Quand paraîtront ces lignes, les feuilles de nos vignobles changeront
de teinte et passeront du vert au jaune ou au rouge pour certains cépages, dont
les teinturiers. Puis ces feuilles tomberont et seront, par la suite, détruites
par les microorganismes, en laissant comme résidu une quantité infime de sels minéraux
de l'eau et de l'acide carbonique.
Toutefois, avant de changer de couleur, elles auront
accumulé dans les sarments les réserves nutritives nécessaires au débourrement
de printemps.
Suffisent-elles à rendre au sol les éléments fertilisants enlevés
par les récoltes ? Certainement non.
Nous avons vu dans notre précédente étude (1) un aperçu fort
succinct de l'historique des engrais et de leur application à la vigne. Des
nombreuses expériences culturales faites depuis un demi-siècle, on a établi qu’il
faut restituer au vignoble par are et par an : 0kg,500
d'azote, 0kg,650 d'acide phosphorique et 1kg,500 de potasse.
Ces chiffres n'ont rien d'absolu ; il tombe sous le bon sens
qu’il faudra les augmenter dans les sols maigres et qu'on pourra les diminuer
dans les sols riches et profonds, et ce principalement par l'azote.
Les chiffres ci-dessus nous révèlent l'importance donnée à
la potasse ; nous savons que ce corps aide à la formation du sucre dans la
pulpe, et qu'il joue un rôle dans la nutrition de la vigne, rôle qu'on pourrait
qualifier par le nom moderne de catalyseur.
Il nous a semblé intéressant de donner au vigneron des compositions
des principaux produits de son exploitation, ou de ceux qu'il peut acquérir à
leur compte, produits qui sont ou peuvent être employés comme engrais au
vignoble.
Nous tâcherons d'être le moins aride que possible et, pour
éviter des redites, nous désignerons l'azote par les lettres Az, l'acide phosphorique
par les lettres AcPh, et la potasse par les lettres Pot.
Notons en passant que cette notation arbitraire est
totalement différente de celle employée par les laboratoires d'analyses
agricoles dans leurs bulletins.
Les chiffres que nous donnons s'entendent par kilogramme
du produit considéré.
Les marcs et les feuilles de raisin frais ne peuvent donner
que 10 grammes Az, 27 grammes AcPh et 67 grammes Pot ; c'est bien peu.
Si nous épandons des balles de céréales, nous enfouirons 7gr,2
Az, 4 grammes AcPh et 8gr,4 Pot ; c'est encore bien peu.
Le genêt à balai est un peu plus riche en Az, soit 25 gr.,
mais seulement 2 grammes AcPh et 4 grammes Pot.
Les fumiers donnent de meilleurs chiffres ; cheval :
5gr,9 Az, 3gr,8 AcPh et 4gr,2 Pot.
Nous avons vu dans notre dernière étude que le fumier de
mouton était le plus riche : 8gr,2 Az, 2gr,1 AcPh, 8gr,4 Pot.
À lui seul, il pourrait assurer annuellement une fumure de
la vigne en ajoutant un peu de potasse fourni par les engrais complémentaires.
Les porcs donnent : 6gr,5 Az, 5gr,3 AcPh, 2 grammes
Pot.
Répétons que ces chiffres ont été obtenus sur des prélèvements
faits dans des fumiers bien tenus ; en pratique, ils peuvent être
inférieurs dans de notables proportions.
Le guano du Chili fournit de 40 à 90 grammes Az et 140 à 220
de AcPh ; on voit que sa composition est très variable. Enfin les
poudrettes (de Paris) ont la composition suivante : 1gr,5 Az, 2gr,6 AcPh
et 6gr,7 Pot.
Les engrais verts paraissent intéressants ; malheureusement
il est assez difficile de les cultiver dans la vigne. On obtient en enfouissant
la vesce : 5gr,9 Az, 1gr,2 AcPh et 6gr,1 Pot ; avec le lupin,
ces chiffres sont respectivement de 5 grammes, 1gr,l et 3gr,8.
En ce qui concerne la vigne, la vesce est plus intéressante
par son pourcentage plus élevé en potasse.
Les tiges et feuilles de topinambours, que l'on répand
quelquefois dans le vignoble, laissent dans le sol ; 5gr,3 Az, 0gr,7 AeiPh,
3gr,1 Pot, ce qui constitue, sauf pour l’azote, un assez faible apport.
Pour mémoire, les sols ayant porté des légumineuses
fourragères (luzernes, trèfles, sainfoins) sont enrichis par hectare de 125
kilogrammes Az en moyenne et 30 kilogrammes AcPh.
Les tourteaux ne sont à retenir que par l'azote et les
matières organiques qu'ils apportent ; leur teneur moyenne en azote est de
50 grammes (toujours par kilogramme).
Les produits animaux sont plus intéressants ; ainsi, le
sang desséché contient 130 grammes Az ; cette teneur est de 135 grammes
par la corne torréfiée et de 120 grammes par les bourres de laine (déchets de
carderie de laine).
Notons, en passant, que les curages d'étangs ou des mares
contiennent 2 grammes Az, 2gr,6 AcPh, 3gr,7 Pot et 225 grammes de chaux ;
ces quatre éléments sont ici sous une forme immédiatement assimilable, d'où
leur bon effet constaté par l'expérience.
Nous passons volontairement sous silence les déchets de
sucrerie, de brasserie et autres industries agricoles.
Car nous n'avons cité que quelques produits les plus
courants, mais leur liste est très longue et il nous aurait paru fastidieux de
la publier ; notre choix s'est arrêté sur les principaux.
Si nous avons chiffré à dessein les éléments fertilisants, ce
n'est pas pour une question de statistique, mais pour permettre à l'exploitant
de se faire une idée de la valeur des produits qu’il a à sa disposition dans
son exploitation ou qu'il peut se procurer à bon compte, comme nous l'avons
écrit au début de cette étude, et lui permettre de calculer la quantité de ces
produits qu'il doit restituer chaque année au sol de son vignoble.
Pour illustrer ce dernier point, nous allons prendre un
exemple : supposons qu'un vignoble d'une exploitation de polyculture ait
une superficie de 80 ares, et que les ceps aient un développement et un
rendement normaux.
D'après ce que nous avons écrit plus haut au sujet de
l'apport, annuel d'éléments fertilisants par are, il faut répandre dans le
vignoble considéré et par an : 40 kilogrammes Az, 52 kilogrammes AcPh, 120
kilogrammes Pot.
Si l'exploitant peut se procurer, par exemple, à bon marché
des déchets de carderie de laine contenant 120 grammes Az par kilogramme, nous
trouvons par une règle de trois qu'il faudra acheter 330 kilogrammes de déchets
de carderie (en chiffres ronds).
Quant aux 52 kilogrammes AcPh et aux 120 kilogrammes Pot, il
faudra les demander aux engrais complémentaires, soit sous forme de
superphosphates et sels de potasse (chlorure ou sulfate) à répandre avant
l'hiver par un labour, soit au phosphate de potasse, produit très concentré,
que l'on aura intérêt à répandre au pal au moment du débourrement.
L'exemple ci-dessus est valable pour un produit quelconque.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
(1) Voir Le Chasseur Français du mois d'octobre.
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