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Grande culture

L'équilibre des travaux

Les travaux agricoles tendent à se transformer ; n'exagérons pas ces transformations, mais elles sont indéniables. L'évolution des générations, les moyens nouveaux mis à la disposition des agriculteurs, un besoin de changement plus expressif en sont la cause, et chaque jour amène de nouvelles surprises ; d'autre part, l'organisation même des exploitations tend à se modifier en raison des circonstances économiques. En définitive, on est moins attaché au passé et, pour certains, il serait de bon ton de s'en détacher complètement.

L'année agricole qui se termine avec les incidents météorologiques qui l'ont marquée laisse des traces partout ; l'année a débuté au printemps sous le signe du retard, et c'est là un des maux dont souffre une activité qui ne se protège pas contre les intempéries ou ne peut que s'y adapter. Ainsi, sous l’empire des difficultés dans l'exécution des travaux, en vue de réduire le personnel employé, de le voir peiner infiniment moins, et pour améliorer la position des trésoreries, la moissonneuse-batteuse s'est répandue. On a assisté à des faits curieux : des groupements coopératifs, des entreprises débordés par la demande ; en outre, l'emploi en dehors de chez eux de matériels que les cultivateurs ont mis à la disposition de leurs voisins dans l'embarras. Il y a lieu de reconnaître que, malgré les difficultés et la lenteur d'exécution dans les céréales versées, on a été satisfait du travail réalisé.

Évidemment, nous l'avons dit, la machine exige de la prudence, de la patience et, dans les fermes à récoltes ainsi exécutées, le retard est venu s'ajouter à celui que causaient des pluies incessantes.

Immédiatement, l'équilibre des travaux a été rompu : retard dans les déchaumages, dans la préparation des terres pour les oléagineux d'automne, retard considérable dans les arrachages de pommes de terre, même fait pour les betteraves ; en résumé, saison d'automne retardée avec toutes les conséquences que cela entraîne pour le printemps prochain, sauf automne très favorable et hiver non précoce ne paralysant pas toute activité.

Faut-il, en raison de ces incidents, modifier les assolements, faire une place plus large aux céréales précoces : par exemple, dans une ferme à moissonneuse-batteuse, choisir des variétés de blés précoces, très précoces même, non pas pour lutter contre l'échaudage, mais pour ne pas risquer de retarder la moisson des grains ?

Faudrait-il, avec le même souci, envisager la culture de pommes de terre très précoces, afin d'enlever une partie du travail avant la moisson ? Certains le faisaient déjà, souci de trésorerie, de dégagement de la main-d'œuvre, mais, alors, on tombe dans le marché des pommes de terre à récolte naturellement hâtive, et l'on se dégage d'un côté pour risquer une chute des cours causée par l'abondance des tubercules arrivant pour la vente à la même époque.

Il est certain aussi que le moissonnage-battage, vraiment appelé à se développer, comportant d'ailleurs tous les accessoires nécessaires, notamment en matière de séchage de grains, entraînera des changements dans les travaux des fermes ; le battage réservé aux jours de mauvais temps devra faire place à autre chose. Ce sera peut-être l'occasion d'établir un programme de travaux d'améliorations diverses occupant, pendant la mauvaise saison, tant les petits exploitants que les salariés des fermes de quelque importance. On voit se développer des ateliers ruraux qui serviraient dans ces périodes d’arrêt relatif.

Mais ne croyons pas, du moins c'est mon avis, au retour des travaux d'artisanat à la campagne. Ce serait souhaitable, sans doute réalisable avec la répartition de l'énergie électrique, de l'apport à domicile et du retour à l'atelier de montage des éléments de base ou travaillés ou ajustés. L'idée est soutenue par les personnes qui désirent la renaissance de la vie rurale. On ne sait où l'on peut aller dans cette voie ... Les esprits ingénieux et entreprenants peuvent se donner libre cours.

L'équilibre des travaux doit être également envisagé lorsque l'exploitation est menée en productions variées, surtout végétales et animales ; il semble que, dans des cas nombreux, la diversité des productions soit favorable à la trésorerie de la ferme ; la monoculture ou quelque chose d'analogue demande une trésorerie plus étoffée. On sait, au contraire, les services que rend la vente quotidienne du lait, des apports de produits sur les marchés. Mais tout cela doit être relié à l'équilibre général de tous les travaux avec spécialisation plus ou moins étendue suivant les spéculations envisagées.

Dans le même ordre d'idées, des faits curieux peuvent se produire. En dehors de la culture familiale, deux grandes tendances se sont développées au cours des âges, une main-d'œuvre de base plus ou moins importante et une main-d'œuvre complémentaire saisonnière. La main-d'œuvre saisonnière est souvent encore de caractère local ; des membres de la famille savent qu'ils trouveront à s'occuper à la ferme voisine pendant les périodes de grands travaux, le chef d'exploitation sait qu'il recrutera les éléments utiles au moment voulu. Cette forme de main-d'œuvre tend à diminuer légèrement, l'intensification de l'emploi des machines donne de la tranquillité à l'exploitant, et la femme reste au foyer, trouvant quelquefois au ménage un gain net plus substantiel, en même, temps que le foyer y gagne moralement.

Lorsqu'il s'agit de main-d'œuvre saisonnière, des courants s'établissent ; ils tendent à se restreindre soit à l'intérieur d'un pays, soit au travers des frontières. On a encouragé la fixation de cette main-d'œuvre complémentaire dans les grandes fermes notamment ; là-dessus se sont greffées des questions de logement, de maintien au logement, des accessoires du logement ; la permanence s'est étendue, mais alors il convient d'étudier avec encore plus de soin l'équilibre des travaux pour que, toute l'année, les salaires tombent régulièrement. Il convient même d'intercaler des travaux à tâche pour améliorer les conditions du salariat, si le principe de cette méthode de rémunération n'est pas mis en discussion.

Ces aperçus généraux, qui donnent à réfléchir, trouvent leur expression plus facile au cours des mois d'hiver, où le travail des champs sollicite moins l'attention. Au-dessus de l'équilibre des travaux à la ferme, on pourrait discuter sur l'équilibre général des productions, mais les jours que nous vivons sont un peu déconcertants ; les uns disent expansion agricole avec le complément exportation, les autres disent limitation des productions, de crainte de voir les cours baisser. Une autre préoccupation est relative à ce fameux équilibre des salaires et des prix. Mais les intérêts sont divergents et l'équilibre reste bien instable, et il faudrait étudier sans doute des solutions hardies et nouvelles.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole,

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 677