À plusieurs reprises depuis vingt ans nous avons montré,
dans cette rubrique du Chasseur Français, les relations étroites qui
existent entre le mouvement et la pensée, et la formule proposée il y a vingt
ans par Mme Montessori : « le mouvement est le trait d'union entre la
pensée et l'action », a servi de base à toute une série d'études que nous
avons résumées sous le chapitre « Éducation du geste ».
La question revient aujourd'hui à la mode. Elle a fait récemment
l'objet de travaux intéressants des pédagogues belges, (entre autres Sœur Paschaline,
licenciée en éducation physique), qui méritent quelques commentaires.
Tous les éducateurs sont aujourd'hui unanimes à estimer que
le mouvement est à la base de la vie psychique, et que le « sens
musculaire » constitue un sixième sens, tout aussi important que la vue,
l'ouïe, etc. C'est grâce aux sensations musculaires que l'enfant, avant de
pouvoir parler, avant d'avoir la possibilité de tout raisonnement logique,
acquiert peu à peu conscience de son corps propre, puis se sent « vivant »,
capable, grâce à ses mains qui peuvent saisir et à ses jambes qui lui
permettent de se déplacer et d'aller au-devant de ce monde nouveau pour lui qui
l'entoure, de réactivité, de spontanéité, de liberté, mais aussi de volonté
efficace.
Le psychologue français Ribot avait pressenti tous ces
travaux lorsqu'il écrivait, il y a plus de trente ans : « Le
mouvement est la condition du changement qui est la loi fondamentale de la
conscience. »
* * *
Mais si le mouvement (c'est-à-dire le geste éduqué) est à
l'origine de la vie psychique, il constitue aussi son achèvement. On peut affirmer
que « toute conscience est motrice ». La vie psychique est
essentiellement dynamisme, aucune activité humaine spirituelle ne pouvant se
passer du support de la matière. Tout état de conscience se traduit normalement
en mouvement, constituant une sorte d'arc psychique, comparable à l'arc qui,
dans le système moteur, se traduit par une réponse à une excitation, et que
nous appelons un « réflexe ».
Jusqu'à l'âge de quatre ans environ, le seul terrain
d'observation dont nous disposons pour évaluer la richesse ou la vigueur
mentale d'un petit enfant, c'est l'observation de ses gestes (tests moteurs).
Or nous retrouvons le même phénomène chez l'adulte. Nous apprécions l'intérêt
que prend un spectateur à un match de football, d'après ses gestes et sa
mimique. Et nous fixons l'ennui qu'un autre éprouve à écouter une conférence,
quand il commence à bâiller ou à tourner son regard sur son bracelet-montre ou
vers les jolies femmes qui l'entourent.
Le mouvement révèle au dehors le contenu de l'inconscient.
Celui-ci est peut-être formé pour une large part de résidus moteurs des actions
passées ou, inhibées.
Cette notion, que l'on peut observer dans les actes les plus
banaux de la vie courante, se retrouve dans les manifestations les plus
intellectuelles de notre comportement. La mimique traduit au dehors la vie
psychique et mentale de chacun de nous, et, dans la danse (je ne parle pas ici
de la « raspa », mais de la danse classique ou callisthénique), une
véritable fusion est réalisée entre l'activité psychique et le mouvement, au
point que le spectateur compétent saisit directement, dans le mouvement, la
signification dont il est porteur. On observe la même perfection de
l'expression du geste dans le « style » de l'athlète.
* * *
Cette conception comporte des déductions d'ordre
pédagogique, telles que la nécessité de l'active participation des élèves à
l'enseignement donné par le maître. Seule la pensée qui se traduit par une
action est contrôlable chez le jeune enfant et démontre qu'une résolution a été
prise. C'est la base de « l'école active ». Et l'enfant, de son côté,
trouve dans le résultat de son activité un témoignage objectif de sa propre force,
de sa volonté et de ses possibilités, et une incitation à faire de mieux en
mieux.
C'est ainsi qu'on peut conclure que l'éducation physique (et
la danse), enseignée selon les conceptions actuelles, aboutit à deux résultats ;
le premier, admis par tous ; le second, encore moins connu du profane.
D'abord, l'éveil de la conscience, par le truchement des
sensations neuro-musculaires ; d'autre part, l'achèvement de l'activité
psychique, consciente ou non consciente, et de l'affirmation de la personnalité
et du caractère.
Robert JEUDON,
Docteur en médecine, docteur ès lettres.
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