Quelquefois, en hiver. quand je descends au jardin, il
m'arrive de prêter l'oreille et de me demander avec hésitation : « Est-ce
que vraiment j'ai entendu quelque chose ? » C'est que le son qu'il m'a
semblé percevoir était tellement ténu et indistinct que le doute demeurait
permis. Mais, après plusieurs expériences analogues, j'ai su à quoi m'en tenir.
Ce sont les bouvreuils qui causent ainsi entre eux à voix basse, si basse
qu'elle atteint la limite des vibrations qu'une oreille humaine est capable de
déceler, et cette incertitude de notre ouïe donne lieu, parfois, à de curieux
effets de ventriloquie qui déroutent la recherche.
Le bouvreuil n'est jamais un oiseau très bruyant ; même ses
bavardages amoureux restent discrets et ont un ton de confidences intimes. Toute
sa nature est pétrie de douceur, d'une douceur un peu teintée de tristesse, qu'exprime
bien le cri d'appel qu'il pousse sans arrêt et qui frappe par son intonation
plaintive.
Pourtant son apparence physique semble démentir ce penchant à
la mélancolie. C'est un superbe oiseau, aussi pansu, au moins, que le verdier,
au bec vigoureux, à la tête massive et d'un noir velouté, tandis que son dos
est revêtu d'un manteau ardoisé avec la queue et les ailes noires barrées de
blanc. Mais toutes ses parties inférieures : gorge, poitrine et la moitié du
ventre, sont d'un rouge magnifique, à la fois éclatant et profond, qui lui a
valu l'appellation de bouvreuil pivoine. Cette somptueuse couleur est remplacée
chez la femelle, d'autre part vêtue comme son époux, par un gris rougeâtre
assez terne.
Le bouvreuil est un habitant de la forêt, ou pour mieux dire
de ses limites. Il préfère à ses profondeurs obscures les clairières, les prés-bois,
plus frais et plus éclairés. On y entend, au printemps et au commencement de l'été,
son ramage à mi-voix, doux et un peu voilé, coupé de sifflements flûtes, et
surtout le cri d'appel déjà mentionné, qu'il répète sans cesse, d'un ton découragé.
C'est un époux modèle, attaché à sa femelle jusqu'à la mort, et un très tendre
père, qui risque facilement sa vie pour sa nichée. Son nid ne possède pas
cependant le confort de certains autres : simplement une petite coupe de fines
radicelles bien sèches, assez habilement entrelacées. Le dernier que j'aie
trouvé, à faible hauteur, dans une plantation de jeunes sapins, était, pour en
augmenter la solidité, entièrement faufilé — c'est bien le mot exact — avec un
immense crin noir, tombé de la queue de quelque cheval. Il contenait quatre jolis
œufs bleu de ciel plus colorés que ceux du pinson et du chardonneret, mais tout
de même d'une tonalité moins intense que ceux du rouge-queue de murailles, et
tachés de rouge pourpre au gros bout.
Quinze jours plus tard, les œufs avaient fait place à trois
petits vêtus de grisâtre, reconnaissables déjà au bec robuste, à la tête large et
plate qui distinguent leurs parents. Quand ils ouvraient ce bec bordé de jaune,
on retrouvait sur la muqueuse de leur gosier le même rouge éclatant qui, à la
première mue, remplacera sur le dessous de leur corps la grisaille de leur
enfance.
Le bouvreuil fait deux pontes par an. C'est un nicheur
tardif qui ne commence guère ses couvées qu'en mai, dans le frais enchantement
des feuilles nouvelles, pour ne les terminer quelquefois qu'au début d'août
seulement. Le plus exclusivement granivore de tous nos petits oiseaux, il lui
faut attendre, paraît-il, la maturation des graines nécessaires à l'alimentation
de sa nichée. Serait-ce à ce régime, totalement végétarien, qu'il doit la
douceur de son caractère, et devons-nous en croire Paul Bourget, qui nous
apprit jadis que la nourriture carnée engendre, quand elle est crue, la plus
sauvage bestialité ? Quoi qu'il en soit, père, mère et enfants restent ensemble
parfaitement unis. Ces beaux et tendres oiseaux passent ainsi tout l'été dans
la solitude des bois, où leur faible et léger ramage ne compromet guère leur sécurité
relative. Mais si le promeneur a parfois le plaisir de surprendre l'envolée de
leurs croupions blancs au-dessus de l'or éblouissant des genêts en fleurs ou de
la houle des grandes marguerites, dans les prés voisins de leur forêt natale ;
s'il découvre de temps à autre leur belle poitrine écarlate sous la fine neige
tombante des buissons d'aubépine, c'est cependant comme visiteurs d'hiver que
les bouvreuils sont le plus généralement connus.
C'est qu'alors ils se rapprochent des habitations isolées
dans la campagne, et même des agglomérations. La petite famille que nous avons
vue si unie se joint assez souvent à d'autres jusqu'à former, certaines années,
des bandes considérables. Ils explorent le pays, pénètrent dans les jardins, à la
recherche de leur nourriture, composée principalement de graines et de baies — ils
ont une passion prononcée pour celles du troène, — mais aussi, il faut bien le
reconnaître, de bourgeons d'arbres, même fruitiers, auxquels ils causent
parfois de sérieux dégâts.
Il y a quelques années — quatre ou cinq ans peut-être, — ils
se sont montrés, dès octobre, exceptionnellement nombreux. Durant les derniers
beaux jours de cet automne qui fut d'une douceur et d'une sérénité particulières,
j'admirais les magnifiques oiseaux, chaque fois que je me trouvais au jardin. J'avais
cultivé, cette année-là, avec succès, comme épinards d'été, des ansérines, aux graines
desquelles ils avaient paru prendre goût. A chaque instant, je les surprenais
perchés à l'extrémité des hautes tiges de ces plantes géantes, courbant de leur
bec court et large les grappes retombantes pour satisfaire leur gourmandise. Les
jardins voisins étaient aussi fréquentés que le mien et chacun, en s'exclamant
sur leur beauté, me demandait le nom de ces merveilleux visiteurs. Mais, au
printemps suivant, il fallut déchanter. Quand les jardiniers vinrent tailler
les arbres fruitiers, il ne restait pas un bourgeon. Les envahisseurs ailés
avaient tout dévoré.
Il est rare que leurs dommages atteignent une telle ampleur.
C'est, pour ma part, la seule fois que j'ai eu à me plaindre d'eux. Beaucoup
moins nombreux d'ordinaire, ils demeurent inoffensifs. Ils ne nous arrivent guère
qu'à la neige tombée, généralement en petites bandes familiales, et réjouissent
nos yeux par l'éclat de leur plumage, en contraste si marqué avec la tristesse
du paysage. Leur appel plaintif et le murmure un peu confus de leurs causeries à
voix basse s'harmonisent admirablement au deuil hivernal de la nature. On les
approche facilement, car ils ne sont pas très sauvages, En captivité, ils
perdent leurs brillantes couleurs, mais s'habituent à leur prison et
parviennent même, avec de bonnes leçons, à prononcer quelques mots.
Mais comment se représenter captifs et décolorés ces libres
habitants des solitudes agrestes ? Et comment, l'ayant vu et entendu, oublier
ce beau mâle bouvreuil qui, un soir d'hiver, sur la barrière d'un champ, devant
la campagne enneigée, sifflait doucement pour appeler vers lui, avant la nuit, à
l'abri du buisson de houx tout proche, sa chère compagne et l'heureuse famille
qu'ils avaient élevée, tous deux, dans la calme fraîcheur forestière des
longues journées d'été ?
Pierrette MAGNE.
|