètres d'un hameçon portant un gros ver rouge ou un petit vairon. La perche vient d'abord voir ce que signifient ces éclats, puis ne peut manquer de repérer le ver ou 1e poisson mort, qu'elle n'eût pas détecté à grande distance.

Pour le brochet, ce procédé est également intéressant, surtout par les journées chaudes où il dort sous les herbes et ne se dérange pas pour peu de chose. Là encore nous tablons sur le passage dans l'eau de quelque chose de plus important que la cuiller ordinaire, pour inquiéter le poisson et piquer sa curiosité. Il serait intéressant d'expérimenter cette monture en mer. Les pêcheurs de la Méditerranée, qui pèchent le maquereau avec trois ou quatre lignes à la traîne, prétendent qu'il ne faut jamais ramener toutes les captures à la fois, mais toujours laisser un poisson à la remorque, sans quoi le banc vous abandonne. Sans doute est-ce un effet du même genre que celui que nous constatons pour l'eau douce.

Puisque nous parlons des pêches canadiennes sur lacs gelés, disons un mot de la chasse à la grosse truite en patins. Lorsque la gelée s'est produite par temps calme, sans vent, et que la neige n'est point venue recouvrir la couche de glace, certains lacs ont une épaisseur de glace suffisante pour porter les patineurs tout en étant transparente comme du verre à vitre. Dans les baies et sur les hauts-fonds, on distingue parfaitement les grandes truites qui reposent sur le fond. Elles se sauvent à toute vitesse devant ces ombres rapides qui patinent sur leur « toit », et tout l'art consiste à leur couper sans cesse le chemin, à les fatiguer, à les affoler, jusqu'à ce qu'elles se précipitent vers la rive où elles se coincent entre la glace et le fond, au milieu d'un nuage de sable et de vase. Quelques coups de hache pour briser la glace, et on les prend à la gaffe.

La publication sportive américaine qui nous apprend cela publie, avec de superbes photos de truites monstrueuses ainsi capturées par épuisement, une statistique fort édifiante de tous les patineurs noyés ces dernières années pour avoir pourchassé la truite sur de la glace trop mince, ou simplement trop bien réussi à casser la glace pour la harponner. Sans retomber dans le type caricatural de pêcheur à chapeau de paille et à ventre rebondi qui dort à l'ombre des saules en compagnie d'un énorme bouchon rouge, je crois que, chez nous, cette façon par trop « sportive » de risquer sa peau pour un poisson n'aurait qu'un succès assez modéré. Mais peut-être ai-je tort, et le Français est-il plus casse-cou qu'il ne le paraît à première vue ?

Paul MOLYNEUX.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 661