On est frappé de constater combien les maquettistes amateurs
tiennent jalousement à leurs petits secrets, à leurs tours de main, ce qui
cause les plus grandes difficultés d'initiation aux nouveaux venus.
D'un autre côté, il n'existe guère plus de quatre ou cinq
ouvrages traitant de la question ; encore sont-ils devenus rares et ne
présentent-ils que des modèles assez importants, donc difficiles à traiter par
des amateurs.
Cependant, l'édition récente de plans de bateaux modernes ou
historiques, depuis le Richelieu jusqu'à la Réale et le Louis
XV, en passant par les chébecs et simples gondoles, a fait rebondir
la question, conjointement avec celle de la fabrication par des amateurs de
bateaux de plaisance ou de sport.
Il existe donc maintenant des traités simples et peu coûteux
donnant toutes les indications voulues.
Le modèle de bateau est une chose très vivante et, à ce
titre, doit avoir une unité d'exécution générale, et pour éviter des fautes,
erreurs ou contradictions, il faut simplement se documenter.
Le premier point à remplir est de posséder un plan détaillé.
Il en existe de diverses éditions.
Un plan bien établi donne des projections verticales et
horizontales, une coupe de la coque au maître-bau avec des profils de divers
couples.
Et ici une observation est nécessaire, car, dans la
confection de modèles réduits historiques, il faut se souvenir que les lignes
de la coque au-dessus de la flottaison sont en retrait.
L'échelle la plus intéressante pour de telles réalisations
est le centième. Cependant, pour des bateaux très petits, il faudra descendre
au vingt-cinquième.
La construction des coques s'établit le plus souvent selon
deux méthodes :
1° Façonnage et creusage dans un seul bloc de bois ;
2° Construction en planches pleines.
Chacune a ses avantages et ses inconvénients ; aussi
préfère-t-on souvent la méthode des tranches évidées qui, si elle demande plus
de travail, n'en reste pas moins plus précise et exempte de risques d'erreurs.
Suivant son époque de construction, le navire a vu sa forme
de coque varier. Courte et large au XVIIe siècle, elle présentait un
fort rentré à la hauteur du pont ; le château arrière était assez élevé
avec balcons et sculptures et avec une « tonture » assez accentuée.
L'avant, inversement, était bas sur l'eau, avec une étrave fort décorée de
sculptures.
Plus tard, ces lignes tendent vers l'horizontale, surtout
par l'abaissement des châteaux, en même temps que la décoration devient plus
sobre jusqu'à disparition de l'or des sculptures.
La construction du pont ne présente aucune difficulté, car
on le taille en suivant les contours extérieurs de la coque. Il ne faut pas
oublier les « étambrais », ou trous, dans lesquels passent les mâts,
ni les autres emplacements de pieds de bittes d'amarrage.
L'avant d'une telle coque sera muni de guibre et de taille-mer.
Au XVIIIe siècle, des sculptures servaient à la fois de renforcement
et de figures de proues décoratives.
Ces figures de l'étrave, comme celles de la poupe, sont à
peu près les seules parties difficiles à réaliser pour les débutants, mais avec
de la patience on arrive à des résultats absolument magnifiques et constituant
de véritables œuvres d'art.
L'arrière de ces bateaux était formé d'un « tableau »
assez décoré et flanqué de légères constructions en saillies plus ou moins
grandes. Plus le navire à reproduire est ancien et plus cette partie est
décorée. Parfois il y a des fenêtres et des portes ouvrant sur des balcons, et
ceux-ci se situent sur plusieurs étages superposés.
À partir du moment où la coque avec son pont est terminée et
que l'on a monté dessus les éléments décoratifs de proue et poupe, le modéliste
amateur peut indiquer que son gros oeuvre est terminé.
Incontestablement, il reste à monter les accessoires de
pont, tels que bossoirs d'ancres, bittes, cabestans, guindeaux, râteliers de
pieds de mâts, écoutilles, descentes, barre de gouvernail, pompe, mais ce sont
là choses très secondaires.
Indispensable et plus intéressante est la confection de la
mâture, avec les vergues servant à soutenir les voiles. Amusant à monter — car
on le trouve dans le commerce — est le pouliage, et le gréement avec ses « manouvres »
dormantes et courantes.
Ce qu'il ne faut pas oublier — et à quoi on pense rarement —
est constitué par l'armement, les ancres, les embarcations.
Encore une chose très importante : la peinture, car
elle varie avec les époques et sert à identifier et dater la construction.
Sous Louis XV, la coque est brun ocré avec un pavois
au-dessus de la lice de plat-bord, bleu de roi. Tous les ornements et
sculptures sont dorés. Sous Louis XVI, la couleur est semblable, mais plus
foncée. Sous l'Empire, les coques sont sombres, il n'y a plus de bleu et peu de
dorures. Avec Louis-Philippe, les coques sont totalement noires et blanches. Enfin,
avant 1780, il n'y a jamais de carènes doublées de cuivre.
Quels conseils donner à un nouvel amateur de modèles réduits
de bateaux ?
C'est de toujours envisager pour sa collection une ou deux
pièces historiques. Certes, les maquettes de navires modernes ont leur charme,
mais elles ont le tort d'inciter à une sorte de péché d'orgueil : on veut
toujours réaliser ce qui a été fait de plus grand, de plus gros ou de plus
rapide, et ce sont automatiquement des Normandie, Jean Bart ou Richelieu ...,
qu'il faut être expert et expérimenté pour réussir simplement bien.
Jamais on n'arrive à la perfection, car il y a une question
psychologique importante et que, cependant, on oublie toujours : c'est que
ces modèles figurent des navires contemporains, et, à ce titre, il existe
toujours des éléments de comparaison entre la réalité et les copies réduites.
Inversement, les modèles historiques sont des souvenirs et des
restitutions. À ce titre, ils ne peuvent jamais décevoir. Ils ont aussi un
autre privilège. C'est que les bateaux d'avant la Révolution étaient
magnifiquement ornés et décorés. Ce sont alors des œuvres d'art.
Que choisir comme modèle ? La variété est immense, mais
il ne faut pas négliger les trois célèbres gondoles d'apparat de l'ambassadeur
de Louis XV à Venise avec leurs cabines soutenues par des anges ..., le
canot des promenades sur le Grand Canal de Versailles de Marie-Antoinette ...,
la célèbre galère la Réale, le vaisseau de premier rang à trois ponts et
cent vingt canons, le Louis XV, qui n'exista jamais autrement qu'en
maquette grandiose ayant servi à l'éducation navale du Dauphin ; la
frégate du Prince impérial de Fontainebleau ayant servi au même but et aussi le
canot d'apparat de Napoléon 1er.
Cette liste n'est, du reste, qu'un simple aperçu de ce que
l'on peut réaliser parmi les pièces les plus justement célèbres.
Sylvain LAJOUSE.
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