Accueil  > Années 1951  > N°658 Décembre 1951  > Page 727 Tous droits réservés

Pêches cotières

Pousse-pieds et couteaux

Nos chroniques de pêche maritime côtière à pied nous valent, mois après mois, un courrier de plus en plus volumineux. Voilà qui suffit à démontrer combien l'art des «bassiers » passionne les habitants de notre littoral (à marées) et, comme on le verra plus loin, ceux même de l'intérieur.

L'un de ces derniers, M. Roger Gargadennec, de Savigny-sur-Orge, mais originaire du canton de Pont-Croix, me presse de vous entretenir du pousse-pieds, zoophyte étrange que les Bretons surnomment « pochedbez » et qui porte, affirme-t-il, le nom savant de lepas anatifera.

Il est certain que ce crustacé — car c'est un crustacé et non un mollusque, comme on le croit communément — demeure assez rare sur nos côtes. A ma connaissance, on ne le pêche guère que dans le Finistère, et en périodes de très basse eau, donc par fortes marées. Également connu sous le nom d'anatife, ce crustacé cirripède s'attache souvent à des bois flottants au large, ou, le long du littoral, à des rochers auxquels il adhère par une sorte de ciment très tenace.

Le pousse-pieds se présente sous la forme d'un tube recouvert d'une tunique tressée comme une toile d'amiante, presque toujours de couleur brune. Ce tube, ou ce pied, comme on voudra, se termine par une espèce de bec pointu d'un blanc bleuâtre. Pour difficile d'accès qu'il soit, puisqu'on ne le trouve, dans la plupart des cas, que sur des pointes de rocher fort avancées en mer, rarement découvertes par les flots, ce crustacé peu connu constitue un régal de choix :

la chair rougeâtre que contient le tube possède, après cuisson au court-bouillon, une saveur égale, sinon supérieure à celle du homard, vraiment.

Les bassiers de la baie de Douarnenez, entre ce port et la pointe du Raz, aiment à le pêcher en raclant à l'aide d'un fort râteau de fer les parois verticales des rochers où s'incruste cet anatife. Et bien davantage encore à le déguster, ce en quoi ils se montrent de judicieux gourmets. Le pousse-pieds est malheureusement peu connu des pêcheurs de notre littoral; il est vrai, je le répète, qu'on ne l'y rencontre que trop rarement, mais alors en quantités presque industrielles : sur les pointes sud du Finistère, il abonde au point que, par marées d'équinoxe, on parvient à en faire, sous chaque toit, une énorme consommation.

M. Gargadannec revient d'autre part, et il n'est pas le seul, on va le voir, sur notre récente étude consacrée au couteau (1). On sait que ce mollusque, si rarement débité dans les halles des villes de l'intérieur, mais particulièrement nombreux sur certaines grèves sableuses, de sable gris et de grain très menu, se pêche couramment à la fourche, à la pelle, ou, par paradoxe, à la baleine de parapluie. C'est un sport très agréable et de bonne ressource.

Plusieurs de nos lecteurs nous signalent, à ce propos, que ce dernier procédé de pêche présente quelques inconvénients, dans la mesure où il risque de blesser le gibier et de rendre ainsi son dessablage fort malaisé.

« Si le couteau est mort. nous écrit M. Gabriel Gros, avocat à Jonzac, mais pêcheur à l'île de Ré, et il l'est souvent lorsqu'on le capte à l'aide d'une baleine de parapluie qui le transperce plus ou moins, il ne peut rendre le sable qu'il a emmagasiné, quand on le fait dégorger, avant cuisson, dans l'eau salée. »

Cette objection demeure des plus judicieuse, au moins pour les bassiers peu adroits. Il existe d'ailleurs un autre procédé de pêche, aussi commode qu'amusant, et sans danger — pour la qualité de la prise, sinon pour le mollusque lui-même, — celui du «grain de sel », renouvelé de la chasse enfantine aux oiseaux, ainsi que l'affirme, non sans humour, M. Ernest Saulquin, de Batz-sur-Mer.

Répudiez pelle ou baleine, conseille notre correspondant, et armez-vous seulement d'un petit paquet de sel fin, une demi livre suffisant à capter plus d'un millier de mollusques — on voit bien que M. Saulquin vit au pays des paludiers, donc à la source de la production saline ! Il suffit alors de repérer, à la surface même du sable, les trous si caractéristiques qui décèlent l'emplacement du couteau, puis d'y laisser tomber délicatement une pincée de sel, d'attendre enfin le « bouillonnement », l'espace de quelques secondes, pour voir émerger le couteau, qui remonte presque aussi vite que si l'on venait d'appuyer sur le bouton d'un ascenseur pour l'appeler.

M. Dubernet, de Toulon, préconise la même méthode, en recommandant d'autre part au pêcheur de ne faire aucun bruit — précaution toujours utile d'ailleurs, et en tous cas. Et M. Gros, partisan de cet original procédé, précise qu' « au bout de quelques minutes on voit « souffler » le couteau, qui rejette son sel et fait tout de suite surface ». Mais il convient de vite s'en saisir, car le mollusque replonge aussitôt et ne réapparaît plus, insensible à l'appel du sel.

« Ceci m'amène, ajoute M. Gros, qui est aussi un humoriste, à parler en même temps d'un quatrième mode de pêche du couteau : la pêche au sifflet. L'un de mes amis aimait jadis à pêcher le couteau « au sel ». Un groupe de promeneurs, le voyant. accroupi et immobile sur la plage, lui demandèrent ce qu'il faisait, dans cette singulière position. Très sérieusement, mon ami répliqua qu'il péchait le couteau « au sifflet ». Puis, tirant un sifflet de sa poche, ses trous de couteau déjà salés, il émit quelques vigoureuses stridences... et les couteaux sortirent du sable, comme par miracle.

» Le dimanche suivant, les promeneurs, émerveillés par un semblable résultat, revinrent nombreux sur les lieux de pêche, tous munis de sifflets à roulettes. Ce fut un singulier vacarme, bien peu marin. Inutile de dire que les couteaux demeurèrent tout à fait insensibles à cette flûte de Pan d'un nouveau genre et que les promeneurs, mystifiés, jurèrent, mais un peu tard, qu'on ne les y prendrait plus... »

Je m'en voudrais de clore cette « revue des lecteurs » sans signaler ici que M. Paul Quemener, de Larmor-Pleuvian, indique de son côté une amélioration au procédé de pêche à la baleine : il suffit, propose-t-il, de se munir d'une mince tige de métal, mais après avoir pris soin d'en façonner l'extrémité inférieure en hameçon, pour ne jamais rater son coup, donc son couteau, et pour ne jamais le blesser.

Tout en exposant objectivement ce curieux procédé de pêche au sel, je dois mettre à mon tour mes lecteurs en garde contre un léger inconvénient présenté par cette méthode si employée dans l'Atlantique. Si l'on ne veut pas en effet gâcher en quelques instants sa réserve de sel fin, la souiller ou la faire fondre prématurément, il importe d'abord de placer la réserve saline dans un récipient hermétique, ensuite de n'y jamais prendre le sel à pleins doigts, mais à l'aide d'une cuiller à café. Ce n'est évidemment point que le couteau exige un service impeccable, mais on doit songer aux doigts souillés d'eau de mer ou de sable humide, lorsqu'on s'en sert pour extraire le couteau du trou, et au magma innommable que ne tarderait pas à former le paquet de sel si l'on continuait à y puiser à mains mouillées...

Je ne voudrais pas davantage clore cette chronique — qui va du pousse-pieds au fourre-tout — sans communiquer à mes lecteurs, surtout à mes lectrices, quelques succulentes recettes de cuisson du solen, des recettes que l'on vient de m'envoyer, des recettes qui prouvent que, si les amis du Chasseur Français sont pêcheurs (quand ils ne chassent pas), ils ne dédaignent point d'accommoder au mieux leurs prises, ce dont on ne peut que les féliciter.

A la grillade classique du couteau à feu vif, dont j'ai incidemment entretenu notre public, M. Quemener préfère un mode de préparation; plus fin. Il, conseille aux gastronomes de plonger leurs mollusques dans l'eau tiède, pour les débarrasser de leur « manche », de les laver à grande eau pour en extraire le sable; enfin, après une journée de mûrissage de la chair du couteau, de passer celle-ci à la moulinette, en y ajoutant comme condiments persil, oignon et échalote. La pâte ainsi obtenue se fait cuire au four, de la même manière que les coquilles Saint-Jacques.

De La Rochelle, Mme Maurice Lejeune, une experte bassière, elle aussi, se montre également excellent cordon bleu en me donnant la recette des couteaux farcis.

Il suffit, indique-t-elle, de détacher les couteaux de leur coquille — au couteau bien entendu, — puis de les enfiler par paquets d'une demi-douzaine au maximum (réduire selon grosseur), enfin de truffer le centre du paquet d'une farce composée de mie de pain. d'ail ou d'échalote et de persil haché, voire de chair à saucisse. Dûment ficelé en rouelle, le paquet de couteaux se fait cuire à plein beurre, ou, selon les goûts, au gril.

Dans un double souci d'objectivité et d'enrichissement gastronomique, j'ai tenu à communiquer à nos lecteurs ces divers procédés d'halieutique et de cuisine. Mais, au fond, l'un ne doit jamais aller sans l'autre. Il me reste à leur souhaiter bonne pêche, après cette petite guerre au couteau que viennent de me livrer (gentiment) tant de mes confrères en basse eau, en toute amitié, bien sûr.

Maurice-Ch. Renard.

(1) Voir Le Chasseur Français de septembre 1951.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 727