Fermeture 1947. Premier dimanche de janvier. Ciel couvert,
mais relativement doux. Pour la dernière fois de cette saison de chasse, me
voici dans ce bois pour moi plein d'attraits.
Planté sur un terrain creusé presque partout d'anciennes
carrières de grès, il présente en maints endroits un aspect sauvage presque
inquiétant dans le grand silence. A en juger par le nombre des terriers creusés
en bordure du talus, des excavations, j'allais dire des cratères, les lapins
s'y plaisent. Évidemment, ils y restent au sec. Cependant, en cette fin de
saison de chasse, la gent lapin est plutôt clairsemée : aucune occasion de
tirer ne s'est présentée. Alors je décide de faire le tour du bois avant de
reprendre le chemin de la maison.
Arrivé à une certaine partie du bois formée d'un véritable
chaos d'anciennes carrières, que nous appelons les « Gamelles », ne laissant
que d'étroits passages accidentés pour circuler entre elles, je m'arrête.
Je connais là, à l'orée, un certain entonnoir, vaste et de
forme tourmentée, rendu inaccessible par des branchages négligemment entassés
et entouré d'arbustes épineux répartis en touffes irrégulières. « Plus me
plaît » cette broussaille sauvage, abri mystérieux, que les belles
corbeilles et les magnifiques massifs de nos jardins publics. Sous ce fouillis
hospitalier au gibier, ma chienne Lina a souvent levé un lapin. L'ardeur
qu'elle met à se couler au fond de cette excavation prouve son excellente
mémoire. Mais ce lapin ne doit pas être un novice. Tenu une première fois en arrêt
un jour de novembre, il s'est dérobé, puis est apparu soudain dans un buisson
en face de moi, au bord opposé de la carrière. Tiré un peu en avant, à
l'endroit où il allait sortir des épines, roublard, notre Jeannot avait viré
instantanément. le coup avait porté dans le vide et le malin garenne s'était
éclipsé dans les profondeurs du bois. Maintes fois par la suite, la chienne
l'avait relevé. Toujours il se défilait, mais sans jamais suivre le même
itinéraire. C'est bien ce qui rendait cette lutte passionnante ! Et si,
dans sa fuite, je croyais l'entendre frôler parfois les herbes ou les épines,
jamais je ne l'apercevais, jamais je n'avais pu le tirer à nouveau. Aucune
ruse, aucun changement de tactique n'avaient réussi à le prendre au dépourvu.
Donc cette fin d'après-midi me ramène en ce lieu si connu de
Lina. Nombre de chasseurs étant déjà passés là, j'estime n'avoir aucune chance
d'y trouver l'hôte habituel. Pourtant j'essaie. Le bord de la carrière se surélève
à un certain endroit. Je m'y place. A ma droite, mon attention est attirée par
un passage un peu dénudé et très incliné d'environ un mètre de large. J'ai
l'intuition, je ne sais pourquoi, que le rusé garenne va passer là, si
toutefois il est encore à cette place favorite qui lui a permis jusqu'ici de
mystifier tant de fois chien et chasseur. Lina « rencontre », brusquement mon
lapin déboule, il traverse le sentier que j’ai remarqué, mais, précipitamment
jeté, mon coup l'atteint en pleine tête; le voilà étendu sans souffrance, lui
qui si souvent a joué à cache-cache avec nous. Mystère d'une âme de chasseur,
j'éprouve comme un regret de ce dénouement d'une lutte longue, mais loyale. A
la détonation, d'autres nemrods arrivent et s’étonnent qu'un lapin ait pu
rester dans ce gîte toute la journée sans être délogé. Oui, mais Lina a un
fameux nez.
D'autres chasseurs, en ce dernier jour, ont sans doute fait
ailleurs, dans des chasses privilégiées, de véritables hécatombes, mais aucun
peut-être n'était aussi satisfait que moi de «sa fermeture», car pour un vrai
chasseur le plaisir ne tient pas uniquement au nombre de pièces tuées.
J.-A. LEBEAU.
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