ans une colonie organisée, l'ouvrière forme la grande masse
de la population, ce qui est normal étant donné que c'est à elle qu'incombent
tous les travaux utiles. Nous savons en effet qu'une ruche soutient seulement une
reine, quelques centaines de mâles en été et plusieurs dizaines de milliers
d'ouvrières. Elle vit environ quarante à cinquante jours pendant la saison
mellifère et cinq à six mois durant l'hivernage ; cette grande différence dans
la longévité est due à ce que son activité débordante pendant l'été l'use
prématurément, tandis que l'abeille qui naît avant l'hiver passe la mauvaise
saison dans un repos à peu près absolu et sera capable, au printemps, d'élever
les premières générations avant de disparaître. Remarquons ici combien la
nature a bien fait les choses : à la belle saison, la grande ponte de la reine
compense largement la mortalité accrue, tandis que, pendant les grands froids,
où la ponte est à peu près nulle, il est heureux que les abeilles vivent plus
longtemps. Il ne faut cependant pas croire que la population soit toujours la
même dans la ruche ; il y a un minimum en février-mars de 10.000 à 30.000
individus et un maximum vers juin pendant la récolte, variable selon la qualité
de la reine et la miellée, et pouvant aller jusqu'à près de 100.000 dans les
très fortes colonies.
L'ouvrière est un petit insecte pesant à peine un décigramme
; dans la race française, elle est de couleur brune et duvetée ; ce duvet s'use
avec l'âge, ce qui fait paraître les vieilles abeilles plus noires et
brillantes. Si nous en examinons une, nous voyons que son corps se compose de
trois parties principales : la tête, le thorax et l'abdomen. Considérons la
tête de près ; nous remarquons d'abord une paire d'antennes, qui sont le siège
de certaines facultés comme le toucher, pour communiquer entre elles, le sens
de la direction, probablement le sens de l'ouïe et de l'odorat, et la
perception de certaines ondes. De chaque côté de la tête sont placés deux yeux
très puissants dont la surface est formée d'un très grand nombre de facettes
régulières visibles à la loupe ; sur le sommet de la tête, entre ces deux yeux,
on voit trois petits yeux disposés en triangle appelés ocelles ; contrairement
à certains auteurs, nous pensons qu'ils servent à voir les objets rapprochés ;
nous déduisons ceci du comportement même de l'abeille, qui se tient bien de
face pour regarder de près. Au bas de la tête on voit la bouche, composée de la
lèvre supérieure, ou labre, de deux mandibules et de la langue, ou trompe, qui
sort d'une gaine et lui sert pour pomper l'eau et le nectar.
Le thorax, ou corselet, supporte quatre ailes et six pattes,
dont les deux postérieures, plus longues, forment à leur coude un petit creux
nommé corbeille, et des poils, ou brosses; au bord de la corbeille, l'ensemble
servant à récolter le pollen et la propolis.
La partie extrême, ou abdomen, est composée de six anneaux
en chitine, légèrement mobiles les uns sur les autres ; le dessous de l'abdomen
comporte quatre plaques, dites cirières, par où sort la cire produite dans
certaines conditions. A l'extrémité est l'aiguillon, lequel est normalement
rentré, il est relié aux glandes à venin ; l'intérieur de l'abdomen renferme en
outre l'appareil digestif.
Nous savons que l'ouvrière devient insecte parfait trois
semaines après la ponte de l'œuf ; au sortir de son alvéole, elle est brossée
et la première nourriture, miel et pollen, lui est présentée par ses compagnes
; elle prend contact avec la vie et, dès lors, va commencer pour elle une
activité fébrile qui ne cessera qu'avec la mort. Par sa présence sur le
couvain, elle aide au maintien de la température nécessaire ; son premier
travail utile consiste à préparer la bouillie pour les larves avec un mélange
d'eau de miel et de pollen qu'elle malaxe, imprègne de salive et avale dans son
jabot. Cette pâtée prédigérée est ensuite dégorgée dans les alvéoles contenant
des jeunes larves ; il est à remarquer que la composition de cette-
bouillie n'est pas uniforme et varie selon l'âge et le sexe de la larve ;
quelques jeunes ouvrières sont également chargées de présenter la nourriture à
la reine, qui, pour cela, se contente de tendre sa langue. D'autres font office
de magasinières, elles étalent sur de grandes surfaces le nectar apporté par
les butineuses pour faciliter l'évaporation de l'excès d'eau; cette
concentration est accélérée par le travail des ventileuses, qui produisent un
fort courant d'air vers l'extérieur ; au moment de la miellée, on entend
fort bien le bruissement produit par le battement rapide des ailes. Le miel est
ensuite transvasé dans d'autres rayons, puis cacheté par un mince opercule de
cire ; les cellules de miel sont groupées d'abord au-dessus, puis sur les
côtés du nid à couvain. On prétend qu'une goutte de venin est ajoutée au miel
avant le cachetage, mais ceci n'est pas prouvé.
Ce sont les ouvrières âgées de quelques jours qui sont le
plus aptes à produire de la cire ; il est nécessaire pour cela, qu'elles soient
gavées de nourriture et dans une température ambiante assez élevée obtenue en
se groupant en boule.
Aux travaux d'intérieur, nous trouvons encore les
nettoyeuses, chargées de préparer les cellules pour la ponte en les brossant et
les réparant ; elles enduisent les parois de la ruche d'un verni de propolis, bouchent
les trous inutiles, enlèvent les cadavres d'abeilles et débris de toutes sortes
et enduisent de propolis ceux qu'elles ne peuvent transporter au dehors.
A l'entrée, quelques abeilles montent la garde, empêchant
toute intrusion étrangère; on peut les voir tâtant avec leurs antennes les
nouvelles arrivantes et se précipitant sur les intrus qui approchent trop près
de la ruche, sacrifiant bravement leur vie pour la Sauvegarde de la communauté.
Au bout d'une semaine environ, les jeunes abeilles font leur
première sortie, se repérant en faisant des vols devant la ruche la tête
tournée vers l'entrée ; lorsqu'il y en a un certain nombre, on dit qu'elles
font le soleil d'artifice. Peu après elles vont à la récolte en débutant par
l'eau, puis le pollen et le nectar tant que leurs forces le leur permettent. Ce
sont les vieilles abeilles qui font office d'exploratrices pour déceler les
sources de nectar.
Dans le cas de perte de la reine à une saison où elle ne
peut être remplacée, certaines abeilles ouvrières arrivent à pondre quelques
œufs par une nourriture, appropriée qui développe leurs organes génitaux
normalement atrophiés, mais ces œufs n'étant pas fécondés ne donnent naissance
qu'à des mâles; on dit que la ruche est bourdonneuse ; une telle colonie est perdue
si on s'en aperçoit trop tard, les vieilles abeilles s'opposant à toute
introduction d'une nouvelle reine.
Roger Guilhou,
Expert apicole.
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