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Puissance de choc

Nous avons, à plusieurs reprises, fait remarquer à nos lecteurs que la querelle des petits plombistes et des gros plombistes n'était pas près d'avoir une fin et que l'administration de preuves irrécusables en faveur de l'une ou l'autre thèse nous paraissait bien difficile. Cette discussion nous est revenue dernièrement sous la forme indirecte de la puissance de choc ; un correspondant nous écrit en effet :

« Vous admettez, dans la recherche du coup de fusil efficace, qu'il suffit de disposer d'un nombre de blessures suffisamment graves, soit en pratique cinq atteintes dont la puissance destructrice individuelle varie avec le poids du gibier. Ne serait-il pas plus simple de dire qu'il suffit de frapper 1 kilogramme de tissus animaux, en employant à la puissance du choc un certain nombre de kilogrammètres à définir ? »

Une telle formule aurait, en effet, l'avantage de la simplicité et de l'universalité d'application ; elle ne tiendrait pas compte de la pénétration, et certaines constatations pratiques semblent démontrer l'influence du choc indépendant de toute blessure pénétrante. Il est certain que l'on peut tuer de petits oiseaux au moyen de balles en terre glaise lancées à faible vitesse par des sarbacanes ; on achève très facilement le lapin blessé d'un coup de baguette sur la tête. A bien examiner la chose, il y a le plus souvent fracture du crâne et commotion cérébrale, donc lésion d'un organe interne important.

D'autre part, oiseaux et quadrupèdes n'ont pas la même sensibilité aux blessures, et il y a fort longtemps que l'on avait empiriquement constaté que les plombs étaient particulièrement efficaces, pour le poil, lorsque leur poids était compris entre 1/5.000 et 1/10.000 de celui de l'animal. En ce qui concerne la plume, les poids .convenant le mieux se situaient entre le 1/1.000 et le 1/5.000 du poids du gibier.

Nous voyons, par exemple, que, pour une perdrix de 0kg350, le coefficient 1/3.000 correspond à peu près à 0gr116, soit au n°6. De même, pour un lièvre de 3 kilogrammes, l'application du coefficient 1/10.000 nous indique un plomb de 0gr3, voisin du n°2. La règle n'est donc pas mauvaise ; elle est toutefois un peu sommaire.

En tenant compte des coefficients de sensibilité des différents gibiers, calculés d'après la valeur intermédiaire des formules du général Journée, nous allons rechercher la puissance de choc nécessaire par kilogramme de poids de quelques gibiers usuels.

Tableau dressé pour cinq atteintes.

Gibier

Puissance destructrice par atteinte

Puissance totale

Puissance par kilogramme

Perdrix

0kgm150

5 x 0kgm150 = 0kgm750

0kgm750 / 0kg350 = 2kgm100

Lapin

0kgm355

5 x 0kgm355 = 1kgm800

1kgm800 / 1kg250 = 1kgm500

Faisan

0kgm430

5 x 0kgm430 = 2kgm115

2kgm115 / 1kg200 = 1kgm700

Lièvre

0kgm575

5 x 0kgm575 = 4kgm800

4kgm800 / 3kg000 = 1kgm600

 

On constate donc encore avec plus de précision que la puissance de choc varie, suivant les animaux, entre lkgm5 et 2 kilogrammètres par kilogramme de poids vif : ce n'est donc pas une constante. Ce choc de masse doit-il être superficiel ou profond? La théorie des cinq atteintes suppose des blessures pénétrantes ; pour qu'il y ait choc inhibitif, il faudrait que l'énergie totale soit beaucoup plus importante. Cette solution n'est donc pas à recommander dans l'emploi rationnel des munitions. Nous pouvons maintenant nous demander dans quelle mesure la multiplicité des atteintes peut remplacer leur puissance. La réponse est moins simple qu'elle ne le paraît à première vue, car il y a bien des manières de toucher un animal avec un certain nombre de kilogrammètres ou d'une fraction de kilogrammètre.

Nous supposerons que nous utilisons, à portée moyenne, une arme d'un poids et d'un recul acceptables dans les conditions normales de la chasse à tir. Si nous faisons choix d'une vitesse initiale appropriée et d'une charge correspondante, nous pourrons employer soit un grand nombre de petits plombs, soit un petit nombre de gros et, à la limite même, un projectile unique.

Sans énoncer des résultats d'expérience, on voit tout de suife que la résistance de l'air se chargera d'absorber rapidement la force vive des petits projectiles et qu'elle aura bien moins d'influence sur les grains de gros diamètre.

Les comparaisons ne peuvent donc valablement se faire qu'entre des numéros assez voisins, et il s'ensuit que. dans une- même surface (pour peu qu'elle soit suffisamment grande), ce sont les grains les plus gros qui procurent le choc total, le plus puissant. Ces derniers bénéficient encore d'un meilleur groupement, ce qui augmente encore la valeur du choc total.

Enfin, lorsque nous avons pour objectif un gibier dont les dimensions sont telles qu'il ne reçoit qu'une petite partie de la charge, nous sommes bien obligés d'admettre que le minimum de cinq atteintes nous impose une division suffisante de ladite charge.

Nous devons donc conclure à un compromis nécessaire entre la puissance des atteintes et leur nombre, compromis qui admettra une certaine latitude dont la valeur dépend de l'incertitude des conditions d'utilisation de la munition. Autrement dit, nous pourrons d'autant mieux préciser la grosseur du plomb à employer que nous serons mieux fixés sur la distance d'emploi ; ceci explique, en partie, les controverses auxquelles nous faisions allusion en débutant, chacun étant porté à situer ses impressions sur son propre terrain.

Nous devons encore examiner, dans la gamme des vitesses initiales pratiquement utilisables, quelle est la plus avantageuse : étant donné que les plombs lancés avec une faible vitesse conservent mieux leur énergie, il semble intéressant, a priori, d'employer à longue portée d'assez gros plombs lancés à faible vitesse initiale. Les expériences faîtes à ce sujet ont démontré qu'il en était bien ainsi, mais que, dans la pratique, il y avait assez peu de différence entre les différentes combinaisons possibles.

Entre autres expérimentateurs, le général Journée a conclu comme suit ;

  • 1° La vitesse initiale la meilleure à donner à une charge pour atteindre avec le maximum de puissance une surface de 1 décimètre, carré aux différentes distances, et avec divers numéros de plombs, est d'environ 360 mètres.

  • 2° Cette vitesse peut varier de 300 à 400 mètres sans que le recul varie notablement, étant entendu que la charge variera en conséquence.

Si nous résumons maintenant ces différentes notions, nous pensons que gros et petits plombistes se mettraient plus facilement d'accord en précisant avec soin les calibres, charges et recul admis pour leurs armes, ainsi que les distances moyennes d'utilisation. Dans ces conditions, la compensation entre le nombre des atteintes et leur puissance est. parfaitement admissible avec l'emploi de numéros de plombs assez voisins. Nous croyons, en outre, que des tireurs rapides, gagnant du temps sur la visée, peuvent utiliser avec avantage un plomb plus petit que les tireurs plus lents.

Mais, dans tous les cas, il n'est pas rationnel d'estimer que la puissance de choc rapportée au kilogramme de poids vif est une constante et que, d'autre part, l'effet inhibitif est avantageux.

La solution rationnelle de l'emploi des munitions réside bien dans un choix judicieux du nombre des atteintes, ainsi que de leur puissance suivant les portées d'utilisation.

M. Marchand, Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 705