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Lancer très loin est une erreur

La première ambition du pêcheur au lancer est de lancer très loin, et la première prouesse dont il tire vanité, c'est d'avoir perdu des leurres sur l'autre berge de la rivière, à l'endroit où celle-ci est la plus large, évidemment.

Imaginez l'attaque d'un poisson à 30 mètres, tout au bout d'un nylon dont le coefficient d'allongement est supérieur à 20 pour 100, soit au moins 6 mètres pour 30 mètres, et concluez qu'il faudrait reculer de plusieurs pas pour prétendre à un ferrage véritable. Assurément, on manque des poissons à 10 mètres, mais on en manque beaucoup plus à 20 et on manque à peu près tout à 30. Au vrai, en lancer léger, comme en lancer lourd, comme à la mouche, il faut pêcher le plus près possible.

La mauvaise habitude de lancer loin a d'autres répercussions : elle ne gâte pas seulement le matériel, mais aussi la main et, ce qui est le plus grave, l'esprit lui-même.

Un lancer de pêche, c'est-à-dire un lancer précis, qui vise un but, ne peut être ni violent, ni lointain. Il ne peut pas être de ces lancers fauchants qui font siffler les cannes et projettent parfois les leurres dans la rivière, mais n'importe où, au hasard.

Et puis lancer puissamment, ce n'est pas forcément lancer loin. Assurément 30 mètres de nylon n'occupent pas dans la gorge des bobines une place considérable, surtout si ce nylon est du 14/100. Mais il est très peu de pêcheurs (de ceux qui pèchent loin) qui se servent de 14/100. En général, c'est au 22/100, au 24/100, si ce n'est au 28/100, qu'ils ont recours. Or le 28/100, par exemple, n'a pas, comme on l'estime sommairement, le double du volume du 14/100, mais bien le quadruple. Il occupe donc sur les bobines une place quatre fois plus grande, ce qui est appréciable et représente plusieurs couches superposées. Aussi, à l'instant du lancer, ce 28/100 ne quitte pas la bobine, ne se faufile pas dans les anneaux ni dans l'espace de la même façon que le 14/100, parce qu'il est quatre fois plus lourd, quatre fois plus volumineux et qu'il offre au fouet du vent une surface double. Dès lors, puisque les diverses résistances tendent à restreindre la portée du lancer, il s'agit constamment pour le pêcheur de lancer violemment. C'est une méthode de lancer et non une tactique de pêche. Cette méthode rudimentaire, acceptable en étang, lac, en un mot en eaux calmes, là où le brochet se pose ou se poste à des places impossibles à déceler du bord, est tout à fait insuffisante, même néfaste si elle s'adresse à la truite. Lorsque l'on pêche à la mouche artificielle, l'on sait à quoi s'en tenir sur la méfiance des truites. C'est par miracle que l'on capture une de celles-ci après en avoir épouvanté des dizaines.

B. Lafond.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 728