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La forêt française

Frêne et érables

Dans un précédent article (1), j'ai présenté quelques essences forestières dites « secondaires », dans le but d'attirer l'attention sur l'intérêt commercial, cynégétique ou esthétique qu'elles présentent et, par suite, en vue d'inciter les propriétaires ou les régisseurs de forêts à les réserver au cours de leurs balivages. Dans cet article, j'avais traité la question des « fruitiers ». Je voudrais aujourd'hui présenter au lecteur un certain nombre d'espèces, botaniquement plus variées.

Un peu partout en France on rencontre le frêne (Fraxinus excelsior), sauf dans une partie du secteur méditerranéen, où on trouve par contre deux autres espèces : Fraxinus oxyphylla et Fraxinus ornus.

Le frêne commun est caractérisé par ses feuilles opposées, composées pennées, et par ses bourgeons quadrangulaires, noirs et mats. Sa tige reste longtemps lisse, avec une écorce dont la couleur varie du jaune verdâtre au brun ocre clair. Puis l'écorce se crevasse, plus finement toutefois que celle du chêne. D'en bas, on reconnaît bien le frêne, grâce à la disposition opposée des rameaux et à leur raideur. Le bois du frêne, généralement d'un blanc crème nacré, peut quelquefois être brunâtre au cœur. On y distingue bien les zones poreuses annuelles de bois de printemps, comme chez le chêne et l'orme, mais on ne voit pas, en section transversale, les vaisseaux en zones concentriques sinueuses de celui-ci, ni les rayons ligneux de celui-là.

Le bois de frêne a de multiples usages, surtout si ces accroissements annuels sont larges (plus de3 à 4 mm.). On en fait de très beaux placages tranchés, des pièces particulièrement résistantes pour la fabrication de bois lamellés, de pièces cintrées, de longerons à haute résistance à la flexion ou au choc.

Pour avoir une grande valeur, il faut que le bois de frêne ait des accroissements larges, donc que l'arbre soit bien nourri. À cet égard, les sols argileux frais conviendront toujours mieux que les calcaires fissurés et filtrants ou les sables secs. En outre, on devra toujours se rappeler que le frêne est une essence exigeante, donc le traiter en essence disséminée, réserver quelques pieds ça et là, ne pas faire de bouquets denses de jeunes frênes qui s'affament réciproquement.

On rencontre aussi, dans nos forêts, un certain nombre d'érables : deux espèces montagnardes et septentrionales, l'érable plane (Acer platanoides) et l'érable sycomore (Acer pseudoplatanus), une espèce très répandue en France, sauf trop haut en montagne et trop au Midi, l'érable champêtre (Acer campestre), et deux autres espèces à exigences plus strictes, l'érable à feuilles d'obier (Acer opulifolium) et l'érable de Montpellier (Acer Monspessulanum). Nous ne parlerons que des trois premières.

L'érable plane et l'érable sycomore, souvent désignés collectivement sous le nom de grands érables, sont de grands arbres qui peuvent atteindre les dimensions des hêtres. On les rencontre en montagne jusque dans la sapinière ou la pessière. En plaine, on les trouve dans les vallons froids ou aux expositions bien ombragées. La culture les a d'ailleurs répandus en dehors de ces stations typiques.

Tous les érables ont les feuilles, donc aussi les bourgeons et les rameaux, opposées. Leurs fruits sont des samares, c'est-à-dire des akènes secs munis d'une aile. Chacun de nous a fait voler, dans son enfance, les samares doubles des sycomores qui hantaient les cours d'écoles.

Les cinq érables indigènes ont des feuilles simples lobées à nervation palmée.

L'érable plane a des feuilles dont les cinq lobes, terminés par une pointe allongée (acuminée), sont séparés par des sinus arrondis. Ses bourgeons, multi-écailleux, sont recouverts d'écailles herbacées rougeâtres. Son fût, d'abord lisse, se crevasse finement, à l'âge adulte, comme celui du frêne.

L'érable sycomore a des feuilles dont les cinq lobes, terminés par des pointes non aiguës, sont séparés par des sinus aigus. Les bourgeons, multi-écailleux, comportent des écailles herbacées, vertes, bordées de brun. Le fût, longtemps lisse, se couvre de petites écailles, à l'âge adulte, comme celui du platane de nos routes.

L'érable champêtre a des feuilles plus petites que les deux précédents (généralement moins larges que la paume de la main). Les cinq lobes sont arrondis. Les écailles des bourgeons sont sèches et brunes. Cet érable atteint des dimensions moins grandes que les deux précédents. Ses jeunes rameaux se couvrent rapidement de cannelures liégeuses. Son fût est rapidement, mais finement crevassé.

Les bois de ces trois érables sont assez semblables : homogènes, sans zones poreuses annuelles de bois de printemps, accroissements annuels peu distincts, à rayons ligneux très réguliers, nombreux et fins. Le sycomore possède le bois le plus clair, généralement d'un blanc nacré ; le champêtre possède le bois le plus coloré, en crème ou jaunâtre. Tous se travaillent très bien, se scient, se tranchent, se déroulent, se rabotent, se toupillent, se poncent, se collent de façon remarquable. Leur seul défaut est d'être altérables ; les grumes d'érable qui traînent sur coupe, pendant l'été, s'échauffent et les gros plateaux, stockés sans surveillance, risquent la vermoulure.

Les érables présentent quelquefois des « figurations » qui en augmentent la valeur. Ça et là, sur les versants un peu pierreux et calcaires, on trouve des érables sycomores ondés dont le bois, ondulé radialement (c'est-à-dire suivant les rayons de la section), présente, quand il est raboté et poncé, des bandes alternativement claires et sombres qui semblent onduler sous les jeux de lumière. Ces bois ondés servent à faire les fonds des violons et des violoncelles. Certains érables (mais surtout les espèces américaines), contiennent une foule de bourgeons proventifs, si bien qu'au déroulage les placages sont parsemés d'une multitude de petits groupes de cercles concentriques (érables ocellés).

Même sans figuration, les érables sont de très beaux bois, appréciés par les fabricants de placages. Partout où on trouvera des érables au cours des martelages, on aura donc intérêt à les conserver, à l'état disséminé (car ce sont aussi des espèces exigeantes). Mieux vaut un beau fruitier, un beau frêne, un bel érable, qu'un bouquet de hêtres à bois banal ou quelques résineux à forte croissance dignes seulement de la caisserie ou de la pâte à papier et qui ont ailleurs leur place assignée.

Nous avons laissé de côté la question de l'orme, cette espèce, attaquée par une grave maladie, étant actuellement gravement compromise.

Nous n'avons pas non plus parlé des bois tendres ou demi-tendres comme les bouleaux, les aunes, les tilleuls, les trembles, à qui nous consacrerons un prochain article.

Nous nous proposons également de consacrer un article à certaines essences feuillues étrangères, introduites chez nous depuis un temps plus ou moins long, comme les robiniers (pseudo-acacias), l'ailante, les caryas, les platanes, le noyer noir, etc.

LE FORESTIER.

(1) Voir Le Chasseur Français d'octobre 1951.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 680