Accueil  > Années 1951  > N°658 Décembre 1951  > Page 747 Tous droits réservés

Automobile

Le salon 1951

Le Salon de l'automobile a fermé ses portes sur un nouveau triomphe. Record des visiteurs, record des commandes, record des prix. Tout est battu. Si nous devions baptiser ce salon, comme nous le faisons ici, chaque année, nous l'appellerions le Salon de la liberté. C'est que, dans le monde de l'automobile, tout ne tourne pas rond. Pas, certes, sous l'angle technique, ainsi que nous le verrons dans une prochaine causerie, mais sous l'angle commercial. Les délais de livraison restent toujours un sujet d'étonnement, cependant que les cadences de fabrication ne s'élèvent, chez certains constructeurs, que lentement. La Frégate Renault sort présentement à trois exemplaires par jour. On espère passer à 100 en juillet prochain. Son prix, qui tourne autour de 800.000 fr., en fait une voiture demi luxe, qui prend place à côté de la Ford Vedette. Ce ne sont pas là des véhicules populaires.

Par contre, la 4 CV Renault, dont le succès ne se ralentit pas, atteint les 425 par jour, cependant que 250.000 exemplaires ont été livrés jusqu'à ce salon. Et, pourtant, il faut attendre dix-huit mois à deux ans pour obtenir satisfaction à toute commande. Citroën, de son côté, piétine toujours avec ses 60 2 CV quotidiennes. On nous en promettait 200. La 11 CV traction avant plafonne avec 180, et 45 15 CV six cylindres. Dans cette firme, il n'est plus question de délais précis. On parle comme minimum de deux ans, sauf, peut-être, pour la 15 CV, qui perd des points auprès de ses fanatiques d'hier et même auprès des autres.

La 203 Peugeot suit la courbe ascendante de la 4 CV Renault. On travaille à Sochaux à 350 par jour avec attente de dix-huit mois à deux ans. L'Aronde Simca, qui, avec la Frégate et la Comète Ford, est née avant terme, c'est-à-dire avant l'ouverture du Salon, considéré jadis comme la seule époque où devait naître toute nouveauté, s'équipe pour atteindre 200 voitures à la fin de l'année. Cent quatre-vingts déjà prennent la route chaque jour. Simca s'est fixé l'objectif de 300. Pour l'instant, on ne vous promet guère une Aronde avant deux ans. Décidément, ce chiffre est de rigueur, un peu partout, pour les voitures de 500.000 fr. Panhard, de son côté, marche à la cadence limite de 60. On s'estime satisfait, en regard de l'épaisseur, relativement restreinte, du carnet de commandes. A Poissy, Ford nous parle de 80 Vedettes par jour. Cette production est absorbée normalement avec des délais moyens de moins de trois mois. Quant à la Comète, elle ne portera que sur quelques unités par jour. Il est vrai que ses quelque 1.400.000 fr. en font une voiture de luxe, qui prend rang à côté de la Salmson Randonnée (4 par jour) et la Hotchkiss Anjou (livrée à lettre lue). Talbot, Delahaye et Bugatti font des efforts remarquables pour se remettre en selle. Et maintenant, que va-t-il se passer ? La liberté des prix vient d'être rendue au marché des voitures de grandes séries. La demande étant supérieure, et de beaucoup, à l'offre, nous assistons à une hausse générale des prix, hausse variant de 8 à 12 p. 100. Si l'armement ou les difficultés d'approvisionnement ne viennent pas freiner la production, nous verrons, avant le salon prochain, les chaînes travailler à plein rendement. Si les marchés étrangers continuent à se saturer avec la même progression — on exportait 55 p. 100 de la production en 1947, puis 37 p. 100 en 1948, 34 p. 100 en 1949, 31 p. 100 en 1950 et enfin plus que 29 p. 100 en 1951, — si Renault maintient ses 425 4 CV par jour, auxquels viendront se joindre les 100 Frégates, Citroën ses 180 tractions avant et 80 ou 100 2 CV, Peugeot ses 350 modèles 203, Ford ses 80 Vedettes, il est possible qu'avec les 300Arondes le marché automobile se trouve rapidement assaini ; aux premiers signes avant-coureurs, joints à l'amenuisement de la surprime des voitures neuves, conséquence de la hausse des tarifs, les habitués des commandes multiples aux différents constructeurs ne tarderont pas à tirer leur épingle du Jeu, ne faisant en cela que précipiter le mouvement.

La liberté aura, une fois de plus, contribué à assainir le marché de l'automobile, le seul où l'on parle encore de marché noir. La concurrence devenant plus âpre, les constructeurs se pencheront sur leur prix de revient. Il est bien évident que telle grande marque, qui depuis plus de quinze ans fabrique le même modèle, a vu son outillage s'amortir depuis belle lurette et pourrait ramener son prix de vente à une hauteur ahurissante de bon marché. Ce qui explique peut-être sa passivité actuelle devant tout effort de nouveauté.

Mais ces deux années d'attente pour qu'un grand constructeur français daigne livrer votre commande incite de plus en plus l'opinion publique à réclamer l'abaissement des barrages douaniers pour les voitures étrangères. Puisque, à tort ou à raison, certaines marques nationales répugnent à mettre en route de nouvelles chaînes, faisons appel, dit-on, à la fabrication étrangère. Et cette dernière ne chôme pas. Suivant la demande et les nécessités du moment, on pourrait ouvrir ou non le robinet de l'importation en agissant sur les quelque 55 p. 100 de droits de douane qui grèvent le prix de tout véhicule neuf de construction étrangère entrant en France. Il ne saurait être question d'inonder le marché français de Moriss, Hillman, Triumph, Vauxhall ou encore de Volkswagen, Opel, etc. Non. Et le voudrait-on, il n'est pas sûr que le résultat cherché soit atteint en regard, d'abord, de notre franc maladif, qui n'intéresse guère, hélas ! les pays voisins, et des goûts et exigences du public français. Mais, mis en présence de la concurrence mondiale et notamment en face du prix moyen des « américaines » : 850.000 fr., la méthode stimulante de la « vanne douanière » préparerait notre industrie à lutter à l'exportation, tout en soulageant momentanément la demande intérieure. En conclusion, jetons un regard sur l'évolution de deux marchés étrangers au cours de l'année écoulée. Le marché américain, qui vient de connaître une année difficile par suite de la déclaration de l'état d'urgence du 16 février 1950. Du 1er janvier au 1er septembre, la production totale de la Ford Compagnie est tombée de 1.480.000 à 1.180.000, de même pour la Général Motors, qui passe de 2.474.169 véhicules à 2.052.397 pour la même période. Les causes ? Difficultés d'approvisionnement en tôle d'acier, zinc, cuivre, chrome, etc., et mise en place des chaînes produisant pour la Défense nationale. La demande boude également devant les hausses de prix. Peu de nouveautés du côté technique. Par contre, l'industrie automobile allemande renaît avec une rapidité surprenante, malgré les destructions de la guerre et les difficultés inhérentes aux deux zones. La production annuelle, qui était nulle en 1945, de 61.000 véhicules en 1948, est passée à 163.000 en 1949, pour atteindre 306.000 en 1950 et battre le record, et de loin, de 1938 pour l'année 1951. C'est Volkswagen, de Wolfsburg, qui vient en tête en 1950, avec 83.500 voitures sorties, suivi par Opel: 60.000, et enfin Daimler et Ford de Cologne. Nous nous trouvons face à face avec ces marques en Belgique, Suisse, Hollande, etc., et la lutte est chaude. Il est grand temps de nous ressaisir.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 747