On cherche la quadrature du cercle en matière de chasse et,
bien entendu, on ne la trouve pas en raison des méthodes employées. Il faut
bien se rendre compte qu'il y a chez nous bien près de deux millions de
chasseurs, et encore ne savons-nous pas de quoi demain sera fait !
Peut-être ce nombre est-il encore en augmentation.
C'est nous qui détenons évidemment le record du nombre, même
compte tenu de la superficie de notre territoire : 551.000 kilomètres
carrés, puisque, par exemple, la Grande-Bretagne, pour une surface d'un peu
plus de la moitié, n'en possède que 56.000 ; et il en est de même pour les
autres États. Prétendre donc donner suffisamment de gibier à chacun de
nos chasseurs est plus qu'un problème.
Il y a le grand mot, le « repeuplement » !
Mais, si l'on veut se donner la peine d'aller au fond des choses, il est plutôt
vide de sens. Il n'y a pas encore si longtemps que je lisais dans Le
Chasseur Français, (n° 649 de mars 1951), à propos de la disparition
du regretté A. Ganeval, cette remarque que, « comme tous les gens
raisonnables, il comprenait parfaitement que ce n'était pas de conceptions
chimériques, réalisables seulement sur le papier, que pouvait provenir le salut
de la chasse ». Le repeuplement est de cette catégorie ; un lièvre
vaut plus de 5.000 francs actuellement, une perdrix plus de 2.000, un faisan
plus de 3.000 francs, et combien faudrait-il dépenser, dans un département très
moyen comme nombre de chasseurs, c'est-à-dire n'en comptant qu'une dizaine de
mille, pour mettre devant le fusil de chacun d'eux ne serait-ce qu'une pièce
provenant de reproducteurs importés ? Les chiffres ont leur éloquence,
quand on veut les serrer d'un peu près.
Et, outre les nuisibles, qui ne sont pas détruits en
général, se réjouissent les premiers de voir qu'on leur sert une table bien
garnie, un correspondant tout particulièrement qualifié m'écrivait ceci :
« En Europe centrale, il était bien connu que, si, dans un complexe
d'environ au moins 2.000 hectares, on importait des lièvres, environ deux tiers
l'avaient déserté dans les premiers mois et que rarement, la troisième année,
on abattait de ces « immigrés ». Il en est du reste de même pour le
faisan, oiseau bête s'il en est, comme de la perdrix grise. »
Il y aurait bien un moyen, employé avec succès en Suisse,
aux U. S. A., etc. : limiter le nombre de pièces ; nous n'en sommes
pas encore là ... Personne ne veut rentrer bredouille, et la conclusion
est là, devant nos yeux : notre cheptel gibier s'amenuise de jour en jour.
On comprend donc que le lapin de garenne soit à l'ordre du
jour pour nous, Français et, par définition, chasseurs pauvres, ce qui, selon
La Fontaine, n'est pas un vice, mais néanmoins bien ennuyeux quand il s'agit de
chasse !
Le lapin de garenne a de nombreux avantages pour le chasseur ;
d'abord, si l'on veut repeupler, son prix d'achat est acceptable ; on peut
même le diminuer en le capturant soi-même ; ensuite, on le cantonne assez
facilement, mais il ne faut pas cependant se faire d'illusions, ni penser qu'il
n'y a qu'à le lâcher, sans plus, dans un bois ; il est nécessaire de ne le
mettre que dans un terrier à proximité et autour duquel on aura mis des
carottes, betteraves, etc., en un mot tout ce dont il sera friand ; on
aura, dans ces conditions, beaucoup de chances de ne pas le voir s'éloigner.
Une fois, dans la Somme, il y a bien longtemps, le président d'une société de
chasse était venu pleurer dans mon gilet, se plaignant que l'on avait, au cours
de la saison, tué moins de lapins que l'on n'en avait mis ; après maintes
explications, j'appris finalement que le lâcher avait eu lieu dans les
conditions les plus défavorables, que l'on n'avait jamais piégé, empoisonné,
détruit aucun nuisible ! Un succès aurait été, dans ces conditions, un
vrai miracle. Et il n'y en eut pas.
Un des grands ennemis du lapin adulte, c'est le putois, qui
le poursuit dans les terriers ; le furet en fait du reste sortir
quelquefois, quand il n'est pas blessé lui-même ; au surplus, un furet
expérimenté refuse d'entrer là où il sent du putois. Le putois se prend très bien,
soit aux boîtes, soit aux pièges. Le blaireau et les chiens errants détruisent
beaucoup de rabouillères aux abords des endroits boisés ; le travail du
blaireau se reconnaît à ce qu'il ne fait qu'un assez petit trou juste au-dessus
du nid ; le chien éparpille la terre de tous côtés.
Le lapin se chasse de toutes les façons, au chien d'arrêt,
en battue, aux chiens courants, au furet, etc. ; on peut le mettre à
toutes les sauces et, sans jeu de mots, aussi bien vivant que mort, sa chair
étant très délicate, sauf peut-être celle de ces animaux vivant dans les
garennes des bords de la mer où la nourriture laisse plutôt à désirer ; en
fait, ces lapins lâchés à proximité d'endroits plus confortables prospèrent
étonnamment, à l'instar des petites vaches bretonnes qui se développent dans
des pâturages plus riches que ceux de leur pays d'origine.
Terrain sec, destruction de ses ennemis, et le lapin
prospérera ; aussi le voit-on maintenant constituer la base de tous les
tableaux de chasse, même là où jadis il y avait des animaux plus somptueux.
Signe des temps.
Somme toute, chasse amusante en raison de la vivacité du
chassé, tir offrant certaines difficultés, mais pour lequel il existe des
virtuoses.
Le succès du lapin appelle la fraude, il ne pouvait en aller
autrement. Il y a quelque temps m'a été communiqué un journal pour avis — il
s'agissait d'un pharamineux article paru dans un quotidien du Centre ; il
y était parlé d'un gibier tout à fait « style nouveau », tenant, du
lièvre et du lapin, les qualités de chaque variété, sans en avoir les défauts :
poids se rapprochant de celui du lièvre, mais moins erratique que lui, restant
aux endroits du lâcher, se défendant très bien, ne faisant pas de terriers
profonds, mais de simples gîtes, enfin plus que prolifique, puisque donnant de
nombreuses portées, environ tous les deux mois. Un point qui m'a paru devoir, à
défaut d'autres, retenir immédiatement l'attention, c'est que l'on annonçait
que les couleurs étaient toutes différentes suivant les sujets. Et c'est sur
quoi j'ai mis en garde immédiatement, car il ne pouvait s'agir que de vulgaires
lapins de clapier que l'on avait trouvé le moyen d'essayer de vendre de cette
manière au-dessus des cours. Sommé de fournir des précisions, le fameux vendeur
se garda bien de répondre, il était possible aussi qu'il ait eu déjà
précédemment des ennuis avec des acheteurs qui lui auraient manifesté leur
mécontentement et ne se seraient peut-être pas bornés à des protestations
platoniques ... Cela je l'ignore, et l'histoire ne le dit pas.
Un fait est là : une lapine sauvage, donc gris fauve,
donne avec un mâle russe, soit blanc, des lapins de teinte foncée, noirs mal
teints ; la légende veut que, si le premier lapin que l'on tire au début
et qui est de cette couleur soit manqué, le reste de la journée s'en ressentira ...
En réalité, le « léporide », croisement du lièvre
et du lapin, est un mythe, jusqu'à présent. Ce serait un bâtard, fruit
d'espèces, sinon ennemies, du moins de mœurs et d'habitudes complètement
opposées.
Georges Benoist, dans son excellent ouvrage Lièvres et
levrauts, a consacré un chapitre entier à la question du léporide et y fait
état de ses essais personnels, d'enquêtes effectuées en Belgique, où le lièvre
belge serait un grand lapin ayant un huitième de sang de lièvre « aussi
évident que fugitif », et d'essais effectués outre-Rhin par le Dr
Hartmann, de Stuttgart. Georges Weiss, de Ramslau, le duc Guillaume de Braunschweig,
etc.
La conclusion est très nette, d'après l'auteur de cette
étude : « Jusqu'à présent, on n'a jamais observé de croisements de
lapins sauvages et de lièvres à l'état sauvage. »
Que donneraient les procédés modernes d'insémination
artificielle ? Il est très vraisemblable que, s'ils réussissaient et comme
le dit Georges Benoist, les produits retourneraient vers l'une ou l'autre
espèce ...
Les travaux de laboratoire ne sont pas de ceux que l'on
recherche si l'on veut repeupler une chasse, comme trop compliqués ;
contentons-nous des variétés de gibier dont nous sommes certains, soignons-les,
et, ainsi que l'a écrit Paul Arène dans Les Haricots de Pitalugue, « la
bonne Nature se chargera de rendre au centuple les bonnes manières qu'on lui
fait. »
Jacques DAMBRUN.
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