Je pensais bien qu'il devait nicher par ici, car le site
est celui qu'il préfère entre tous, une eau tranquille ombragée de grands
arbres, en bordure d'une prairie ensoleillée ; mais j'étais depuis un
instant tout à fait sûre de l'y rencontrer, à cause du grand nombre d'ailes de
papillons jonchant le sol du sentier à nos derniers pas.
Nous n'aurons, je pense, aucune peine à l'y découvrir, car
peu d'oiseaux sont moins soucieux de se dissimuler dans le feuillage. Il semble
que la conscience de son silence soit pour lui une sauvegarde suffisante et
qu'elle autorise, en toute sécurité, son agitation incessante et un peu
fébrile. Le souci même de sa couvée n'arrive pas à lui imposer ces allures
furtives que la plupart des autres oiseaux adoptent comme une mesure de
sécurité élémentaire. À tout moment, son émotivité le pousse à s'enquérir de la
présence et des besoins de sa compagne, et la fréquence de ses allées et venues
a bien vite trahi l'emplacement du nid, le plus souvent, d'ailleurs, très peu
caché.
Tenez ! Le voyez-vous ? C'est ce petit oiseau
gris, dont le ventre et la poitrine blanchâtres sont mouchetés de petites
taches pareillement grises. De la branche morte d'un aulne qui lui servait de
perchoir, il vient de s'élancer sur quelque moucheron, invisible à nos yeux,
pour revenir précipitamment à son poste de guet. Il n'y restera pas longtemps,
car les proies friandes abondent en cet endroit privilégié, où vivent côte à
côte les insectes de l'ombre et ceux de la lumière ; les premiers,
beaucoup plus nombreux, ont dicté le choix de sa demeure ainsi que de son
observatoire. C'est à présent, en pleine lumière, le tour d'un papillon qu'il
rapporte à son perchoir et dont, par le jeu de ses mandibules, le petit
bourreau tranche les ailes diaprées, qui palpitent désespérément avant de
tomber à terre, tandis qu'il engloutit le corps dodu de l'insecte. Et, sans
cesse, le même manège recommence : un vol bref, la capture de la proie et
le retour au point de départ ou à quelque autre emplacement, toujours bien
dégagé du feuillage, afin de procurer un champ d'observation plus vaste.
Pourtant, de temps à autre, nous le voyons s'enfoncer
résolument sous la voûte d'ombre. Le nid doit être là ; lui-même, il va
nous y conduire, pauvre oisillon sans défiance. Trois ou quatre tentatives nous
amènent au pied d'un frêne où, sur la saillie produite, vers le haut du tronc,
par un polypore, énorme champignon ligneux, commun dans les endroits humides et
servant de support au nid, la petite couveuse se tient immobile, attentive à sa
mission de faire éclore la vie, par sa patience et ses soins, dans les cinq ou
six œufs bleuâtres, tachetés de pourpre, ou bien — ils diffèrent tellement
en couleur — d'un bleu vert intense, marquetés de brun rouge brillant. Si
son époux ne sait pas, comme le plus grand nombre de ses congénères, la
distraire, en la berçant de ses chants amoureux, du moins lui prodigue-t-il,
plus que d'autres, de fréquentes visites — pour la ravitailler, bien sûr,
comme il est naturel, mais aussi, croirait-on, pour lui témoigner tout
simplement, par sa présence, l'affection qu'il lui porte et l'intérêt qu'il
prend à la réussite de la couvée.
Je m'aperçois que j'ai oublié de vous le présenter, mais,
rien qu'à le regarder poursuivre sa chasse infatigable, vous aurez deviné son nom
c'est : le gobe-mouches gris, que certains ornithologues anciens
appellent le butalis.
Il est le plus tardif de nos migrateurs parmi les petits
passereaux. Les muguets déjà se fanent dans les bois de mai quand nous
remarquons à sa perpétuelle agitation cette petite présence silencieuse. Il
paraît étrange, en effet, que l'amour, qui adoucit jusqu'à la voix aigre de la
pie et celle, plus rauque encore, de la corneille, n'arrive pas à inspirer
quelques notes à ce petit être dont la sollicitude inquiète pour sa femelle
dénote la chaleur de cœur. Il en est ainsi cependant ; mais le miracle que
l'amour conjugal n'a pu accomplir, l'amour paternel en viendra à bout.
Quand la nichée, sentant pousser ses ailes, échappe à la
sécurité relative du nid, notre petit oiseau, dans l'impossibilité d'accroître
son agitation devenue frénétique, retrouve soudain la voix pour exprimer son
anxiété. Et toute la journée, sur un piquet solitaire ou un rameau mort bien en
vue, ce sont, de l'aube au crépuscule, des tss-te, tss-te, tss-te
inépuisables. C'est que les petits gobe-mouches, ayant hérité des instincts de
leurs parents, choisissent de s'aligner en brochette pour attendre leur
nourriture sur la barrière d'un champ, la balustrade d'un balcon, le dossier
d'un banc de jardin, sans se douter du risque qu'ils courent à s'offrir en
nombre aux coups des mortels ennemis des oiseaux : les hommes, les chats,
les éperviers. Les pauvres parents, éperdus d'angoisse, ne savent littéralement
plus où donner de la tête entre le souci de pourvoir aux besoins alimentaires
des oisillons et celui de mettre ces naïfs imprudents en garde contre les
dangers qui les menacent. Aussi, pendant bien des jours, la vie de la petite
famille sera rythmée aux incessants tss-te, tss-te, des parents.
Puis ils diminueront, à mesure que les petits grandissant, apprendront à se
cacher et à se procurer eux-mêmes leur nourriture. Quand ils en seront devenus
entièrement capables, les gobe-mouches redeviendront silencieux. Lorsque la
couvée réussit, ils ne font qu'une nichée par an.
Comment attirer ces purs insectivores, éminemment utiles, et
favoriser leur reproduction ? Il est impossible de leur procurer les
proies vivantes que réclame obligatoirement leur organisme. Mais nous pouvons
leur fournir des emplacements pour nicher. Ils acceptent parfois les nichoirs
que les manuels de protection désignent sous le nom de nichoirs F, qui sont
plutôt d'ordinaire occupés par les rouges-queues, et s'installent à l'intérieur
comme ceux-ci ou sur le, toit, malgré sa pente. Mais une simplification de
cette petite habitation la leur rend tout à fait désirable. Il suffit de
supprimer la planche qui ferme la moitié inférieure du devant.
Le nichoir ainsi préparé a toute l'apparence d'une boite
carrée de 20 centimètres de côté environ, à laquelle manquerait la planche du
devant, celle du haut s'inclinant un peu du même côté, afin d'abriter
l'intérieur de la pluie. Ils occupent cette demeure avec l'enthousiasme
irréfléchi qui les caractérise. La petite maison ainsi grande ouverte est fixée
dans les situations aérées qu'ils préfèrent, contre un tronc d'arbre, un poteau
ou un mur, et n'est pas sans danger pour eux ; il est bon d'en interdire
l'accès aux grimpeurs venus du sol, chats et fouines, par des épines ou un
grillage. Il demeure le risque des pilleurs aériens, contre lesquels ils sont à
peu près sans défense, sinon par leur penchant pour les coins ombragés et
obscurs où le nichoir peut être dissimulé dans une certaine mesure. Au jardin
de mon enfance, l'un d'eux avait résolu la question de bien ingénieuse façon,
en installant son nid, dans l'endroit le plus secret de l'enclos et près d'un
lavoir, sur les longues épines acérées d'un févier d'Amérique, qui entourent en
collerette le haut du tronc de cet arbre. Plût à Dieu que pareil refuge fût
plus souvent offert à ce petit oiseau aussi utile que sympathique.
Pierrette MAGNE.
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