L'emploi des engrais azotés a subi une évolution très nette
depuis 1938. Elle s'est traduite par une réduction importante de l'utilisation
du sulfate d'ammoniaque, du nitrate de soude et de la cyanamide au profit du
nitrate de chaux, du nitrate d'ammoniaque et surtout des ammonitrates et autres
produits azotés divers. Autrement dit, on note une tendance au remplacement des
engrais classiques par les nouveaux venus.
Les ammonitrates, engrais à base de nitrate d'ammoniaque,
peu commode lui-même à utiliser tel quel, apportent au sol l'azote sous les
deux formes : ammoniacale et nitrique, qui se disputaient autrefois la
faveur de l'agriculteur. Ils remplacent ainsi deux épandages par un seul, ce
qui réduit considérablement les frais et les ennuis. Leur prix de revient,
avantageux par rapport à celui des autres engrais azotés, ajoute à leur attrait
et il semble bien que la tendance actuellement en leur faveur ne soit pas
appelée à se retourner dans les années prochaines, bien au contraire.
Parmi les anciens engrais, les plus touchés sont le sulfate
d'ammoniaque, la cyanamide et le nitrate de soude, alors que e nitrate de chaux
conserve et même améliore légèrement sa position, mais il est à remarquer que,
de plus en plus, la faveur va aux nitrates les plus riches (15 à 15,5 p. 100),
de préférence aux nitrates à 13 p. 100 d'azote. Cette remarque s'applique
d'ailleurs aux ammonitrates qu'on recherche à 20 p. 100 d'azote plutôt qu'à
15,5 p. 100 comme cela se faisait au début de leur apparition dans le commerce.
Ceci est normal d'ailleurs, car les frais de transport, de sacherie et
d'épandage sont proportionnellement moins élevés avec des engrais à haute
teneur en éléments fertilisants qu'avec des engrais pauvres. Le même phénomène
se produit dans l'emploi des engrais potassiques où la sylvinite pauvre (12 p.
100 de potasse) a disparu du marché au profit de la sylvinite riche (18 p.
100), elle-même éliminée progressivement par le chlorure de potassium (48 p.
100). Cette évolution montre que les cultivateurs sont plus avertis
qu'autrefois des questions d'engrais et qu'au delà du prix, sans importance, du
sac de marchandise brute, ils savent voir celui de la matière fertilisante,
seul intéressant.
Parmi les engrais tout à fait nouveaux, il convient de citer
l'ammoniac anhydre, qui est un gaz dosant 82 p. 100 d'azote et qui peut
s'employer tel quel, sans transformation en engrais solide, ce qui réduit les
frais de fabrication. Il se transporte en bouteilles où il est comprimé. Il
peut s'utiliser soit en injections gazeuses dans le sol, soit après dissolution
dans des eaux d'irrigation, ce qui peut être particulièrement intéressant dans
les rizières de Camargue. On reproche à cette dernière technique de ne pas
assurer une répartition assez régulière de l'engrais, mais il est vraisemblable
qu'on arrivera à la perfectionner. Pour le moment, une mise au point semble
s'imposer, mais la question est à surveiller avec d'autant plus d'attention que
cet engrais apporte l'azote à un prix bien inférieur à celui des autres
engrais.
Les engrais composés, ou engrais complets, qui apportent à
la fois azote, acide phosphorique et potasse connaissent une faveur croissante,
malgré leur prix relativement élevé, en raison de leur commodité d'emploi (un
seul épandage) et de la réduction des frais de transport, de manipulations et
de sacherie. La tendance à la production d'engrais à haute teneur en éléments
fertilisants se fait sentir là, comme pour les autres engrais, et pour les
mêmes soucis d'économie bien comprise.
Utilisés de façon plus courante et plus rationnelle, les
engrais azotés voient leur consommation se développer, d'abord par la
généralisation de leur emploi, mais aussi par un accroissement des doses. Ceci
n'est pas particulier aux engrais azotés, mais d'ordre général, car la notion
de l'équilibre des fumures s'est répandue et on a fini par comprendre un peu
partout qu'il ne suffisait pas de mettre un élément dans le sol, mais qu'il
fallait pratiquement les apporter tous les trois. A ce point de vue, la
diffusion des engrais complets a fait beaucoup pour répandre cette notion
essentielle. La consommation des engrais azotés a été longtemps freinée par la
crainte de la verse des céréales, qu'on avait d'ailleurs la surprise de
constater davantage dans les terres pauvres et sans engrais qu'en terres riches
et bien engraissées. Elle provenait le plus souvent d'une insuffisance d'acide
phosphorique et de potasse, bien plus que d'un excès d'azote. En utilisant plus
largement ces deux éléments d'ossature et de résistance, on a pu forcer les
doses d'azote et, tout réuni, accroître les rendements. Il y a, par contre, à
se méfier alors des semis trop drus, qui favorisent l'étiolement de la plante
et le piétin. En terre très bien préparée et bien engraissée, la quantité de
semence doit être réduite et certains agriculteurs, parmi les meilleurs, sèment
moins de cent kilos de blé à l'hectare et s'en trouvent bien.
Un autre élément d'augmentation de la consommation des
engrais provient de meilleurs soins apportés aux prairies de toutes sortes. On
a compris qu'il importait, pour les entretenir et les améliorer, de leur
apporter des doses d’engrais en rapport avec les principes enlevés par les récoltes.
Là encore, il y a progrès.
Augmentation des quantités épandues, plus grande richesse
aux cent kilos, faveur croissante des engrais ammoniacaux-nitriques et des
engrais complets, telle semble être la tendance actuelle du marché des engrais
azotés, tendance qui marque un progrès incontestable tant pour les résultats à
en attendre pour la production que dans l'évolution des connaissances
techniques de la généralité des utilisateurs.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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