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Au jardin d'agrément

Les plantations d'arbustes

Lorsqu'on aménage un jardin ou que l'on transforme une propriété de quelque importance, il est généralement utile de s'adresser à un entrepreneur de jardins. Celui-ci est ordinairement très habile en matière de tracé et de mouvements du sol ; il est parfois moins connaisseur de végétaux qu'il devrait l'être.

Le propriétaire se préoccupe immédiatement de l'importance de la dépense à engager et fait établir un devis des travaux et plantations avant de donner l'ordre d'exécution. Dans ce devis, les travaux de terrassement, de construction des allées, etc., entrent forcément pour une part importante, et la part réservée à l'achat des arbres et arbustes est souvent minimisée pour ne pas effrayer le propriétaire. Celui-ci, cependant, recule d'abord devant la dépense et demande à l'entrepreneur de réduire son devis. Ne pouvant guère comprimer ce qui nécessite de la main-d'œuvre, l'entrepreneur est naturellement porté à diminuer encore le chapitre « plantations », déjà squelettique.

Il ne peut ainsi se procurer en pépinière que des arbustes de multiplication facile et à développement rapide, dont le prix est encore abordable. Et c'est pour cela que l'on rencontre en si grand nombre, et dans tous les jardins, fusains, troènes, aucubas, lauriers-cerises, seringats, deutzias, boules-de-neige, forsythias, etc., tous arbustes évidemment très beaux, mais qui n'apportent pas une très grande variété dans les massifs, pas plus qu'ils ne donnent au jardin un cachet d'originalité.

Ayant le désir, en lui-même parfaitement justifié, de voir les massifs d'arbres et d'arbustes le plus rapidement possible en plein effet, le propriétaire oblige le plus souvent l'entrepreneur à faire planter les arbustes plus serrés qu'il ne le faudrait. D'autre part, la plantation est souvent faite en plaçant les arbustes en tenant seulement compte de leur force au moment où on les plante, les plus petits venant en bordure, les plus grands occupant les rangs de milieu.

Dans ces conditions, si la reprise s'effectue normalement, les arbustes arrivent rapidement à se gêner ; les plus vigoureux étouffent les plus faibles, qui sont souvent les plus intéressants, si l'on n'y prend pas garde. On se trouve alors obligé d'en arracher un certain nombre sous peine de les voir se déformer, s'allonger, nécessiter des tailles sévères et répétées, fleurir peu ou mal, devenant ainsi sans intérêt pour l'ornementation du jardin.

Soigneusement plantés, les massifs d'arbustes devraient, en effet, fournir dans toutes leurs parties et presque en tout temps des éléments d'observations agréables et extrêmement variés qui se renouvellent à chaque instant et dont on est heureux de faire profiter ses visiteurs.

On objectera que les arbustes peu répandus ou nouveaux sont plus coûteux que ceux, multipliés en grande série, que l'on rencontre partout. Mais, si on veut bien adopter, pour leur plantation, des espacements leur permettant de prendre tout leur développement, la dépense ne sera pas plus grande, car, si le prix unitaire est supérieur, le nombre de sujets nécessaire sera plus faible, d'où compensation.

Mais, pour obtenir ce résultat, il faut envisager la plantation sous un aspect différent de celui de l'effet immédiat, s'en occuper soi-même ou, si l'on craint de manquer de données, en confier le soin à une personne compétente pour établir la liste des végétaux, pour se les procurer et surtout pour placer chaque espèce dans l'endroit le plus favorable à sa croissance et à la mise en valeur de ses qualités décoratives au point de vue exposition, nature de sol, distance des arbustes voisins, rang de taille, couleur du feuillage ou des fleurs, époque de floraison, etc.

Rien n'empêche, d'ailleurs, pour les personnes pressées de voir leurs massifs d'arbustes rapidement garnis, de planter, entre les essences retenues comme intéressantes, des arbustes plus communs, à développement rapide, qu'il ne faudra cependant pas manquer de supprimer avant qu'ils ne gênent les arbustes de choix.

Il est encore d'usage courant, dans la répartition des arbustes pour massifs, de mélanger ceux-ci pour donner, dit-on, plus de variété. Dans le même but, et aussi pour atténuer la nudité du jardin en hiver, on est convenu de disperser, entre les essences à feuilles caduques, c'est-à-dire perdant leurs feuilles à l'automne, un certain nombre d'arbustes à feuilles persistantes, c'est-à-dire les conservant l'hiver. Cependant, si l'on veut bien tenir compte que, dans la nature, les végétaux vivent le plus souvent en colonies et se font mutuellement valoir par leur rapprochement, on sera, au contraire, conduit à rapprocher un certain nombre de sujets de même espèce de façon à en former des groupes de trois, cinq ou davantage, selon l'emplacement qu'ils occupent et l'étendue du jardin. C'est ainsi que des groupes d'arbustes à feuilles caduques seront voisins de groupes d'arbustes à feuilles persistantes, chacun d'eux formant une tache plus ample, plus marquante et produisant beaucoup plus d'effet à distance.

Certaines personnes, versées dans la nomenclature botanique, poussent davantage ce mode de groupement en rapprochant les différentes espèces d'un même genre afin de pouvoir les observer et les comparer à différents points de vue. D'autres, plus amateurs que botanistes, sont d'avis de grouper, sur un même point, les essences fleurissant à un même moment, par exemple les Rosacées des genres Prunus, Cerasus, Malus, Persica, Amygdalus, etc., dont les nombreuses variétés sont si remarquables au printemps. En s'y prenant ainsi pour les autres genres, on peut parvenir à meubler le jardin de façon originale, chaque partie ayant ainsi un caractère particulier et se trouvant dans tout son éclat à une époque déterminée.

Nous laissons à nos lecteurs le soin d'apprécier les remarques formulées ci-dessus. Nous reconnaissons, en effet, que l'ornementation du jardin est un peu, comme l'ameublement de l'habitation, une affaire de goût et de préférence personnels. Il serait très souhaitable, et ce sera notre conclusion, que tout amateur de jardin imprimât à celui-ci un caractère en rapport avec ses sentiments et avec l'idée qu'il se fait de l'esthétique. Peut-être ne serait-ce pas toujours harmonieux, mais ce serait, à notre avis, préférable à ces tracés sinueux qui se répètent dans tous les jardins, même dans les plus petits, et à ces groupes d'arbustes d'une monotonie fatigante !

E. DELPLACE.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 676