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La chevalerie médiévale

Les documents sur l'origine et l'histoire de la chevalerie abondent, mais ils sont de valeurs extrêmement inégales.

Le point de départ est constitué par le travail d'un érudit du XVIIIe siècle, Lacurne de Sainte-Palaye. La somme de cette histoire a été écrite, en 1894, en un énorme in-quarto, par Léon Gautier. Les deux ouvrages sont introuvables, mais il en existe de substantiels résumés.

Aussi médiévale que féodale, la chevalerie est une création indépendante de l'armée, sous l'égide de l'Église et pour des buts moraux.

L'origine est double, à la fois romaine et germanique, mais toujours marquant le passage — par une prise d'arme — de l'adolescent à l'homme libre accédant à la vie publique.

La base de la cérémonie réside dans l'adoubement, c'est-à-dire en une initiation à des rites avec remise des armes.

Les éléments de la cérémonie sont représentés d'abord par les éperons de métal précieux et le baudrier supportant l'épée, puis par le heaume ou casque, le haubert ou cotte de maille, et le bouclier en amande. La cérémonie comportait en outre le bain rituel et la colée, ou coup sur la nuque. Le tout se situait dans une église avec multiples bénédictions et onctions sur ces pièces, précédées d'une veillée des armes.

Dès 1098, le comte de Ponthieu arme celui qui sera plus tard Louis VI le Gros, et l'on voit paraître pour la première fois le mot « ordonner » chevalier. Ce terme indique dès lors qu'il s'agit de l'introduction, de la réception dans un ordre, une caste, qui est à la fois militaire et religieuse.

L'évolution de la chevalerie marque l'emprise croissante de l'Église.

Mais il n'y a ni oppression, ni annexion : c'est un don volontaire mais non formulé des chevaliers. C'est une conséquence spontanée de l'immense foi médiévale, encore qu'il faille toujours tenir compte, en matière historique, de ce que les rapports du temps proviennent toujours de moines, fort peu enclins à parler des mécréants.

Il n'y a jamais eu annexion, qui se serait traduite par la création d'un ordre religieux. Cependant le rituel de l'admission dans la chevalerie a été tellement réglementé religieusement que l'on a prononcé jusqu'au nom de sacrement, surtout après le pontificat de 1295, s'inspirant des usages du règne du saint roi Louis IX.

Mais il a existé cependant des ordres militaires religieux, par l'union sur la même personne du glaive et de la croix, de l'étole et du bliaut, du haubert de mailles et de la dalmatique. Ce fut imposé par la défense de l'Occident contre l'Orient.

Bien avant que Jérusalem ne succombât sous les coups des Turcs Seldjoucides, de pieux marchands d'Amalfi avaient édifié deux hôtelleries-hospices pour donner asile aux pèlerins de l'Europe chrétienne. En 1076, la prise de Jérusalem imposa aux Hospitaliers l'impérieuse nécessité de s'organiser d'abord en ordre religieux. Ce fut effectué en 1099, et la vêture en fut la robe noire ornée sur le sein gauche de la croix blanche à huit pointes, celles des huit béatitudes.

En 1118, Raymond Dupuy, second maître de l'ordre, ajouta à l'activité hospitalière celle chevaleresque et prit en charge la défense des Lieux Saints. Ce furent les Hospitaliers.

En 1191, se constitua également l'Ordre teutonique, au manteau blanc orné d'une croix noire sur l'épaule gauche. Exclusivement allemand, il mena le combat contre les païens baltiques. En 1525, il passa à la Réforme.

Les Chevaliers du Temple furent fondés en 1118, mais ils sont surtout militaires, bien que saint Bernard eût rédigé leurs règles. Leur robe est blanche de pureté ornée de la croix rouge de la résurrection. Ils quittèrent Jérusalem en 1187 et perdirent leur raison d'être originaire. Devenus trop riches, Philippe le Bel confisqua leurs biens et le pape Clément V prononça leur dissolution en 1312.

Avec eux la chevalerie religieuse entre en décadence, sauf en Espagne, où subsiste l'ordre de Saint-Jacques de Compostelle.

L'admission dans la chevalerie implique une soumission absolue aux règles traditionnelles, bien, que non écrites. Il y a prestation de serment de piété, largesse, courage et foi, bravoure, honneur et gloire, mépris de la souffrance et de la mort.

L'adoubement n'est subordonné théoriquement à aucune condition. Il suffit d'avoir assez de fortune pécuniaire pour pourvoir acquérir des armes et trouver des parrains se portant garants de la valeur morale. À l'origine, il n'est pas question de naissance. Mais bientôt l'emprise ambiante de la féodalité implique la possession d'une terre et la protection de vassal à suzerain. Il en résulte que l'on devient chevalier, de « quelqu'un ». Si l'obligation d'être noble n'existe pas en principe, il faut cependant être libre ou affranchi, car un serf est attaché à sa glèbe. La conséquence est que se différencient chevaliers et sergents, manteaux blancs et manteaux bruns. En 1250, pour revêtir le blanc manteau, il faut être fils de chevalier ou gentilhomme. L'institution s'en trouve faussée dans son esprit.

Toutefois, il n'y a pas hiérarchie de chevalerie, dans le titre, l'âge ou le grade. L'écuyer devient d'un seul coup chevalier complet par la simple cooptation de ses pairs et l'adoubement rituel.

Un rôle essentiel du chevalier féodal est de se présenter comme champion dans l'« escondit », ou duel judiciaire, et dans l'« ordalie », ou jugement de Dieu ; on dit encore « esconduit ». Le tout est issu de la notion du droit pénal médiéval de vengeance. C'est soumettre le fautif à une épreuve barbare ; saisissement d'une barre de fer rouge pour l'ordalie ; ou bataille « aramie » entre deux champions d'une cause. Celui qui succombe entraîne la peine capitale pour son « patron ».

Pour remplir sa mission et mener sa vie errante en quête d'aventures, profitables ou non, le chevalier devait posséder de suffisants moyens de vie. Aussi au XIIIe siècle, avec la diffusion des joutes et tournois, il se créa une classe de chevaliers professionnels. Cette catégorie n'en fut que plus turbulente et impatiente de tous frein et joug. Aussi tous les princes de la temporalité s'efforcent-ils de prendre le plus possible de chevaliers à leur service. En revanche, le chevalier les défend ainsi que les clercs.

Mais, à côté des bons chevaliers, qui sont parfois des « brigands devenus ermites », selon l'expression du temps, i1 y a aussi les mauvais, mettant leurs armes au service du mal. Les sanctions deviennent alors très graves.

La chevalerie entre en décadence aux XIVe et XVe siècles, au moment même où on en crée de nouveaux ordres : mais ceux-ci seront alors essentiellement de Cour. Tel est en 1399 l'ordre du Bain en Angleterre. Philippe le Bon, grand-duc d'Occident, fonde la Toison d'Or, dont la Légion d'honneur de Napoléon sera la continuation. Louis XI annexe à la couronne les chevaliers de l'ordre de Saint-Michel. Tous ces ordres ont perdu l'esprit de leurs institutions et ne subsistent plus alors que grâce aux manifestations spectaculaires.

La chevalerie ne fait plus alors que se survivre à elle-même.

Devenue décadente, elle va même être l'objet d'attaques, et celles-ci seront de plus en plus violentes.

La France médiévale aura cependant fait deux dons magnifiques au monde : la chevalerie et la courtoisie, du reste toutes deux inséparables.

La chevalerie reste la discipline au milieu du désordre d'une société risquant de sombrer dans la brutalité. Elle fut l'apothéose d'une jeunesse toute de force et de beauté de sentiments. Les aventures du Chevalier Errant lui enseignent la justice et l'individualisme, mais aussi la rigueur morale.

Ainsi le rude Moyen Age créa-t-il un idéal social, fait de courage, mais aussi de loyauté et de générosité. Il s'est perpétué dans l'« honnête homme » du XVIIe siècle.

Au XXe siècle, cet état d'âme atavique et héréditaire s'est manifesté glorieusement deux fois : en 1914 avec les Saint-Cyriens montant à l'assaut en casoar et en gants blancs, et en 1940 avec les aspirants de Saumur se faisant sauter avec les ponts de la Loire.

Rien que pour cet héritage, la chevalerie mérite le respect et le culte du souvenir.

Concrètement, la chevalerie a laissé un autre legs. Celui des décorations pontificales, dont les membres sont groupés, depuis Léon XIII, en noble association des Chevaliers pontificaux. Les six ordres comportent de très brillants uniformes et les cérémonies d'investiture ont conservé tout l'antique symbolisme, en particulier pour celles se déroulant chaque année à l'église Saint-Leu-Saint-Gilles de Paris. Une autre chevalerie chrétienne, au recrutement extrêmement strict, existe également en l'église de Saint-Julien-le-Pauvre et célèbre des fastes de rites byzantins.

Janine CACCIAGUERRA.

Le Chasseur Français N°657 Novembre 1951 Page 697