Le juge d'exposition doit-il être indulgent ou sévère ?
Chacune de ces opinions
contraires a ses partisans et ses détracteurs. Elles sont également soutenables.
Tout dépend des circonstances, du genre d'exposition, et même de la mentalité des
exposants.
Si l'on considère toutes les expositions canines comme un
moyen absolument efficace pour l'amélioration des races canines, la sévérité s'impose.
Mais, dans l'état actuel des choses, la grande majorité des
expositions canines sont avant tout des fêtes locales, qui donnent à tous les
fervents du chien une occasion de se retrouver et de montrer les produits de
leur élevage. Telles qu'elles sont — malgré les critiques des jamais contents, —
elles sont d'une utilité incontestable ; elles font connaître du grand public
les races pures, elles contribuent à donner le goût des races pures. Ce n'est déjà
pas si mal.
Quant à exiger d'elles qu'elles ne servent strictement qu'à l'amélioration
des races et qu'elles y parviennent d'une façon certaine, c'est une autre
affaire.
Une certaine indulgence peut donc servir la cause canine, en
ce sens qu'elle acclimate, pourrait-on dire, les nouveaux venus, qu'elle les
met en confiance et les attire à la cynophilie.
La grande sévérité, au contraire, peut décourager et éloigner
les nouveaux.
Encore faut-il s'entendre sur ce que peut être l'indulgence,
et les cas dans lesquelles on peut s'y laisser aller.
Bien entendu, il ne s'agit pas d'une indulgence particulière
pour tel ou tel concurrent au détriment des autres. Ce n'est plus de
l'indulgence, mais de la partialité et de l'injustice, dont doivent se garder
tous les juges.
L'indulgence bienfaisante consiste, si l'on hésite entre le 2e
ou 3e prix, ou le 3e prix ou la mention très honorable, à
accorder plutôt la récompense supérieure. Cela, seulement dans les petites
expositions. L'importance de l'exposition ne s'apprécie ni à l'importance de la
ville, ni à la quantité totale des chiens exposés, mais à l'importance en
nombre et en qualité de la classe que le juge a dans son ring.
Selon les régions, il y a de grandes expositions qui peuvent
être très maigres en ce qui concerne telles ou telles races, tandis que de
petites expositions peuvent offrir des classes remarquables de telle ou telle
variété.
Je ne voudrais pas que les habitants de Saint-Girons puissent
se formaliser de ce que je qualifie leur cité de petite ville... petite ville
d'ailleurs pittoresque et charmante, aux habitants particulièrement
accueillants et aimables.
Eh bien ! dans cette exposition de petite ville, j'ai vu
une grande exposition de beagles et une très grande et magnifique exposition de
chiennes ariégeoises, comme il n'y en a peut-être pas eu, la même année, dans
aucune grande ville, même du Sud-Ouest.
Ne pas donner de prix, mais seulement des mentions, dans des
classes pauvres, serait sans doute la stricte logique. Mais le public et les
exposants comprennent mal que dans une exposition, qui est en réalité un
concours, il n'y ait pas de classement de 1er , 2e, etc.,
entre les concurrents. Dans toutes les épreuves sportives, courses, etc., même
lorsque les concurrents sont très modestes, il y a des premiers, des seconds, etc...
Mais alors se pose la question des conséquences de cette
indulgence.
Voilà un chien, deux chiens qui auront été primés et notés
au-dessus de leur valeur réelle. C'est fausser l'opinion sur ce que doit être
un bon chien dans la race. C'est donner des illusions à son propriétaire, qui
croit avoir un as et qui sera complètement déçu lorsqu'il sera battu dans une
compétition plus sérieuse. Alors se pose, en dehors de la question chien, une
question psychologique en ce qui concerne le propriétaire du chien.
Dans toute exposition sérieuse, avec des classes relevées,
l'autre bout de la laisse, comme on dit, doit être totalement ignoré.
Mais, avant d'être trop indulgent, il est prudent de connaître
ou de chercher à connaître la mentalité et la compréhension de l'exposant.
Si vous vous trouvez en présence d'un débutant, qui a l'air
bon gars, modeste et prêt à s'instruire, allez-y de votre indulgence. Vous lui
expliquerez après le jugement tout ce que vous voudrez. Puisque modeste et
intelligent, il comprendra. Vous l'aurez encouragé, vous aurez commencé son éducation,
vous en avez fait un adepte... et un adepte sympathique.
Ce sont en effet ces cynophiles qui sont agréables à retrouver
et à juger, et non ces poseurs, infatués de leur personne, qui croient posséder
la science infuse.
Si vous vous trouvez en présence d'une telle personne, prétentieuse
et importante, gardez-vous de toute indulgence ; même si vous lui expliquez le
jugement après, elle n'y comprendrait rien. Les fats doublés d'ignorants ne
comprennent rien à rien, et ils ne manquent pas de faire étalage des récompenses
obtenues par leurs chiens pour faire mousser ceux-ci et se faire mousser eux-mêmes.
Dans cette catégorie d'inaptes indésirables, il y a des exposants qui n'ont des
chiens que parce que cela fait chic...
On cite le cas de ces fats complètement ignorants du chien
qui, n'ayant certainement pas compris les notes à l'eau de rose — qui n'étaient
qu'une courtoise eau bénite de cour, pour ne pas les accabler — ont eu l'inconscience de
les faire publier dans les journaux. Si ces notes indulgentes n'avaient pas été
conçues en termes permettant de lire entre les lignes, elles auraient risqué de
faire passer le juge pour une mazette ou un parfait imbécile.
Si l'indulgence peut, dans certains cas, être de bonne politique
canine, elle est en revanche très néfaste lorsqu'il s'agit du C. A. C.
C'est un certificat d'aptitude au championnat, c'est aussi
un brevet de géniteur d'élite recommandé aux éleveurs.
Le championnat lui-même ne prouve rien d'une façon absolue. Seuls
les chiens présents à Paris concourent pour le championnat. Tous les G. A. C. n'y
sont point présents.
Le hasard, l’éloignement, les frais de déplacements onéreux
peuvent faire qu'il n'y ait que des G. A. C. d'indulgence, et le champion lui-même
ne sera de ce fait qu'un champion d'indulgence, et par conséquent bien loin de
la perfection.
Je ne parle même pas des chiens courants, qui, généralement,
brillent par leur absence à Paris. Beaucoup de races courantes n'y sont pas
représentées, même par des titulaires de G. A. C, et les classes de chiens
courants sont réduites à un ou deux sujets. Ce qui prouve que les chasseurs aux
chiens courants n'attachent qu'une médiocre attention à ces récompenses suprêmes.
Avant d'être proclamé champion, le G. A. C. de Paris doit
obtenir une note suffisante dans une épreuve de travail. Nous verrons ce que
vaut cette garantie.
Paul Daubigné
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