Le Salon de l'automobile a fermé ses portes sur un nouveau
triomphe. Record des visiteurs, record des commandes, record des prix. Tout est
battu. Si nous devions baptiser ce salon, comme nous le faisons ici, chaque année,
nous l'appellerions le Salon de la liberté. C'est que, dans le monde de
l'automobile, tout ne tourne pas rond. Pas, certes, sous l'angle technique,
ainsi que nous le verrons dans une prochaine causerie, mais sous l'angle
commercial. Les délais de livraison restent toujours un sujet d'étonnement,
cependant que les cadences de fabrication ne s'élèvent, chez certains
constructeurs, que lentement. La Frégate Renault sort présentement à trois
exemplaires par jour. On espère passer à 100 en juillet prochain. Son prix, qui
tourne autour de 800.000 fr., en fait une voiture demi luxe, qui prend
place à côté de la Ford Vedette. Ce ne sont pas là des véhicules populaires.
Par contre, la 4 CV Renault, dont le succès ne se ralentit
pas, atteint les 425 par jour, cependant que 250.000 exemplaires ont été livrés
jusqu'à ce salon. Et, pourtant, il faut attendre dix-huit mois à deux ans pour
obtenir satisfaction à toute commande. Citroën, de son côté, piétine toujours
avec ses 60 2 CV quotidiennes. On nous en promettait 200. La 11 CV
traction avant plafonne avec 180, et 45 15 CV six cylindres. Dans cette
firme, il n'est plus question de délais précis. On parle comme minimum de deux
ans, sauf, peut-être, pour la 15 CV, qui perd des points auprès de ses
fanatiques d'hier et même auprès des autres.
La 203 Peugeot suit la courbe ascendante de la 4 CV Renault.
On travaille à Sochaux à 350 par jour avec attente de dix-huit mois à deux ans.
L'Aronde Simca, qui, avec la Frégate et la Comète Ford, est née avant terme,
c'est-à-dire avant l'ouverture du Salon, considéré jadis comme la seule époque
où devait naître toute nouveauté, s'équipe pour atteindre 200 voitures à la fin
de l'année. Cent quatre-vingts déjà prennent la route chaque jour. Simca s'est
fixé l'objectif de 300. Pour l'instant, on ne vous promet guère une Aronde
avant deux ans. Décidément, ce chiffre est de rigueur, un peu partout, pour les
voitures de 500.000 fr. Panhard, de son côté, marche à la cadence limite
de 60. On s'estime satisfait, en regard de l'épaisseur, relativement
restreinte, du carnet de commandes. A Poissy, Ford nous parle de 80 Vedettes
par jour. Cette production est absorbée normalement avec des délais moyens de
moins de trois mois. Quant à la Comète, elle ne portera que sur quelques unités
par jour. Il est vrai que ses quelque 1.400.000 fr. en font une voiture de
luxe, qui prend rang à côté de la Salmson Randonnée (4 par jour) et la Hotchkiss
Anjou (livrée à lettre lue). Talbot, Delahaye et Bugatti font des efforts
remarquables pour se remettre en selle. Et maintenant, que va-t-il se passer ?
La liberté des prix vient d'être rendue au marché des voitures de grandes séries.
La demande étant supérieure, et de beaucoup, à l'offre, nous assistons à une
hausse générale des prix, hausse variant de 8 à 12 p. 100. Si l'armement ou les
difficultés d'approvisionnement ne viennent pas freiner la production, nous
verrons, avant le salon prochain, les chaînes travailler à plein rendement. Si
les marchés étrangers continuent à se saturer avec la même progression — on
exportait 55 p. 100 de la production en 1947, puis 37 p. 100 en 1948, 34 p. 100
en 1949, 31 p. 100 en 1950 et enfin plus que 29 p. 100 en 1951, — si Renault
maintient ses 425 4 CV par jour, auxquels viendront se joindre les 100 Frégates,
Citroën ses 180 tractions avant et 80 ou 100 2 CV, Peugeot ses 350 modèles
203, Ford ses 80 Vedettes, il est possible qu'avec les 300Arondes le marché automobile
se trouve rapidement assaini ; aux premiers signes avant-coureurs, joints à l'amenuisement
de la surprime des voitures neuves, conséquence de la hausse des tarifs, les
habitués des commandes multiples aux différents constructeurs ne tarderont pas à
tirer leur épingle du Jeu, ne faisant en cela que précipiter le mouvement.
La liberté aura, une fois de plus, contribué à assainir le
marché de l'automobile, le seul où l'on parle encore de marché noir. La
concurrence devenant plus âpre, les constructeurs se pencheront sur leur prix
de revient. Il est bien évident que telle grande marque, qui depuis plus de
quinze ans fabrique le même modèle, a vu son outillage s'amortir depuis belle
lurette et pourrait ramener son prix de vente à une hauteur ahurissante de bon
marché. Ce qui explique peut-être sa passivité actuelle devant tout effort de
nouveauté.
Mais ces deux années d'attente pour qu'un grand constructeur
français daigne livrer votre commande incite de plus en plus l'opinion publique
à réclamer l'abaissement des barrages douaniers pour les voitures étrangères. Puisque,
à tort ou à raison, certaines marques nationales répugnent à mettre en route de
nouvelles chaînes, faisons appel, dit-on, à la fabrication étrangère. Et cette
dernière ne chôme pas. Suivant la demande et les nécessités du moment, on
pourrait ouvrir ou non le robinet de l'importation en agissant sur les quelque 55
p. 100 de droits de douane qui grèvent le prix de tout véhicule neuf de
construction étrangère entrant en France. Il ne saurait être question d'inonder
le marché français de Moriss, Hillman, Triumph, Vauxhall ou encore de
Volkswagen, Opel, etc. Non. Et le voudrait-on, il n'est pas sûr que le résultat
cherché soit atteint en regard, d'abord, de notre franc maladif, qui n'intéresse
guère, hélas ! les pays voisins, et des goûts et exigences du public français.
Mais, mis en présence de la concurrence mondiale et notamment en face du prix
moyen des « américaines » : 850.000 fr., la méthode stimulante
de la « vanne douanière » préparerait notre industrie à lutter à l'exportation,
tout en soulageant momentanément la demande intérieure. En conclusion, jetons
un regard sur l'évolution de deux marchés étrangers au cours de l'année écoulée.
Le marché américain, qui vient de connaître une année difficile par suite de la
déclaration de l'état d'urgence du 16 février 1950. Du 1er janvier
au 1er septembre, la production totale de la Ford Compagnie est tombée
de 1.480.000 à 1.180.000, de même pour la Général Motors, qui passe de 2.474.169
véhicules à 2.052.397 pour la même période. Les causes ? Difficultés
d'approvisionnement en tôle d'acier, zinc, cuivre, chrome, etc., et mise en
place des chaînes produisant pour la Défense nationale. La demande boude également
devant les hausses de prix. Peu de nouveautés du côté technique. Par contre,
l'industrie automobile allemande renaît avec une rapidité surprenante, malgré les
destructions de la guerre et les difficultés inhérentes aux deux zones. La
production annuelle, qui était nulle en 1945, de 61.000 véhicules en 1948, est
passée à 163.000 en 1949, pour atteindre 306.000 en 1950 et battre le record,
et de loin, de 1938 pour l'année 1951. C'est Volkswagen, de Wolfsburg, qui
vient en tête en 1950, avec 83.500 voitures sorties, suivi par Opel: 60.000, et
enfin Daimler et Ford de Cologne. Nous nous trouvons face à face avec ces
marques en Belgique, Suisse, Hollande, etc., et la lutte est chaude. Il est
grand temps de nous ressaisir.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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