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Légumes d'autrefois

Si nous avons, à l'heure actuelle, des légumes nombreux, à notre disposition, il n'en fut pas toujours de même et nos ancêtres devaient se contenter, pour améliorer leurs menus, d'utiliser des plantes indigènes qui, de nos jours, sont considérées comme sans valeur, voire même comme mauvaises herbes.

Au moyen âge et bien antérieurement, on avait coutume de réserver, dans le potager, une place importante aux plantes aromatiques, sans lesquelles aucune préparation culinaire n'aurait paru convenable. Malgré cet engouement, bon nombre d'autres plantes étaient considérées comme de vrais légumes, telles : la patience, la livèche, le chervis, aujourd'hui délaissées.

L'introduction de légumes nouveaux est la cause initiale de la disparition graduelle des unes et des autres. C'est, par exemple, le céleri qui, au XVIe siècle, fit disparaître de nos jardins la livèche. Il faut pourtant regretter l'abandon de certaines d'entre elles, parmi lesquelles celle du chervis, pour lequel un revirement en sa faveur serait à souhaiter,

Le chervis produit, en effet, des racines charnues d'un goût sucré très agréable. C'est, du moins, l'opinion de tous les auteurs anciens, qui le représentent comme un légume délicat, susceptible de s'accommoder à toutes les préparations que l'on fait subir au salsifis ou au scorsonère.

La grande ache commune, à l'état sauvage dans les pâturages humides des régions méridionales de l'Europe et sur les rivages maritimes de l'Ouest de la France, après plus de vingt siècles de culture et après avoir eu les faveurs des tables princières, est aujourd'hui complètement abandonnée.

La mauve fut, elle aussi, un légume apprécié des Romains, qui la mangeaient en salade après cuisson.

Le souci, la bourrache furent anciennement autant d'herbes potagères qui remplacèrent autrefois l'oseille dans les potages.

L'arroche, le chénopade Bon-Henri et la patience remplaçaient l'épinard et la tétragone.

Le fenouil officinal était employé autant pour les usages culinaires que pour la médecine. Afin d'aromatiser les viandes et les poissons, on entourait fréquemment ces aliments de, feuilles fraîchement cueillies.

Nombreuses sont encore les plantes condimentaires abandonnées dont on faisait usage pour assaisonner les mets, la cuisine épicée étant très appréciée depuis les Grecs et les Romains jusqu'au XVIe siècle.

La rue, l'une des plus recherchées, est un petit arbrisseau au feuillage persistant et à odeur forte dont les principes vénéneux obligeaient dans son emploi une certaine modération. C'était, malgré cela, l'indispensable condiment du moretum, plat national romain, composé d'ail et d'oignon, d'ache, de rue et de fromage, le tout consciencieusement pilé ensemble.

Certaines labiées qui sont actuellement uniquement utilisées dans les préparations médicales furent également cultivées comme plantes potagères ; la sauge officinale, les menthes, l’hysope, la mélisse, la marjolaine et le cumin, après séchage et pulvérisation, servaient comme condiment.

La nigelle de Damas, dont les graines sont acres et très aromatiques, remplaça longtemps le poivre et les clous de girofle.

La roquette, qui est encore utilisée par les habitants du Midi, amateurs de plantes à saveur forte, était, au temps des Romains, le seul assaisonnement des laitues, chicorées et pourpiers.

Ultérieurement, le cerfeuil musqué fut. avec la benoîte et le cresson des près, un assaisonnement très en vogue au temps de la Renaissance.

Cette incursion dans l'histoire des plantes potagères ne saurait être une apologie, sans objet d'ailleurs maintenant ; elle a uniquement pour but, par la comparaison que chacun peut faire dans son propre jardin, de mettre en évidence combien furent méritoires en leur persévérance les efforts des jardiniers pour améliorer leur production.

A. GOUMY, Ingénieur horticole.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 734