Presque tous ceux de nos confrères qui, comme votre
serviteur, ont débuté très jeunes dans la pratique de notre art, ont fait leurs
premières armes sur les vairons, petits cyprins qui abondent surtout dans les
ruisseaux d'eau claire où, gamins, nous avons tous pataugé avec délices.
Rien de plus facile à prendre que les vairons. Pourvu que la
bouchée soit petite, ils mordent à tout et ne s'inquiètent pas plus de la
visibilité de la ligne que de la présence du pêcheur. Et puis ils sont si
voraces qu'ils se disputent l'appât avec fureur et se font prendre jusqu'au
dernier. C'est la réussite presque continuelle qui donne à l'enfant ce goût de
la pêche qui, plus tard, se transformera chez quelques-uns en véritable passion
et persistera souvent jusque dans l'âge le plus avancé.
Il n'en eût pas été de même si, au lieu de se mesurer avec
les vairons, notre débutant n'avait trouvé que les quelques petits poissons
dont nous allons parler, lesquels constituent vraiment des fretins pour ainsi
dire imprenables.
La bouvière
(Rhodeus amarus) est le plus petit de tous nos
cyprins, Elle ressemble à une toute petite carpe démunie de barbillons.
Sa taille habituelle est de 6 à 7
centimètres, sa largeur de 2cm,50, et elle est
si mince qu'elle en devient presque transparente. Elle vit dans les rivières du
Nord-Est de la France, dans la Seine, la Marne, etc., et je l'ai aussi rencontrée
dans la Loire, en aval de Roanne. La bouche de la bouvière est si petite que
les plus infimes vermisseaux montés sur hameçons n° 18 peuvent à peine y pénétrer,
et puis son appétit est si peu développé qu'on peut affirmer que la prendre est
une exception des plus rares. Au moment du frai, ses couleurs, assez ternes,
deviennent fort vives, surtout chez le mâle, qui présente alors des tons orangés,
rosés et bleu pâle. La femelle, moins remarquable à cet égard, l'est davantage
encore par l'apparition, en arrière de l'anus, d'un petit tube conique, de
couleur rougeâtre, long de près de 3 centimètres, qui lui permet de pondre ses œufs
dans les fentes les plus étroites ; elle en profite pour les insérer entre les
feuillets branchiaux de ces grosses moules d'eau douce, les « anodontes »,
où ils écloront à l'abri de tout danger. La chair de la bouvière, même vidée,
reste toujours amère, donc fort peu agréable au goût ; aussi ne la pêche-t-on
pas exprès, mais elle entre volontiers dans les nasses à mailles étroites, et
les pêcheurs s'en servent d'amorce vive pour le brochet et la grosse perche,
qui en sont friands.
L'épinoche
(Gasterosteus aculeatus) n'est pas un cyprin, mais un
gastérostéidé. Elle n'est guère plus volumineuse que la bouvière, mais se
rapproche du vairon par les formes.
Sa singularité réside dans sa presque
transparence et aussi par les grosses épines très aiguës qui ornent son dos et
son ventre. Aussi est-elle fort peu prisée des voraces et elle ne constitue
qu'un appât vif fort médiocre, même après avoir supprimé ces épines.
Mais elle présente une autre curiosité, assez rare chez les
poissons. En effet, le mâle fait un nid, y attire les femelles en période de
ponte, couve pour ainsi dire les œufs et les défend avec courage contre toute
agression. Ce nid, qui repose au fond de l'eau, est fait de brindilles végétales
entrelacées et lesté de petits graviers pour éviter l'entraînement. L'éclosion
demande trois semaines environ, pendant lesquelles la vigilance du mâle ne
s'interrompt pas un seul instant. II faudrait, pour prendre l'épinoche, des appâts
d'une petitesse ridicule, et encore n'est-il pas sûr qu'elle y morde; pour ma
part, je n'ai jamais réussi à la capturer.
L'épinochette
(Gasterosteus pungitia) est de la même famille. Encore
davantage que l'épinoche, ce poisson, le plus petit de nos rivières (4 à 5
centimètres de long), est absolument imprenable à la ligne. L'épinochette
ressemble beaucoup à la première, mais, au lieu de quelques fortes épines, elle
en a toute une rangée de très petites sur le dos. De même que l'épinoche, elle
fait un nid ; mais celui-ci ne repose pas sur le fond, il est fixé. à une
certaine hauteur entre les tiges des plantes aquatiques. Elle a les mêmes mœurs
que sa parente ; son caractère est belliqueux, batailleur, et elle sait fort
bien écarter de son nid tout autre poisson, fût-il beaucoup plus gros qu'elle. Inutile
de pêcher l'épinochette, on ne la prendra point.
D'autres fretins de nos ruisseaux, quoique de plus grande
taille, peuvent être considérés comme à peu près imprenables ; tels sont le
chabot et les loches.
Le chabot
(Cottus gobio) est remarquable par sa tête énorme,
son corps conique et ses grandes nageoires pectorales en éventail. Il hante les
plus petits ruisseaux et se tient sous les pierres dans les courants rapides et
très peu profonds. Il mord rarement et seulement quand l'esche, traînante, passe
tout contre lui. Sa chair est bonne, mais peu abondante, car sa tête énorme est
à supprimer. C'est un appât excellent pour la grosse truite.
Les loches
De la famille des cobitidés, ont à peu près la taille du
vairon, mais elles sont plus rares et ne mordent pas souvent ; leur bouche est
très petite ; elles n'attaquent pas les appâts en pleine eau, mais seulement
sur le fond, quand ils arrivent à les frôler.
Une friture de loches est un régal,
mais combien rare pour le pêcheur à la ligne !
On les accroche par hasard en péchant le goujon avec de tout
petits vers.
Voici donc toute une série de fretins sur lesquels il ne
faut guère compter, surtout sur les trois premiers ; aussi vaut-il mieux ne pas
les inquiéter et porter son attention sur les goujons et les vairons, de
beaucoup plus faciles à prendre ; en agissant ainsi, on ne perdra pas son temps.
R. Portier.
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