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Abris

Tout comme l'homme, l'animal recherche les abris pour se soustraire aux dangers qui le guettent. Il adopte des refuges naturels : grottes, galeries, arbres creux, fourrés profonds. Certaines espèces se contentent du couvert temporaire des récoltes et des herbes. D'autres sont capables de fabriquer le logement répondant à des besoins précis. Entre l'architecture merveilleuse des castors et les cités de fourmis, on trouve toute une gamme d'habitations pour individus, couples ou tribus.

Les régions riches en abris naturels : grottes, rochers escarpés, amas de blocs, forêts, taillis touffus, massifs de roseaux sont, à première vue, des terrains prédestinés au gibier. Il n'y abonde pas toujours, car d'autres facteurs : nourriture, climat, tranquillité, contribuent à retenir ou à éloigner quadrupèdes et oiseaux. L'homme a su — trop bien même — adapter sa chasse au terrain. Les braconniers à deux et quatre pattes y ajoutent leurs destructions, qui seront cependant moins désastreuses qu'en sol nu.

Nous avons, en France, de grandes surfaces offrant d'illusoires abris au gibier. C'est souvent là qu'il se donne rendez-vous, car la nourriture abonde. Dès juin, la fenaison, puis les moissons dénudent les champs. Que de victimes ! ... Il s'y ajoutera le meurtre des rapaces, dont l'œil exercé a vite décelé les futures victimes. Il y a aussi ces plateaux dépourvus de végétation, ces collines pelées, ces vallons sans bosquets et sans haies ...

Les techniques agricoles modernes transforment les contrées. Arbustes, buissons, landes s'évanouissent devant l'insatiable tracteur. Peu après, le paysage rajeuni offre moissons, vergers, champs de lavande, rizières au regard du chasseur. Ailleurs, il accrochera sa culotte aux barbelés remplaçant des haies vives autrefois toutes bruissantes d'ailes.

À côté de l'anéantissement productif, on voit l'homme déshabiller inutilement vallons et bords des ruisseaux. « Pépinières d'insectes nuisibles, nids de maladies cryptogamiques », clament les destructeurs. Il faudrait le démontrer. Malgré la disparition des foyers incriminés, l'envahissement redouté progresse et, dans les régions voisines où l'amour du nu n'a point connu de tels excès, les récoltes ne sont pas plus menacées. J'ajouterai : en arrachant les « buissonnaies », vous supprimez du même coup l'aide gratuite d'une foule de passereaux au bec fin détruisant larves et insectes parfaits. Observez la vie des haies, surtout au voisinage des champs et des maisons. Vous y verrez, permanents ou passagers, une foule de gentils locataires, depuis le roitelet, la mésange, les fauvettes, jusqu'aux tribus des grives. Ils trouvent en ces lieux la sûreté pour leurs petits, un abri contre rapaces et becs droits. Insectes, baies variées les engagent à y demeurer. L'agriculteur éliminant cette végétation éloigne du même coup ses alliés naturels. S'il est chasseur, d'autres raisons lui feront respecter les refuges de la plume et du poil.

Par une belle journée de novembre, alors que le gibier habituel est devenu méfiant et rare, sifflez votre chien. Seul ou avec un ami prudent, partez en promenade le long des haies. De la fine grenaille du côté droit, un numéro plus étoffé pour le gauche, avancez lentement chacun d'un côté. Que d'amusants coups de fusil en perspective et parfois aussi quelles surprises ! ... Léger froissement de feuilles sèches. M. Merle piète longuement, s'arrête au plus profond des broussailles. Il veut vous laisser passer. Mais votre toutou était là. Cri de révolte de la petite silhouette noire qui fuit rasant le sol. Si vous ne la cueillez pas au départ, ce sera partie remise, car il se posera tout près dans une autre touffe. Ce tir demeure malaisé lorsqu'une végétation dense entoure le chasseur.

Des « tsick-tsick » métalliques vous avisent du départ de la grive commune ; c'est une retardataire bien rebondie qui se laisse fusiller sans mal. Pendant que vous ramassiez l'oiseau, votre chien a fait bondir un lapin, mais le terrier l'attendait tout près. Sauvé.

Là-bas, au milieu des arbres, les grandes aubépines, rouges de baies, s'agitent déjà. Un vol de mauvis farouches fuit. Attention, approchez sans bruit ; probablement, sous les branches, il reste quelque étourdie. Tenez,-en voici une. Tirez vite. La cible est petite et le coup d'aile rapide. Si vous tenez à déguster la plus délicieuse de nos grives, repérez l'emplacement. Près de ce chêne, établissez un léger affût et demain soyez matinal. Il y aura certainement encore quelques étoiles quand un sifflement plaintif vous avisera que la première condamnée arrive. À la même place, le mois prochain, vous tirerez des litornes à belle livrée, probablement aussi une draine.

Continuons notre promenade. Une touffe énorme barre le vallon. Dans ce fouillis où épines noires, églantiers, aubépines et ronces mêlent leurs bras, s'agrippent des vignes sauvages. Rip s'y engage, plein d'espoir. En rafale, une compagnie de rouges se lève et va passer sur la tête de l'ami. Doublé parfaitement réussi. Quels splendides oiseaux à cette saison ! ... Vous ne seriez pas venu les chercher en ce coin, dites-vous. N'oubliez jamais que les gallinacés aiment les baies. Ils profitent de celles que grives et passereaux font tomber. La table est abondante, il suffit de remuer les feuilles sèches.

Deux merles prennent le large pour se cacher dans un bouquet de buissons ardents à mi-côte, en plein soleil. Essayez de leur jouer un mauvais tour. Les coquins surveillaient la manœuvre, les voilà repartis. Mais que fait Rip en arrêt parmi les cailloux ? Un lapin ou ... Oui, un gros roux qui jaillit comme un diable. Les deux détonations se superposent. Peut-être les deux charges l'ont cinglé de chaque côté. Belle bête. Sept livres au moins ... De quoi remplir un carnier.

Cette promenade que vous jugiez ennuyeuse devient pleine d'attraits. Après avoir tenté, mais en vain, d'approcher les ramiers, vous rentrez par les bords de la rivière où poules d'eau et râles abondent. Vers le soir, ils se lèvent plus aisément. Au lieu d'un de ces oiseaux maladroits, c'est une bécasse qui jaillit de la Font-du-Cresson. Surpris, vous l'avez manquée. Tant pis. Soyez moins gourmand. N'êtes-vous pas satisfait de votre carnier lourd et varié ? Terminez la journée par une bonne action. Vous connaissez des dortoirs de pies et corneilles. Profitez des dernières clartés pour sacrifier quelques cartouches.

Puisque vous êtes pris par le charme de cette chasse amusante le long des haies, ne détruisez pas inutilement les « buissonnaies ». Vous pouvez faire mieux encore. En mars prochain, formez une équipe de volontaires et sacrifiez deux ou trois dimanches pour reboiser le fond des ravins nus de la Grande Rive. Si la terre est humide, le travail avance rapidement. Avec des groupes de trois hommes, la tâche est répartie : le premier donne un coup de barre à mine légère pour faire le trou dans lequel son second introduit le plant ; enfin, le dernier serre la terre autour des racines. Choisir des arbustes jeunes et trapus convenant à la région ; les arracher sans briser le pivot central près du sol.

Il suffira, chaque année, de continuer ce travail pour constituer peu à peu des refuges naturels fort goûtés du gibier. Ces abris maintiendront les espèces sédentaires et faciliteront l'arrêt prolongé des errants.

« Nous n'en profiterons pas », disent les anciens. Peut-être ... Ne pouvez-vous songer aux jeunes générations qui montent ?

A. ROCHE.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 9