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Histoire du pain et de la boulangerie

Aussi loin que l'on remonte à travers l'histoire, on trouve le pain comme élément majeur de la nourriture de l'homme, « seul animal ayant su produire du feu et transformer son alimentation avant de la consommer ».

On trouve déjà la mention du pain dans la Bible.

Abraham commande à sa femme Sarah « de pétrir trois mesures de farine et de l'offrir, après l'avoir cuit sous la cendre », aux trois messagers venant lui annoncer la naissance d'un fils.

Ce même Abraham reçoit l'offrande du pain de Melchisédech en revenant de Sodome.

Les Israélites, en proie à la famine dans le Désert, reprochent à Moïse de ne pas les avoir laissés en Egypte, où ils avaient tout le pain voulu.

Cette même Bible présente même des recommandations pour la préparation du pain, ce qui justifie de son importance, il y a près de cinq mille ans. Curieusement, on y trouve le conseil d'exposer l'eau destinée aux pétrissages aux rayons bénéfiques de la lune, et bien d'autres prescriptions.

Ce pain antique était du reste fort différent de celui actuel, car on ignorait l'usage du levain.

Ce fut très accidentellement que cette découverte fut effectuée, par suite de l'utilisation à retardement d'un peu de pâte pétrie et non utilisée. Le pain obtenu fut alors constaté plus léger et plus friand. Depuis, on prit l'habitude de conserver un peu de pâte provenant du pétrissage antérieur et de la mélanger à la nouvelle.

Pendant quarante siècles, la formule n'a pas changé, et il faut arriver au XXe siècle pour voir utiliser des levures chimiques. Mais dans les campagnes, et pour le beau pain, on a conservé avec sagesse la formule naturelle classique.

Dans l'antiquité, la fabrication du pain était familiale. On procédait simplement à l'écrasement du blé sous un pilon et, sans tamisage, on préparait une pâte que l'on cuisait dans l'âtre, sur un gril recouvert d'une cloche de terre.

Le plus ancien four connu a été découvert il y a moins de vingt ans, à Maéri, au cours des fouilles de l'archéologue Parrot. On peut en inférer que son usage est donc dû aux Sémites qui peuplaient la région d'Akkad, dans la Mésopotamie supérieure.

De là cette pratique passa en Egypte, comme le justifient les peintures des antiques monuments et les textes. Les Grecs, puis les Romains en furent les héritiers.

Chez les Hellènes, le pain prit figure d'aliment national et, l'émulation aidant, on arriva à produire 75 sortes différentes par adjonction d'aromates.

Les Romains donnèrent à la boulangerie sa forme industrielle. Numa Pompilius fit installer des fournils et fours publics, et, aux dires de Pline, en 168 avant Jésus-Christ ils firent venir de Grèce des boulangers spécialistes.

Cependant, si la boulangerie avait acquis dès cette époque sa forme moderne, il n'en était pas de même de la meunerie. Plus de deux siècles après le Christ, on ignorait encore à Rome le moulin à meules de pierre, qui était cependant répandu depuis longtemps en Orient.

Les boulangers furent organisés en corporation héréditaire et il était interdit de quitter la profession.

L'art de la boulangerie fut rapidement adopté en Gaule, lors de la conquête romaine, à l'inverse du reste de l'Europe. Mais il faut attendre Dagobert II, en l'an 630, pour que la profession ait son statut officiel. Avec Charlemagne, le métier de boulanger devint une véritable charge publique.

La féodalité détruisit cette organisation et les fours publics devinrent « banaux » jusqu'à ce que Philippe Auguste, puis saint Louis autorisassent la création de fours au domicile du boulanger.

Le commerce du pain était fort différent de l'actuel, en ces temps-là. Toutes les transactions sur le blé étaient les monopoles des boulangers, et c'est pour leur compte exclusif que les meuniers travaillaient.

Le mot « boulanger » était du reste inconnu, et l'on disait les « talemeliers ». Pour éviter des fraudes, ces spécialistes organisèrent une véritable police économique et de répression des fraudes sous le nom de « gardes du métier ». Les membres en prêtaient serment sur l'Évangile devant le prévôt de Paris.

Dans la capitale, cette corporation avait une organisation officielle assez complexe. Il existait en effet quatre sortes de talemeliers : d'abord ceux privilégiés, exerçant au profit de la cour ou de la noblesse, puis les forains, ensuite ceux de gros pains, et enfin ceux de petits pains. Dans chaque groupe il y avait des apprentis, valets et maîtres, depuis la fondation de la corporation bien avant Charlemagne. On ne passait d'une catégorie à l'autre qu'après une longue expérience du métier et des épreuves rigoureuses. L'exercice de la profession constituait une véritable charge impliquant le paiement, après obtention, d'un droit d'exercice.

La profession eut aussi son patron : saint Pierre aux Liens, sous le règne de saint Louis, puis ce fut saint Lazare, et enfin saint Honoré.

Le matériel de boulangerie a grandement évolué à travers les siècles, et tout particulièrement le four. Aux plus hautes époques, il n'est pas encore construit de briques, mais constitué par une jarre de terre cuite que l'on chauffe de l'extérieur. Et c'est contre les parois internes que l'on plaçait une couche de pâte. La cloche individuelle recouvrant un gril lui succéda. Puis ce furent les fours en cuivre, et enfin en maçonnerie.

L'introduction du moulin à meules mues par un âne provoqua une application aux pétrins. Ainsi le pétrin mécanique date de quelque vingt-cinq siècles. Mais le procédé resta local et le pétrin à bras demeura la normale avec son travail nocturne extrêmement pénible.

En France, la conception du four moderne comme formes ne remonte pas au delà de 1750, juste deux siècles. Après des tentatives de le bâtir en pierres, on revint à la brique blanche.

Jusqu'en 1784, on n'utilisa que le bois pour son chauffage, avec récupération des braises au moyen de la « rouable » et mise à l'étouffoir pour vente sous forme de charbon de bois.

C'est à Lyon qu'à cette date on essaie le chauffage au charbon de terre.

En 1912 seulement on fit le premier essai du chauffage au gaz, pour supprimer l'inconvénient des cendres souillant le pain si l'on ne procède pas à un nettoyage parfait, et forcément difficile en raison de la température intérieure.

En 1918, on reprit une tentative de 1902 pour le chauffage fuel oil. Ce devait être un succès, car en 1950 plus de 40 p. 100 des boulangers de province et 60 p. 100 de ceux de la région parisienne utilisaient ce combustible, essentiellement facile à approvisionner, manipuler et stocker.

Actuellement la boulangerie évolue vers l'équipement industriel, avec des méthodes scientifiques et des réalisations mécaniques et automatiques.

Dans de nombreux pays, et pour les grandes villes, il existe de véritables usines à pain équipées de machines remarquables.

Depuis les silos à farine jusqu'à la sortie du four, il n'y a plus aucune manipulation manuelle.

Les pains sont alors livrés à des boutiquiers, qui ne sont plus que des commerçants.

La méthode est en cela analogue à ce qui se passe pour les bouchers avec les abattoirs, ou les crémiers avec les laiteries, fromageries industrielles.

Mais, par un juste retour, dans ces villes on voit alors se recréer des boulangeries non seulement classiques, mais traditionnelles, ou tout le travail est effectué à la main pour réaliser de magnifiques pains conformes aux plus vieilles méthodes.

Et il faut reconnaître que les amateurs de bonne chère leur sont fidèles.

Mais, dans le XXe siècle agité, il faut accepter l'industrialisation soit par équipement individuel, soit par groupement industriel.

Il existe du reste, en France, une école spéciale de meunerie et boulangerie qui est orientée vers les procédés les plus modernes. De son côté, une des plus importantes firmes d'importation de pétroles et dérivés a créé des bureaux d'études et de documentation gratuits pour les boulangers désireux de s'équiper.

Et, simultanément, les historiens ont fait éditer plusieurs ouvrages parfaits sur l'histoire du pain, de la meunerie et de la boulangerie, de leurs corporations et de leurs métiers. Ce qui prouve qu'au fond de l'homme moderne il reste toujours un amour passionné pour ses traditions et celles de ses labeurs ancestraux.

Alex ANDRIEU.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 759