Nos chroniques de pêche maritime côtière à pied nous valent,
mois après mois, un courrier de plus en plus volumineux. Voilà qui suffit à démontrer
combien l'art des «bassiers » passionne les habitants de notre littoral (à marées)
et, comme on le verra plus loin, ceux même de l'intérieur.
L'un de ces derniers, M. Roger Gargadennec, de Savigny-sur-Orge,
mais originaire du canton de Pont-Croix, me presse de vous entretenir du pousse-pieds,
zoophyte étrange que les Bretons surnomment « pochedbez » et qui porte, affirme-t-il,
le nom savant de lepas anatifera.
Il est certain que ce crustacé — car c'est un crustacé et
non un mollusque, comme on le croit communément — demeure assez rare sur nos côtes.
A ma connaissance, on ne le pêche guère que dans le Finistère, et en périodes
de très basse eau, donc par fortes marées. Également connu sous le nom
d'anatife, ce crustacé cirripède s'attache souvent à des bois flottants au
large, ou, le long du littoral, à des rochers auxquels il adhère par une sorte
de ciment très tenace.
Le pousse-pieds se présente sous la forme d'un tube
recouvert d'une tunique tressée comme une toile d'amiante, presque toujours de
couleur brune. Ce tube, ou ce pied, comme on voudra, se termine par une espèce
de bec pointu d'un blanc bleuâtre. Pour difficile d'accès qu'il soit, puisqu'on
ne le trouve, dans la plupart des cas, que sur des pointes de rocher fort avancées
en mer, rarement découvertes par les flots, ce crustacé peu connu constitue un
régal de choix :
la chair rougeâtre que contient le tube possède, après
cuisson au court-bouillon, une saveur égale, sinon supérieure à celle du
homard, vraiment.
Les bassiers de la baie de Douarnenez, entre ce port et la
pointe du Raz, aiment à le pêcher en raclant à l'aide d'un fort râteau de fer
les parois verticales des rochers où s'incruste cet anatife. Et bien davantage
encore à le déguster, ce en quoi ils se montrent de judicieux gourmets. Le
pousse-pieds est malheureusement peu connu des pêcheurs de notre littoral; il
est vrai, je le répète, qu'on ne l'y rencontre que trop rarement, mais alors en
quantités presque industrielles : sur les pointes sud du Finistère, il abonde
au point que, par marées d'équinoxe, on parvient à en faire, sous chaque toit,
une énorme consommation.
M. Gargadannec revient d'autre part, et il n'est pas le
seul, on va le voir, sur notre récente étude consacrée au couteau (1). On sait
que ce mollusque, si rarement débité dans les halles des villes de l'intérieur,
mais particulièrement nombreux sur certaines grèves sableuses, de sable gris et
de grain très menu, se pêche couramment à la fourche, à la pelle, ou, par
paradoxe, à la baleine de parapluie. C'est un sport très agréable et de bonne
ressource.
Plusieurs de nos lecteurs nous signalent, à ce propos, que
ce dernier procédé de pêche présente quelques inconvénients, dans la mesure où il
risque de blesser le gibier et de rendre ainsi son dessablage fort malaisé.
« Si le couteau est mort. nous écrit M. Gabriel Gros, avocat
à Jonzac, mais pêcheur à l'île de Ré, et il l'est souvent lorsqu'on le capte à l'aide
d'une baleine de parapluie qui le transperce plus ou moins, il ne peut rendre
le sable qu'il a emmagasiné, quand on le fait dégorger, avant cuisson, dans
l'eau salée. »
Cette objection demeure des plus judicieuse, au moins pour
les bassiers peu adroits. Il existe d'ailleurs un autre procédé de pêche, aussi
commode qu'amusant, et sans danger — pour la qualité de la prise, sinon pour le
mollusque lui-même, — celui du «grain de sel », renouvelé de la chasse
enfantine aux oiseaux, ainsi que l'affirme, non sans humour, M. Ernest Saulquin,
de Batz-sur-Mer.
Répudiez pelle ou baleine, conseille notre correspondant, et
armez-vous seulement d'un petit paquet de sel fin, une demi livre suffisant à capter
plus d'un millier de mollusques — on voit bien que M. Saulquin vit au pays des
paludiers, donc à la source de la production saline ! Il suffit alors de repérer,
à la surface même du sable, les trous si caractéristiques qui décèlent l'emplacement
du couteau, puis d'y laisser tomber délicatement une pincée de sel, d'attendre
enfin le « bouillonnement », l'espace de quelques secondes, pour voir émerger
le couteau, qui remonte presque aussi vite que si l'on venait d'appuyer sur le
bouton d'un ascenseur pour l'appeler.
M. Dubernet, de Toulon, préconise la même méthode, en
recommandant d'autre part au pêcheur de ne faire aucun bruit — précaution
toujours utile d'ailleurs, et en tous cas. Et M. Gros, partisan de cet original
procédé, précise qu' « au bout de quelques minutes on voit « souffler » le
couteau, qui rejette son sel et fait tout de suite surface ». Mais il convient
de vite s'en saisir, car le mollusque replonge aussitôt et ne réapparaît plus,
insensible à l'appel du sel.
« Ceci m'amène, ajoute M. Gros, qui est aussi un humoriste, à
parler en même temps d'un quatrième mode de pêche du couteau : la pêche au
sifflet. L'un de mes amis aimait jadis à pêcher le couteau « au sel ». Un
groupe de promeneurs, le voyant. accroupi et immobile sur la plage, lui demandèrent
ce qu'il faisait, dans cette singulière position. Très sérieusement, mon ami répliqua
qu'il péchait le couteau « au sifflet ». Puis, tirant un sifflet de
sa poche, ses trous de couteau déjà salés, il émit quelques vigoureuses stridences...
et les couteaux sortirent du sable, comme par miracle.
» Le dimanche suivant, les promeneurs, émerveillés par un
semblable résultat, revinrent nombreux sur les lieux de pêche, tous munis de sifflets
à roulettes. Ce fut un singulier vacarme, bien peu marin. Inutile de dire que
les couteaux demeurèrent tout à fait insensibles à cette flûte de Pan d'un
nouveau genre et que les promeneurs, mystifiés, jurèrent, mais un peu tard,
qu'on ne les y prendrait plus... »
Je m'en voudrais de clore cette « revue des lecteurs » sans
signaler ici que M. Paul Quemener, de Larmor-Pleuvian, indique de son côté une
amélioration au procédé de pêche à la baleine : il suffit, propose-t-il, de se
munir d'une mince tige de métal, mais après avoir pris soin d'en façonner l'extrémité
inférieure en hameçon, pour ne jamais rater son coup, donc son couteau, et pour
ne jamais le blesser.
Tout en exposant objectivement ce curieux procédé de pêche
au sel, je dois mettre à mon tour mes lecteurs en garde contre un léger inconvénient
présenté par cette méthode si employée dans l'Atlantique. Si l'on ne veut pas
en effet gâcher en quelques instants sa réserve de sel fin, la souiller ou la
faire fondre prématurément, il importe d'abord de placer la réserve saline dans
un récipient hermétique, ensuite de n'y jamais prendre le sel à pleins doigts,
mais à l'aide d'une cuiller à café. Ce n'est évidemment point que le couteau
exige un service impeccable, mais on doit songer aux doigts souillés d'eau de
mer ou de sable humide, lorsqu'on s'en sert pour extraire le couteau du trou,
et au magma innommable que ne tarderait pas à former le paquet de sel si l'on
continuait à y puiser à mains mouillées...
Je ne voudrais pas davantage clore cette chronique — qui va
du pousse-pieds au fourre-tout — sans communiquer à mes lecteurs, surtout à mes
lectrices, quelques succulentes recettes de cuisson du solen, des recettes que
l'on vient de m'envoyer, des recettes qui prouvent que, si les amis du Chasseur
Français sont pêcheurs (quand ils ne chassent pas), ils ne dédaignent point
d'accommoder au mieux leurs prises, ce dont on ne peut que les féliciter.
A la grillade classique du couteau à feu vif, dont j'ai
incidemment entretenu notre public, M. Quemener préfère un mode de préparation;
plus fin. Il, conseille aux gastronomes de plonger leurs mollusques dans l'eau
tiède, pour les débarrasser de leur « manche », de les laver à grande eau pour
en extraire le sable; enfin, après une journée de mûrissage de la chair du
couteau, de passer celle-ci à la moulinette, en y ajoutant comme condiments
persil, oignon et échalote. La pâte ainsi obtenue se fait cuire au four, de la
même manière que les coquilles Saint-Jacques.
De La Rochelle, Mme Maurice Lejeune, une experte bassière,
elle aussi, se montre également excellent cordon bleu en me donnant la recette
des couteaux farcis.
Il suffit, indique-t-elle, de détacher les couteaux de leur
coquille — au couteau bien entendu, — puis de les enfiler par paquets d'une
demi-douzaine au maximum (réduire selon grosseur), enfin de truffer le centre
du paquet d'une farce composée de mie de pain. d'ail ou d'échalote et de persil
haché, voire de chair à saucisse. Dûment ficelé en rouelle, le paquet de
couteaux se fait cuire à plein beurre, ou, selon les goûts, au gril.
Dans un double souci d'objectivité et d'enrichissement
gastronomique, j'ai tenu à communiquer à nos lecteurs ces divers procédés
d'halieutique et de cuisine. Mais, au fond, l'un ne doit jamais aller sans
l'autre. Il me reste à leur souhaiter bonne pêche, après cette petite guerre au
couteau que viennent de me livrer (gentiment) tant de mes confrères en basse
eau, en toute amitié, bien sûr.
Maurice-Ch. Renard.
(1) Voir Le Chasseur Français de septembre 1951.
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